28/05/2007

c'est long mais instructif :-)

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Fiscalité : le gouvernement met en œuvre "un programme de redistribution vers les plus riches"
LEMONDE.FR | 25.05.07 | 18h45 • Mis à jour le 28.05.07 | 17h37

Droits de succession, heures supplémentaires... L'intégralité du débat avec Henri Sterdyniak, directeur de département à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) qui pointe les limites des mesures fiscales annoncées par le gouvernement Fillon.


Narbé : L'ensemble des mesures fiscales prises par M. Sarkozy auront-elles l'impact attendu sur la croissance ? Si oui, laquelle est selon vous, susceptible d'être la plus efficace ?

Henri Sterdyniak : Actuellement, nous n'avons pas encore un programme bouclé. N'ont été annoncées que des mesures de réduction des impôts. On ne sait pas comment ce programme sera financé. On ne sait pas si les mesures de hausse des dépenses pour la recherche, l'enseignement, la sécurité professionnelle seront effectivement mises en œuvre. Les mesures annoncées actuellement ne semblent guère capables à elles seules de provoquer le choc attendu.



La mesure qui secoue le plus est celle portant sur les heures supplémentaires. C'est la plus coûteuse et c'est celle qui peut modifier le comportement des entreprises et des salariés.

Eric le sudiste : Quel pourrait être le coût réel des mesures fiscales pour le budget de l'Etat mais également pour les caisses de retraites en lien avec la suppression des cotisations sociales ?

Henri Sterdyniak : Les mesures annoncées actuellement ont un coût en année pleine de l'ordre de 15 milliards d'euros. Soit 0,8 % du PIB. Là-dessus, 5 milliards seraient des allègements de cotisations sociales. Mais en principe, l'Etat devrait les rembourser aux caisses de sécurité sociale.

Pierre_1 : Combien de contribuables français sont réellement concernés par les projets fiscaux ?

Henri Sterdyniak : Pour la réduction des droits de succession, le nombre de bénéficiaires chaque année, sera de l'ordre de 100 000. Mais beaucoup de personnes se ressentent comme des "bénéficiaires potentiels", parce qu'ils n'ont pas conscience que de toute façon, leur patrimoine est trop faible pour payer des droits de succession.

Pour le bouclier fiscal, c'est plus difficile à dire. Il devait bénéficier à 100 000 personnes cette année, jusqu'à présent, il n'y a eu que 1 000 demandes de restitution. Beaucoup de contribuables ont eu peur d'attirer l'attention du fisc sur eux.

La mesure permettant, au lieu de payer l'ISF, d'investir 50 000 euros dans une PME, pourrait faire passer le nombre de personnes payant effectivement l'ISF de 450 000 à 20 000.

ALRY : En quoi le programme fiscal de Nicolas Sarkozy est-il novateur ?

Henri Sterdyniak : La baisse des droits de succession, même dans ce contexte, est particulièrement malvenue, car elle profite à des enfants dont le seul mérite est d'être né là où il fallait. Ces 5 milliards auraient sans doute été mieux employés à favoriser l'accès à l'enseignement supérieur et à la possibilité de créer des entreprises, des jeunes des milieux modestes.

C'est un programme qui n'hésite pas à briser certains tabous. Par exemple, en baissant l'impôt sur les successions et en abaissant le bouclier fiscal. C'est un programme assumé de redistribution vers les plus riches.

En sens inverse, on peut lui reprocher de rester dans la tradition française de multiplication des niches fiscales. L'impôt va devenir de plus en plus compliqué, aussi bien avec le bouclier fiscal qu'avec la détaxation des heures supplémentaires. Un programme plus simple de baisse des taux et de simplification aurait sans doute été préférable.

Yznn : Quelles mesures fiscales annoncées durant la campagne peuvent au final ne pas être appliquées , et pour quelles raisons ?

Henri Sterdyniak : De nombreuses mesures ne seront pas appliquées. Par exemple, la baisse de la TVA à 5,5% dans la restauration puisque nos partenaires européens s'y opposeront. Par ailleurs, l'objectif de baisse du taux de prélèvement obligatoire de 4 points sera difficile à atteindre, Nicolas Sarkozy n'aillant pas annoncé de réduction des dépenses publiques correspondant à ce niveau.

RTP : L'exonération des charges et la défiscalisation des heures supplémentaires : est-ce une bonne ou une mauvaise mesure financière ? Quel impact pour l'emploi ?

Henri Sterdyniak : C'est une mesure très délicate à mettre en œuvre. Elle coûterait environ 5,6 milliards d'euros mais elle pose de nombreux problèmes. D'abord elle pourrait inciter les entreprises à donner plus d'heures supplémentaires aux travailleurs déjà employés plutôt qu'à embaucher, ce qui serait une catastrophe pour l'emploi.

