12/01/2012

Quel bordel !!

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.Après " qui nous protège de la Police?" qui nous protège de la police des polices?

Comment le "chantier" monté par l'IGS s'est retourné contre les policiers
| 11.01.12 | 10h46 • Mis à jour le 11.01.12 | 19h59




Bureau des affaires réservées, 14 h 55, le 30 mai 2007, à la préfecture de police à Paris. La porte s'ouvre avec fracas. L'inspection générale des services (IGS), la "police des polices" débarque, provoquant la stupeur des employés. Zohra Medjkoune et Dominique Nicot, deux agents expérimentés du service, doivent quitter leur bureau, escortées par les enquêteurs de l'IGS. Deux jours et une longue garde à vue plus tard, elles sont mises en examen pour "corruption" et "trafic d'influence" par la juge Michèle Ganascia.
On les accuse d'avoir indûment délivré des titres de séjour. Trois autres personnes sont ciblées par l'IGS, qui se fonde sur des écoutes téléphoniques : Bruno Triquenaux, administrateur civil, chef du bureau des affaires réservées, Christian Massard, officier de sécurité de l'ancien ministre socialiste de l'intérieur Daniel Vaillant. Et Yannick Blanc, le patron de la police générale à Paris, connu pour ses sympathies à gauche. Gros émoi au sein de la préfecture, les fonctionnaires sont suspendus. Et vite oubliés.

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>> Lire le portrait de Yannick Blanc, par les mêmes auteurs

Quatre ans et demi après, que reste-t-il de cette affaire ? Rien. Toutes les charges sont tombées. Seul flotte un parfum de scandale. Les cinq fonctionnaires ont compris qu'ils avaient été l'objet d'une manipulation policière. Il fallait avoir la peau du soldat Blanc, par tous les moyens. Ils se sont retournés contre l'administration, ont saisi la justice, qui leur a donné raison. Balayée, l'enquête initiale. Place aux investigations sur l'IGS et ses méthodes douteuses.

>> Lire aussi "La police des polices, au cœur d'un scandale judiciaire"

L'enquête de l'IGS avait débuté en janvier 2007. Et dès le 3 avril 2007, les policiers semblaient sûrs d'eux, assurant que M. Blanc était "parfaitement au courant de toutes les interventions et manœuvres de Mme Medjkoune". Quelques semaines plus tard, lors de leurs auditions, les suspects se défendent pourtant de toute implication dans le trafic de papiers, produisent des preuves, carnets de chèques, attestations, établissant qu'ils n'ont octroyé aucun passe-droit en échange de cadeaux. Rien n'y fait.

Dans une note adressée le 2 juin 2007 à Michel Gaudin, tout nouveau préfet de police nommé par Nicolas Sarkozy, le n° 3 de l'IGS, Claude Bard, aujourd'hui directeur du service, se montre très ferme: "Mme Medjkoune a reconnu avoir permis, de sa propre initiative et sans contrôle de sa hiérarchie, l'attribution de plusieurs titres de séjour à des clients d'un individu (…) en contrepartie de cadeaux et de sommes d'argent". Mme Nicot a droit au même traitement. Ces accusations reprennent les termes d'une synthèse d'enquête, réalisée par l'IGS le 1er juin 2007 et adressée au magistrat instructeur. Les mises en examen ont été décidées sur la seule foi de ce document.

Les deux femmes, le 7 juin 2007, font l'objet d'un arrêté de suspension, qui reprend exactement les arguments retenus dans l'enquête judiciaire par l'IGS. Pourtant, une procédure administrative ne peut se fonder sur des éléments judiciaires. Une anomalie de plus dans une affaire qui en est truffée…

LE FAUX RAPPORT DE SYNTHÈSE

Très curieusement, le 18 juillet 2007, MmeMedjkoune est visée par un second arrêté, signé par Michel Gaudin lui-même. Il y est cette fois ci simplement fait mention du fait que "Mme Medjkoune a été entendue" par l'IGS "sous le régime de la garde à vue". Il n'y a plus d'accusations précises. Encore moins d'aveux. Un revirement brutal, qui s'explique aujourd'hui… C'est que la synthèse présentée par l'IGS à la juge est mensongère.

Le cas de Mme Nicot est emblématique. Celle-ci, selon la synthèse de police, aurait "reconnu avoir favorisé à l'insu de sa hiérarchie" la délivrance d'un titre de séjour. Que découvre Me David Lepidi, son avocat, en consultant les procès-verbaux de garde à vue de sa cliente ? A la question d'un officier de police, elle répond, clairement : "Cette intervention a été envoyée à M. Blanc". Sa hiérarchie avait donc été avisée, contrairement à ce que prétend la synthèse policière.

Autre élément révélateur, elle aurait, selon l'IGS, "reconnu être intervenue dans la régularisation du dossier" d'un ressortissant japonais. En garde à vue, Mme Nicot a pourtant contesté cette accusation, assurant même "qu'il y a eu une intervention du cabinet du préfet. Je pense que ce devait être M. Gaudin". Mieux, à en croire la synthèse policière, la fonctionnaire aurait "reconnu" avoir agi ainsi "sur l'intervention" d'un commerçant, Simon C., soupçonné d'être au cœur du trafic.

