« C’était un vendredi soir, vers 18h30. Nous étions en
plein rush pour terminer un dossier à rendre au client le lundi matin.
Toute l’équipe était sur le qui-vive. Soudain, un jeune collaborateur a
fermé son ordinateur, pris sa veste et nous a dit « au revoir ». Quand
je lui ai demandé pourquoi il partait, il m’a simplement répondu « j’ai
un truc à faire ». Et il a ajouté sans sourciller : « Je ne pense pas avoir volé le cabinet aujourd’hui » ».
Manager dans un grand cabinet international d’audit et de conseil,
Mathilde Vial est habituée à côtoyer des salariés ultra-motivés, qui ne
rechignent pas à travailler soir et week-end. Mais parmi les jeunes
recrues, certains ne font plus preuve d’autant de docilité et
d’appétence au travail que leurs prédécesseurs. Alors que le
gouvernement mise sur le « contrat de génération » pour dynamiser le
marché de l’emploi, des études montrent que les cohabitations entre
juniors et seniors dans l’entreprise ne se font pas toujours de gaité de
cœur. Les salariés de plus de trente ans jugent durement leurs
benjamins : d’après un sondage Ipsos publié en janvier, 58% les trouvent
plus individualistes qu’eux-mêmes, et 46% les estiment moins motivés.
Un autre rapport à l’autorité
Trois
générations coexistent actuellement au sein de la population active :
les salariés issus du baby-boom, ceux de la génération X (nés entre 1965
et 1980) et ceux de la génération Y (nés entre 1980 et 1995). Les
analyses des sociologues, si elles doivent être prises avec des
pincettes, ont le mérite de dresser des traits communs à ces populations
d’âge. Les entreprises s’y intéressent, car l’enjeu est de taille :
d’ici 2015, les « Y » représenteront 40% des actifs en France. Enfants
rois, les Y ont été traités d’égal à égal par leurs parents. Cela
déteint sur leur rapport à l’autorité une fois qu’ils intègrent le monde
du travail. « Pour eux, la hiérarchie repose sur la compétence, et non sur un simple organigramme » explique Julien Pouget, auteur du livre « Intégrer et manager la génération Y ». « L’autorité n’est pas un dû »
résume Françoise Gri, responsable de la région Europe du Sud chez
Manpower. Le chef d’équipe doit démontrer sa légitimité en apportant
« quelque chose » à ses collaborateurs : ses connaissances, son talent,
son sens de la pédagogie... Lorsqu’on leur donne un ordre, les Y veulent
en comprendre la finalité. Pris à partie, le manager n’apprécie pas
toujours de devoir expliquer chacune de ses demandes. Il a l’impression
d’être remis en question. « Pourtant, cela part d’un simple désir du
collaborateur de comprendre ce qui lui a été demandé. Lorsqu’on saisit
bien les instructions, on est davantage susceptible de les appliquer » tempère Julien Pouget.
Pragmatique et dépassionné
Plus
généralement, le rapport au travail des Y est beaucoup plus pragmatique
et dépassionné que celui de leurs aînés. Concilier vie personnelle et
vie professionnelle est pour eux un pré requis. Une ambition a priori
surprenante pour une génération qui n’a connu que les turbulences du
chômage et de la précarité des emplois. En réalité, le paradoxe n’est
qu’apparent : les Y ont vu leurs parents s’investir énormément dans leur
travail, parfois au détriment de leur vie personnelle, sans forcément
que cela porte ses fruits. Résultat : quelle ne fut pas la surprise de
ce DRH quand il a proposé aux salariés de racheter des RTT à un taux
bonifié. « Personne chez les jeunes collaborateurs n’a participé à
l’opération, alors que ce sont eux qui ont les salaires les plus bas ». Les priorités ont changé.
Conscientes
de ces évolutions, les entreprises s’efforcent d’attirer et de
fidéliser des profils qui contrastent avec le passé. « Nous avons
accéléré certains chantiers comme l’amélioration de l’environnement de
travail et le développement du travail collaboratif » indique Yves
Grandmontagne, DRH de Microsoft France. La filiale du groupe américain
autorise notamment, dans certaines proportions, le travail à distance,
qui permet aux jeunes salariés de mieux jongler avec leurs contraintes
personnelles. Les formations spécifiques à l’encadrement des Y restent
cependant rares. Chez PepsiCo France, où la moyenne d’âge des salariés
s’élève à 34 ans, un tiers du budget de formation est consacré au
management. Mais sur la question des générations, les initiatives de
l’entreprise sont balbutiantes : cette année, quelques seniors ont
bénéficié pour la première fois d’une formation pilote menée par Laurent
Jupin, un spécialiste de la génération Y. Or le sujet ne date pas
d’hier. Et PepsiCo France fait plutôt figure de précurseur en termes de
gestion des ressources humaines : la société a été élue « Best place to
work » en 2010, 2011 et 2012.
En réalité, certains employeurs tempèrent, au moins en partie, le bien fondé de telles actions. « Il ne s’agit pas non plus d’aller trop loin et de se mettre à plat ventre devant les jeunes salariés
» affirme Yves Grandmontagne de Microsoft France lors d’une conférence.
Pour d’autres, les tentatives de « management intergénérationnel » sont
de toutes façons inadéquates et vouées à l’échec. « Beaucoup de
programmes d’intégration mis en place pour fidéliser les Y servent aussi
à les mettre sous le boisseau, à mieux les maîtriser pour les mettre au
pas » décrypte ainsi Claire Komisarow, consultante en carrière et ancienne DRH du Printemps. « La
véritable question est : combien de temps va mettre la génération Y à
casser les modèles de l’entreprise et à en inventer de nouveaux ? Car le
mouvement est irrémédiable… et salutaire ».
(*) Dans la catégorie plus de 500 salariés.
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