Ensuite, elle pourrait donner lieu à de l'évasion fiscale, les entreprises et les salariés ont intérêt à se mettre d'accord pour transformer les primes et une partie du salaire en fausses heures supplémentaires.

Enfin, il n'est pas sûr que la mesure soit constitutionnelle, puisqu'elle réduirait l'impôt de certains salariés sans bénéficier aux non-salariés et aux cadres, ce qui n'est pas conforme au principe d'égalité devant l'impôt.

Pierre : La réforme des droits de succession permettra-t-elle vraiment de faciliter la transmission d'entreprise, ou est-ce un cadeau pour l'électorat de droite ?

Henri Sterdyniak : La baisse des droits de succession est bien sûr un cadeau pour l'électorat de droite. Actuellement 80 % des successions sont déjà exonérées. Et l'objectif est de passer à 95 %. C'est les plus riches qui seraient gagnants.

Les transmissions d'entreprises bénéficient déjà d'un régime favorable. Et le système actuel favorise les donations qui, en principe, peuvent aller à des héritiers relativement jeunes. La baisse aveugle des droits de succession va favoriser des personnes de plus de 50 ans, celles qui touchent en moyenne des héritages, mais généralement trop tard pour créer des entreprises innovantes.

Xavier : Lors de la campagne électorale, le souhait de Nicolas Sarkozy de supprimer les droits de succession n'a été que peu commentée par l'opposition ou les médias. Humainement, je comprends qu'une telle mesure satisfasse les Francais qui souhaitent pouvoir léguer le fruit de leur travail à leurs enfants. Ne pensez-vous pas cependant qu'elle risque d'accroître les inégalités sociales et peut-être avoir des effets secondaires négatifs sur la croissance à moyen ou long terme ?

Henri Sterdyniak : C'est un choix politique. L'idée est qu'en permettant à certains de s'enrichir, ils créeront des emplois, ce qui bénéficiera à tous. Mais cette stratégie passe par l'augmentation des inégalités de revenus, c'est le choix du modèle anglo-saxon, plutôt que du modèle scandinave.
isanaud : Quelles vont être les conséquences de la mesure d'aide à l'achat par la défiscalisation des intérêts immobiliers ?

Henri Sterdyniak : La mesure est plus limitée que ce qui avait été annoncé. Elle n'est pas rétroactive et ne réduit les intérêts que de 20 %. Une personne qui emprunte à 5 % se verra rembourser un point d'intérêt. C'est une mesure qui peut soutenir l'immobilier dans une période où le marché montre des signes d'essoufflement en raison de la hausse des taux et du fort niveau atteint par les prix. Le risque est de relancer la hausse des prix du logement. On peut penser qu'une certaine baisse serait nécessaire aujourd'hui, compte tenu des niveaux atteints.

Cette mesure peut favoriser l'accession à la propriété des jeunes de 30 à 45 ans des classes moyennes. Le problème est qu'actuellement, le prix des logements est très élevé et qu'une crise immobilière, une forte baisse des prix aurait peut-être été préférable. Ce genre de mesure ne règle pas la question des logements sociaux. Il faudra lancer en parallèle des vastes programmes de construction de logements pour les classes populaires. La réduction des impôts annoncée jusqu'à présent n'est pas suffisante pour leur permettre d'accéder à la propriété.

Nicolas : Les mesures fiscales annoncées sont des baisses d'impôts pour les personnes physiques parmi les plus aisées. En quoi ces baisses peuvent-elles relancer la consommation et la croissance ?

Henri Sterdyniak : Le gouvernement espère que ces mesures inciteront les plus riches à rester en France pour y créer des emplois. Avec la mondialisation, les plus riches peuvent aujourd'hui refuser de payer l'impôt en s'installant selon les cas, à Bruxelles, à Londres, ou en Suisse. Le but des mesures est de les faire revenir. La France accepte la mondialisation libérale dans la mesure où elle n'a pas réussi à faire adopter une harmonisation fiscale satisfaisante à l'échelle de l'Europe.

Par contre, l'effet direct sur la consommation sera tout à fait négligeable. Les personnes qui recevront un chèque du Trésor de 1 ou 2 millions d'euros pour rembourser leur ISF l'accumuleront en placements financiers. Cela fera monter la Bourse mais pas l'activité.

Mariska : La vision économique de Sarkozy (la relance de la croissance par la consommation) est-elle keynésienne ?

