LE MONDE | 27.06.07 | 14h26
Le 12 janvier, Bernard Squarcini a senti une bouffée de chaleur et une pointe au sternum en approchant du bâtiment de la préfecture de police, à Marseille. Le préfet délégué pour la sécurité a annulé son premier rendez-vous, s'est allongé, puis a appelé son médecin. Une heure plus tard, il était sur le billard. Artère bouchée, grosse alerte. Les messages de sympathie ont afflué. Celui du candidat Nicolas Sarkozy arriva en bonne position. "Remets-toi vite, Bernard, on va avoir besoin de toi !"
1955
Naissance à Rabat, au Maroc.
1983
Adjoint au directeur régional des renseignements généraux (RG) en Corse.
1989
Chef de la division enquêtes et recherches à la direction centrale des RG.
1994
Directeur central adjoint des RG.
2004
Préfet délégué pour la sécurité et la défense à Marseille.
2007
Nommé directeur de la surveillance du territoire (DST), le 27 juin
Le préfet s'est remis, a perdu 10 kg en renonçant à la charcuterie corse et achevé ses maquettes de bateau, longtemps délaissées. Mieux vaut ne pas en acheter de nouvelles : mercredi 27 juin, Bernard Squarcini, 51 ans, devait être nommé directeur de la surveillance du territoire (DST), à la place de Pierre de Bousquet.
Une chose est imparable dans cette manière décomplexée dont Nicolas Sarkozy place ses hommes et ses femmes de confiance au sommet de la police : leurs qualités professionnelles, reconnues même par leurs pourfendeurs. Cela n'évite pas les soupçons de népotisme, mais en calme l'ardeur. Frédéric Péchenard, directeur général de la police ; Martine Monteil, patronne de la police judiciaire (PJ) ; et maintenant lui, l'ancien numéro 2 des renseignements généraux (RG), chargé de mener à bien le chantier historique de la fusion entre la DST et les RG.
Bernard Squarcini a accompli un exploit : celui d'incarner un spécialiste du renseignement pragmatique et efficace tout en étant politiquement engagé. En ne se contentant plus d'être un simple serviteur impartial de l'Etat, il est aussi entré dans un monde où les innocents sont vite comptés et les mémoires chargées de rancoeur. Il en a payé le prix.
La confiance que voue le président à M. Squarcini - autrefois catalogué proche de Charles Pasqua - est née en 2002, à l'arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur. "Bernard Squarcini a attiré l'attention du ministre au cours de ses voyages en Corse, par sa formidable connaissance de la région et la finesse de ses analyses, explique Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, à l'époque directeur du cabinet. C'est lui, ensuite, qui a permis avec le RAID de trouver le petit fil jusqu'à Yvan Colonna."
L'histoire reste à écrire, mais on en connaît la substance : ce fils de policier et petit-fils de berger corse, originaire de Cuttoli-Corticchiato, près d'Ajaccio, connaît son pays dans ses moindres replis. C'est ainsi que Bernard Squarcini a bénéficié d'un informateur décisif dans la traque du fugitif. "C'est un grand pro, un homme d'une vraie finesse, souligne le juge antiterroriste Gilbert Thiel. Il ne suffit pas d'avoir des renseignements. Il faut savoir trier, déterminer des stratégies. Lui excelle dans ce domaine." N'en jetez plus : même Pascal Garbarini, avocat de nationalistes corses, loue ses qualités. "Il écoute et analyse avant de foncer. C'est le contraire d'un éléphant dans un magasin de porcelaine. S'il avait toute la gestion des affaires de banditisme en Corse, elles seraient bien plus finement traitées."
Le terrorisme est son domaine de compétence premier, qu'il soit basque, corse ou islamiste. Mais Bernard Squarcini s'est aussi rendu précieux auprès de Nicolas Sarkozy en d'autres circonstances. Pendant son éloignement de l'intérieur, à Bercy, puis lors de la campagne présidentielle. Il était un de ceux chargés "d'anticiper et de détecter les coups dans l'opération "Tout sauf Sarko", explique-t-il. Il y avait un cercle de confiance, une nébuleuse, constituée autour de Claude Guéant pour le défendre dans cette traque".
Des intrusions dans la vie privée - réelles ou fantasmées - à Clearstream, le préfet use de ses mille relations pour informer Nicolas Sarkozy. Aux yeux de celui-ci, Bernard Squarcini se révèle précieux, car il a appris à devancer ses souhaits. Pas besoin d'instructions pour connaître les angles à protéger. "Quand Sarkozy donne sa confiance, elle est entière, mais ensuite il délègue, décrypte le préfet. Il faut s'efforcer d'avoir deux coups d'avance, comme lui."
Ce franc engagement a une date charnière : janvier 2004, lorsque Jacques Chirac s'est opposé à sa nomination comme directeur central des RG, à la place d'Yves Bertrand, dont il avait été l'adjoint pendant dix ans. "J'aurais aimé que ce soit Bernard, jure ce dernier. Il n'y a jamais eu de rivalités entre nous, on a été instrumentalisés." C'était aussi l'époque où l'affaire Clearstream germait dans les coulisses du pouvoir. "Mon nom était alors apparu à deux reprises sur les listings, souligne M. Squarcini. J'en ai eu la carrosserie légèrement éraflée. C'était une façon de m'empêcher de devenir patron de la direction centrale des RG. Il y avait aussi un racisme anticorse évident dans cette affaire. Sinon, pourquoi avoir aussi ajouté les noms de Laetitia Casta et d'Alizée ? J'ai donc déposé plainte, par sens de l'honneur et fierté."
Avec Yves Bertrand, engagé dans la chiraquie, leur duo tenait du mariage forcé. L'aîné avait recruté le Corse en lui abandonnant les clés des dossiers terroristes. "Il avait la confiance du Château, moi celle de Sarko. Il aimait le politico-financier, moi la technique, l'animation des services, les relations avec les magistrats", résume Bernard Squarcini. Le patron tenait salon après 18 heures, dans son grand bureau bleu ; les journalistes amis s'y succédaient pour siroter un whisky et recueillir quelques informations. Le numéro 2, lui, s'occupait du reste, des menaces contemporaines. "Même s'il défendait les positions des RG, il a su faire l'unanimité et apaiser les rapports entre services au-delà de leurs rivalités traditionnelles", se souvient Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé du terrorisme à la DST.
Bernard Squarcini l'assure avec véhémence : il n'a pas vécu son séjour marseillais comme un exil, mais comme une bénédiction. "Je n'étais pas Edmond Dantès au château d'If ! Je suis passé de l'autre côté du miroir, de la collecte de renseignements à la direction des 20 000 agents de la zone de défense sud", dit-il. D'autant que, vue de Marseille, l'actualité ne s'arrête jamais. Il y a l'OM, les grèves des bus, les faits divers, les incendies de forêts, sans oublier le redoutable dossier de la SNCM.
L'expérience policière a été utile au préfet. Pendant les violences urbaines de novembre 2005, il refusa d'utiliser un hélicoptère avec projecteur pour ne pas stigmatiser la population des quartiers nord. En revanche, il organisa des planques dans toutes les stations-service. "On n'avait plus qu'à cueillir ceux qui voulaient des bidons d'essence." Prévenir et éteindre les incendies : un métier.
Piotr Smolar
Article paru dans l'édition du 28.06.07.
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