Or, entendue en garde à vue, Mme Nicot a dit précisément le contraire, assurant n'avoir "jamais rien fait" en faveur de cet homme. Manifestement, les policiers n'ont pas relu leurs PV avant de rédiger leur compte rendu d'enquête… Les déclarations initiales de Mme Medjkoune ont subi le même sort, tronquées, gonflées dans le procès-verbal de synthèse.

C'est sur la base de ce document que les deux femmes ont pourtant été mises en examen, puis suspendues de leurs fonctions. Me Lepidi décide donc de saisir la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, estimant que des "faux en écritures publiques" ont été commis sciemment par les enquêteurs de l'IGS.

Car, dans la foulée de la suspension de ses deux collaboratrices, l'adjoint de Yannick Blanc, Bruno Triquenaux, est lui aussi placé en garde à vue, le 19 décembre 2007. Un nouveau procès-verbal de synthèse est rédigé par l'IGS, encore une fois adressé à la juge Ganascia. On y lit, sous la plume du commandant Jean-Pierre Delcher : "Concernant Yannick Leblanc [Blanc]: l'analyse des 123 dossiers saisis à la police générale fait apparaître que de nombreuses régularisations ont été opérées avec son aval, sinon sur ses instructions, en détournant la législation en vigueur ou pour la convenance personnelle de ses collaborateurs".

Entendu le 18 mars 2010, en tant que partie civile, M. Blanc a rappelé : "Un mois après la date de ce procès-verbal de synthèse, j'ai été limogé". Saisie de l'affaire, la cour d'appel rend, le 25 janvier 2011, dans l'indifférence générale, une décision spectaculaire. "Dispenser des informations juridiques à des usagers ne saurait constituer une infraction pénale", relève le président Patrick Desmure, un magistrat expérimenté.

La chambre de l'instruction ne "peut que s'étonner de l'ampleur des moyens procéduraux déployés", ajoute l'arrêt. Tant Mmes Nicot et Medjkoune que MM. Massard et Triquenaux sont totalement blanchis. Tous bénéficient de non-lieux, qui entérinent le fiasco judiciaire. Fait rarissime, la juge Ganascia est dessaisie, et c'est le juge Philippe Jourdan qui reprend l'enquête. Comment l'IGS a-t-elle pu commettre de telles fautes ? Le magistrat n'est pas au bout de ses surprises.

LES ÉCOUTES FALSIFIÉES

Il va, notamment, se pencher sur les retranscriptions des écoutes téléphoniques réalisées par l'IGS. Au tout début des investigations, deux services, l'Unité de soutien aux investigations territoriales (USIT) et l'IGS opéraient les mêmes interceptions.

Mais il semble que l'IGS ait choisi son camp. En effet, en écoutant les conversations du commerçant suspecté de vouloir corrompre des fonctionnaires, la police des polices note qu'il est de mèche avec des enquêteurs du 3e district de police judiciaire de Paris (DPJ). Simon C. promet à ses interlocuteurs, moyennant leur intervention pour faire sauter des contraventions, des produits de beauté, des portables… L'USIT relève, le 6 mars 2007 : "Vous aurez plein de produits de beauté pour toi et ta femme et pour Christophe et sa femme", lâche le suspect, en ligne avec un enquêteur du 3e DPJ.

Réponse du policier, retranscrite par l'USIT: "OK ben, c'est sympa, ça roule." Dans la retranscription de l'IGS, la réponse du fonctionnaire a disparu, remplacée par un laconique: "N'intéresse pas l'affaire en cours."

D'autres extraits très gênants pour le 3e DPJ sont ainsi caviardés. Or, il apparaît que des policiers du 3e DPJ se font fournir gratuitement du matériel téléphonique, qu'ils jouent les intermédiaires auprès de collègues pour rendre service au commerçant, etc.

Mais la cible de l'IGS, c'est le bureau des affaires réservées. Quitte à fabriquer des preuves. C'est ce qui ressort de l'audition, le 15 septembre 2010, de Jean-Pierre Delcher, alors à l'IGS, aujourd'hui retraité. C'est lui qui est censé avoir signé le procès-verbal de synthèse mettant gravement en cause, le 19 décembre 2007, Yannick Blanc. Que dit-il à la juge Jeanne Duyé, qui instruit la plainte de ce dernier? Que cette synthèse ne peut avoir été écrite qu'à partir de 23h45 puisqu'elle reprend les passages d'une audition réalisée tard dans la soirée.

Or, M. Delcher ne travaillait pas au-delà de 20 heures, en raison d'une grave maladie. En conséquence, il ne peut avoir rédigé ce document. M. Delcher précise à la juge : "Pour ce qui est de la signature, ce n'est pas la mienne. Ce n'est même pas mon 'gri-gri'. Ce n'est pas moi qui ai rédigé ce compte rendu. C'est monstrueux. J'ai l'impression que je me suis fait avoir…"

Les magistrats enquêtent : qui a pu rédiger cette synthèse ? "C'est un style rédactionnel de commissaire", pense savoir le policier. Qui rappelle la très forte hiérarchisation du service. "Les OPJ étaient totalement sous contrôle", avait déjà indiqué Pascal Collot, l'ancien adjoint de M. Delcher. "La phrase incriminant M. Blanc ne pouvait avoir été rédigée que sous le contrôle et avec l'approbation du directeur de l'IGS et de son adjoint, voire sous leur dictée", avait-il certifié à la magistrate.