Henri Sterdyniak : Nicolas Sarkozy n'a pas une vision keynésienne de relance pour la consommation ! Il n'a pas annoncé d'augmentation massive du RMI, du minimum vieillesse, des allocations familiales, prestations qui, elles, sont immédiatement consommées. Sa stratégie est au contraire classique : rendre plus rentable le travail et surtout l'entreprise.
Bauudry : Que pensez-vous de la défiscalisation du travail des étudiants ?

Henri Sterdyniak : C'est une nouvelle niche fiscale. La plupart des étudiants qui font des "petits boulots" ne sont pas imposables. La mesure bénéficiera aux étudiants qui sont déclarés par leurs parents. Or ceux-ci ont déjà une demi part supplémentaire de quotient familial. La mesure ne remplace pas la hausse nécessaire des bourses pour les étudiants de familles modestes. Se posera ensuite la question de la définition de l'étudiant, là aussi, cela peut permettre de l'évasion fiscale, avec de "faux étudiants" qui resteraient à l'université pour bénéficier de cette déduction.

marie : L'épargne peut-elle relancer l'économie ?

Henri Sterdyniak : Etant un vieux Keynésien, je ne pense pas que c'est l'épargne qui relance l'économie. Les pays anglo-saxons (Etats-Unis, Royaume-Uni) ont de fortes croissances, avec des taux d'épargne extrêmement faibles. Ce qui relance l'économie, c'est d'abord la consommation et surtout l'investissement, c'est-à-dire, l'esprit d'entreprise. Je pense d'ailleurs que N. Sarkozy espère plus impulser l'esprit d'entreprise que l'esprit d'épargne.

odile : Qu'est ce que la TVA sociale dont a parlé M. Sarkozy, qu'en pensez-vous ?

Henri Sterdyniak : La TVA sociale est un projet consistant à remplacer une partie des cotisations sociales employeurs par des points de TVA. L'idée est que les cotisations sociales employeurs frappent le travail, tandis que la TVA sociale permet de frapper l'ensemble des consommateurs et aussi les produits importés.

Personnellement, je ne crois pas que cette réforme permettrait de créer durablement des emplois. La hausse de la TVA sociale se traduirait par une augmentation de l'inflation et les gains de croissance promis seraient mangés par cette poussée d'inflation.

alanbee : En quoi le "bouclier" fiscal" relance-t-il la croissance ?

Henri Sterdyniak : Le bouclier fiscal à 50 % permettrait de rembourser des sommes importantes à des personnes riches qui ont peu de revenus, c'est-à-dire à de riches propriétaires d'entreprise qui gagnent des plus-values et ne déclarent pas de revenus. Ainsi, ces personnes resteraient en France, au lieu de partir comme aujourd'hui à l'étranger. L'objectif est donc de les retenir.

Mélanie : Ces exonérations fiscales ne risquent-elles pas de faire entrer l'économie française dans une économie de rentiers ? et par la même freiner la dynamique du capitalisme?

Henri Sterdyniak : C'est toute l'ambiguïté de la stratégie. Elle est censée favoriser les travailleurs et les entrepreneurs, mais la baisse des droits de succession est l'instauration du bouclier fiscal enrichissent d'environ 9 milliards par an des personnes relativement riches et relativement âgées, ce qui est le contraire de l'objectif.

le monde 2 : On s'accorde souvent à dire (à juste titre ?) que la France connaît un problème d'offre et qu'il faut produire plus ? N'est-ce pas contradictoire de vouloir alors un choc de demande par des réductions d'impôts et de charges ?

Henri Sterdyniak : Ce n'est pas vraiment un choc de demande, puisque des sommes importantes vont aux plus riches et non pas à ceux qui consomment le plus. Dans l'esprit du gouvernement, c'est bien une politique d'offre qui est mise en œuvre. Il faut maintenant attendre la suite. Les mesures promises en faveur de la recherche, de l'enseignement supérieur, de la lutte contre les délocalisations. Le gouvernement s'est prononcé clairement pour la baisse de l'euro et une politique industrielle européenne. Reste à savoir si N. Sarkozy réussira à convaincre nos partenaires européens.
mila : Quelles mesures visent à favoriser l'investissement ?

Henri Sterdyniak : Jusqu'à présent, aucune mesure n'a été prise qui vise à favoriser directement l'investissement. Les mesures annoncées assurent aux chefs d'entreprise de payer moins d'impôts eux-mêmes...
artelino : La baisse des recettes fiscales aura-t-elle un impact sur le modèle social français ?

Henri Sterdyniak : Le gouvernement n'a pas encore annoncé de programme bouclé concernant les recettes et les dépenses. Nicolas Sarkozy n'a pas remis fondamentalement en cause le modèle social français, il a même promis des hausses de prestation, par exemple, des allocations familiales au premier enfant et la hausse des prestations sociales les plus faibles. Il a nommé haut-commissaire Martin Hirsh, qui doit mettre en place un revenu de solidarité active, dont le coût devrait être de l'ordre de 5 milliards d'euros.

