09/06/2007

Hamé on est avec toi !!!

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La Cour de cassation va trancher le conflit entre M. Sarkozy et La Rumeur
LE MONDE | 09.06.07 | 13h50 • Mis à jour le 09.06.07 | 13h50


Mercredi 13 juin, la Cour de cassation rendra son arrêt dans l'affaire qui oppose le ministère de l'intérieur à Mohamed Bourokba, dit Hamé, membre de La Rumeur, sans doute le plus politisé des groupes de rap français. Poursuivi pour "diffamations publiques envers la police nationale", le rappeur d'origine algérienne avait été relaxé une première fois, en décembre 2004, par la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris, puis en juin 2006, par la cour d'appel.


D'autres affaires depuis dix ans

1996. Le tribunal correctionnel de Toulon condamne les chanteurs du groupe NTM à 6 mois de prison, dont trois ferme, et à 6 mois d'interdiction d'exercer leur métier pour "outrages par paroles" contre des policiers. La cour d'appel relaxera le groupe.

1997. Deux membres du groupe Ministère A.M.E.R. sont condamnés, à la demande du ministre de l'intérieur, Jean-Louis Debré, à 200 000 francs d'amende pour injures publiques envers des policiers et apologie du terrorisme.

2004. Le ministère de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, porte plainte contre Sniper pour des paroles injurieuses pour les policiers et menaçantes pour les ministres dans la chanson La France. Le tribunal correctionnel de Rouen et la cour d'appel relaxent le groupe.

2006. Le tribunal correctionnel de Melun déboute le député UMP des Pyrénées-Orientales Daniel Mach de ses poursuites contre Monsieur R, auteur de FranSSe.
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Fait rarissime, le ministre de l'intérieur de l'époque et actuel président de la République, Nicolas Sarkozy, s'était alors pourvu en cassation. La première plainte avait été déposée le 3 juillet 2002 par M. Sarkozy après la parution d'un article signé Hamé intitulé "L'insécurité sous la plume d'un barbare" : ce billet d'humeur avait été publié dans un magazine promotionnel qui accompagnait la sortie du premier album du groupe, L'Ombre sur la mesure, le 16 avril 2002.

Trois passages de ce pamphlet étaient incriminés. Le rappeur écrivait notamment : "Les rapports du ministère de l'intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété." Ce qui provoqua la plainte du ministre de l'intérieur : "Lesdits propos portent atteinte à l'honneur et à la considération de la police nationale en ce qu'ils insinuent l'existence de conduites illégales de la part des forces de police."

Le rappeur écrivait aussi : "La réalité est que vivre aujourd'hui dans nos quartiers, c'est avoir plus de chances de vivre des situations d'abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l'embauche (...), d'humiliations policières régulières". Ces propos furent qualifiés de "diffamatoires dans la mesure où ils insinuent l'existence de pratiques déontologiquement prohibées de la part des forces de l'ordre, ainsi qu'un comportement contraire à la probité".

SOCIOLOGUES ET HISTORIENS

Plutôt que de jouer profil bas en plaidant un simple droit à la liberté d'expression, Hamé et son avocat, Dominique Tricaud, avaient choisi de politiser le débat. Parmi leurs témoins figuraient ainsi des sociologues (Fabien Jobard), des historiens (Maurice Rajsfus) et même un gardien de la paix, Eric Blondin, fondateur du Syndicat de la police nationale, qui tous affirmèrent que les violences policières étaient bien réelles, et que le texte incriminé reflétait "le sentiment général". "Nous avons voulu éclairer nos propos à la lumière de leur travail", explique aujourd'hui Hamé, "en mettant en perspective une histoire de la répression à partir de documents journalistiques et d'archives d'Etat".

Ancien étudiant en lettres et sociologie, Hamé a fondé La Rumeur, à Elancourt (Yvelines), en 1997, avec ses deux complices Ekoué et Philippe, eux aussi étudiants, respectivement d'origines togolaise et antillaise. Refusant les clichés du hip-hop le plus commercial, le groupe s'est engagé politiquement, marqué par les injustices sociales et les dérives de la France postcoloniale. Soutenus à leurs début par le groupe de rock Noir Désir, ces rappeurs parisiens ont reçu jusque-là un bon accueil critique pour leurs trois albums, dont le tout récent Du coeur à l'outrage, sans connaître de grands succès de vente.

Le groupe et son avocat essaient de comprendre l'acharnement du ministère de l'intérieur. "La cour d'appel juge en fait et en droit, la Cour de cassation ne juge qu'en droit, rappelle Me Tricaud. Or, dans ce dossier, il n'y a aucun élément de droit en jeu. A priori, la cassation est impossible." "Est-ce la pression des syndicats de police ? La crainte de voir émerger une jurisprudence favorable au rap ? La volonté de nous épuiser économiquement ?" s'interroge Hamé. "Lors du procès de Charlie Hebdo, Sarkozy a dit qu'il préférait un excès de caricature à un excès de censure. Il prouve avec nous le contraire depuis cinq ans."

LES ÉMEUTES DE 2005

Mode d'expression privilégié de la culture suburbaine, le rap français s'est retrouvé plus d'une fois devant les tribunaux. Les émeutes de 2005 ont aussi eu pour effet de stigmatiser cette musique. Le député UMP François Grosdidier a été à l'origine d'une lettre signée par 153 députés et 49 sénateurs, adressée au garde des sceaux et réclamant des poursuites à l'encontre de 7 groupes.

Pour Ekoué, de La Rumeur, "cette propagande anti-rap ne repose sur rien à part la détestation d'une certaine jeunesse et une façon de détourner le débat des vrais problèmes". Comme le constate Me Tricaud, également avocat de Sniper, Monsieur R. et Alibi Montana, chacune de ces poursuites a été suivie d'une relaxe.

Les tribunaux insistant sur la dimension symbolique du rap qui, comme le signifiait en décembre 2005 la cour d'appel de Rouen à l'égard de Sniper, "ne reste avant tout qu'un mode d'expression utilisé par l'auteur pour exprimer la désolation et le mal de vivre des jeunes de banlieues".
Stéphane Davet

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