Isabelle Sablayrolles, une fonctionnaire de l'IGS, n'avait pas hésité à parler de "censure", expliquant que "tout était relu à la virgule près". Jusqu'au commissaire divisionnaire Daniel Jacquème, actuel n° 2 de l'IGS, qui a eu cette réflexion troublante devant les juges, le 14avril 2010: "il fallait gérer politiquement la garde à vue de M. Blanc".

LE CARNET DE CHÈQUES DU PATRON DE L'IGS

Les juges remontent donc la chaîne hiérarchique. Après M. Jacquème, ils vont entendre, le 27 avril 2011, Claude Bard, patron de l'IGS depuis juillet2010. En effet, au cours de leurs investigations, les magistrats ont relevé l'intervention à l'IGS, en juin2007, d'un attaché de la préfecture de Lyon, mandaté pour analyser les pièces saisies au service des affaires réservées. Tout sauf un expert assermenté du droit des étrangers.

Stéphane Béroud débarque à l'IGS le 21 juin et le 31 octobre 2007. C'est Claude Bard qui est allé le chercher, en province, sur les conseils d'un ami, Christophe Bay, un ancien de la PP, ex-directeur adjoint du cabinet de Brice Hortefeux au ministère de l'intérieur. Alors n° 3 de l'IGS, Claude Bard va jusqu'à signer deux chèques de son compte personnel – de 230 puis 254,20 euros – afin d'héberger "l'expert" dans un hôtel à Créteil et d'assurer son couvert. Du jamais vu. "Je sais qu'il s'est posé le problème de frais", s'est justifié devant les juges M. Bard. Il aurait simplement voulu faire preuve de "courtoisie et délicatesse" en défrayant l'attaché de préfecture.

M. Bard, qui vit cette affaire comme "un écorché vif", dit-il, se défend d'avoir jamais "été instrumentalisé dans un quelconque dossier". Et il assure: "Je suis stupéfait de voir qu'à l'inspection générale des services on pourrait faire un faux". M. Béroud, qui a eu l'obligeance, peut-être par retour de courtoisie, de rendre en 2007 un avis très négatif sur les initiatives prises par les proches de M. Blanc, parlant de "fait du prince", pense avoir pu faire l'objet d'une manipulation de l'IGS. Mais "à mon insu, peut-être", admet-il le 6 mai 2010 devant les magistrats.

PERQUISITION CHEZ DANIEL VAILLANT

Les magistrats tentent aussi de comprendre les raisons de la mise en cause de Christian Massard, ex-officier de sécurité de Daniel Vaillant. Ce commandant de police a eu droit à une longue garde à vue le 31 mai 2007. Il a dénoncé, depuis, des violences volontaires sur sa personne : le tutoiement qu'on lui a imposé, l'interrogatoire subi alors qu'il souffrait d'un cancer de l'œil, la non-observation par l'IGS des recommandations des médecins, qui avaient enjoint les policiers de l'amener à un nouvel examen médical, le 1er juin 2007…

Pour ajouter à l'humiliation, on a même fait défiler son fils, pas encore majeur, devant sa cellule de garde à vue. Les magistrats ont enquêté sur la perquisition de son bureau, à la mairie du 18e arrondissement, le 31 mai 2007. Un Massard sans lacet, tenant son pantalon avec ses mains, honteux, planté devant son patron, le maire Daniel Vaillant. Les policiers ont déboulé sans s'annoncer dans le bureau de l'ancien ministre.

Entendu le 15 janvier 2010, M. Vaillant a relaté au juge son souvenir d'un Massard "au bord des larmes (…) Ils n'ont pris aucune précaution". L'IGS ira même jusqu'à fouiller l'ordinateur du chef de cabinet de M. Vaillant, en pleine période électorale. "Le poste du chef de cabinet a été perquisitionné alors que les officiers de sécurité ne s'en servaient pas", a déclaré aux juges la secrétaire du maire.

Les magistrats ont aussi entendu, comme témoins assistés, les préfets Pascal Mailhos, ex-patron des RG, ancien secrétaire général adjoint du ministère de l'intérieur, et Michel Gaudin lui-même. Ils s'étonnent que MM. Gaudin et Mailhos aient pu avoir connaissance des éléments de la procédure judiciaire et suspendre sur cette base les fonctionnaires des affaires réservées.

Le 1er mars 2011, des perquisitions menées par les juges place Beauvau ont permis de saisir les dossiers administratifs de MM. Triquenaux et Blanc. Ils contenaient des éléments judiciaires, au mépris de la séparation des pouvoirs.

Gérard Davet et Fabrice Lhomme

Article paru dans l'édition du 12.01.12

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