Polymathe : La mesure concernant les intérêts d'emprunt paraît économiquement aberrante : comme vous le dites, elle assure des prix de l'immobilier élevés. Comment expliquez-vous le peu de réactivité de l'opposition et des associations des mal-logés sur un thème qui devrait être un pain béni pour elle ?

Henri Sterdyniak : Il est très difficile pour les partis d'opposition de protester contre des baisses d'impôt qui bénéficient à des millions de personnes. Certes, cet argent aurait pu être employé à construire des logements sociaux, mais les associations font mal le lien entre les pénuries qu'elles subissent et les réductions d'impôts décidées par ailleurs.

Milton_LAM : Après l'application des réformes où se situra la France par rapport aux autres pays de l'UE ?

Henri Sterdyniak : La France est au 5e rang des pays de l'UE pour le taux de prélèvement obligatoire. La baisse de 1 point annoncée actuellement nous laisserait à ce classement. Ce classement correspond essentiellement à l'importance des dépenses de protection sociale en France (retraites, famille, maladie, chômage). Il faudrait privatiser une partie de la protection sociale si on voulait réduire fortement le taux de prélèvements obligatoires.

JB : Comment peut-on expliquer le revirement sur le problème de la dette. Alors que pendant la campagne tous les candidats étaient d'accord sur la nécessité de la diminuer, voilà que cette question peut être reportée à la fin du quinquennat ? Comment nos partenaires européens réagissent ?

Henri Sterdyniak : Pendant la campagne, seul François Bayrou s'était prononcé pour une politique économique visant à réduire très rapidement la dette. Aussi bien Ségolène Royal que Nicolas Sarkozy se rendaient compte qu'une politique de forte réduction des dépenses publiques et de hausse des impôts aurait contribué à briser la croissance, comme en 1995. Nicolas Sarkozy préfère faire le pari de la croissance, essayer de réduire la dette par l'augmentation des recettes fiscales induites par la croissance.

Sa stratégie est contraire aux engagements que nous avions pris vis-à-vis de nos partenaires européens. C'est la contradiction de la politique européenne de la France : nous prétendons vouloir un gouvernement économique de la zone euro et nous faisons le contraire de ce qui a été décidé collectivement.

Septik : D'autres pays ont ils déjà tenté une stratégie similaire ces dernières années ? Quel a été le résultat ? A vous lire, le fait d'avoir choisi Nicolas Sarkozy comme président de la République est catastrophique pour notre pays. N'y a-t-il pas quand même à vos yeux un ou deux points un peu plus rassurants à mettre en exergue ?

Henri Sterdyniak : La plupart des pays ont effectivement mis en œuvre des stratégies de réduction de la fiscalité portant sur les plus riches et sur les entreprises. Cela a pu donner le pire, comme en Italie, ou une nette croissance économique, comme en Grande-Bretagne, payé d'un gonflement des inégalités sociales.

Le nouveau gouvernement a la tâche délicate de réussir à impulser l'économie française ; ceci passe par un soutien aux entreprises et aux entrepreneurs. En même temps, il doit protéger la spécificité française : un modèle social marqué par un niveau relativement faible d'inégalités et de pauvreté.

Les points rassurants : le revenu de solidarité active de Martin Hirsh ; les promesses d'augmentation des prestations sociales les plus faibles ; l'idée qu'il faut revaloriser le travail, et donc qu'il faudra bien un jour augmenter les salaires.

Philippe : Finalement, le programme économique de Nicolas Sarkozy aura-t-il un impact sur la croissance et l'emploi ?

Henri Sterdyniak : Un grand nombre d'entrepreneurs pense que c'est la règlementation excessive, le poids des charges ou le droit du travail qui les empêchent de développer leur acrivité. Ils comptent sur Nicolas Sarkozy pour libéraliser l'économie française, en s'attaquant aux règlementations et au droit du travail. La victoire de la droite est apparue pour eux comme une promesse de libération. On peut donc penser que durant les trimestres à venir, certains entrepreneurs soient plus dynamiques pour leurs investissements et pour leurs emplois.

Compte tenu du dynamisme général en Europe, l'économie française pourrait connaître une embellie pendant une année et demi, ensuite, c'est le principe de réalité qui l'emportera. Il faudra que le gouvernement réussisse à mettre en œuvre des mesures qui libèrent l'énergie des entreprises sans nuire au pouvoir d'achat des salariés, sans remettre en cause leurs conditions d'emploi.

Chat modéré par Anne-Gaëlle Rico

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