24/08/2007

Comment l’Etat détourne l’argent de la Sécu

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Chaque année, à l’occasion du vote de la loi de financement, les parlementaires dénoncent les détournements de l’argent de la Sécurité sociale vers d’autres usages ainsi que les transferts de charges indues.




Depuis le transfert d’une partie des cotisations maladie sur la CSG (un impôt), c’est principalement l’Etat qui finance les dépenses de la Sécurité sociale (Sécu dans le texte). Il procède à l’affectation de ressources fiscales prélevées sous forme de redevances, timbres, contributions, cotisations et autres franchises marquées de l’étiquette « social ». De plus, l’Etat à l’obligation (1) de compenser les multiples réductions de charges qu’il décide pour stimuler une activité ou une catégorie particulière. Il est aussi employeur et verse des cotisations sociales pour ses salariés. Le fait que l’Etat soit très irrégulier dans ces versement génèrent des dettes importante vis-à-vis de la Sécu.
Les rapports financiers qu’entretiennent l’Etat et la Sécu sont de nature quasi féodale. Il décide de façon discrétionnaire, elle subit en silence. Les chevaliers blancs semblent frappés d’impuissance. Chaque année la Cour des comptes constatent, les parlementaires déplorent et suggèrent des réformes, mais la loi de financement de la Sécu est votée puis rectifiées par la loi de finances qui suit.

La lecture des rapports établis par le sénateur A. Vasselle et le député J. P. Door (UMP), entre 2002 et 2006, éclaire, si l’on peut dire, les relations financières qu’entretiennent les deux institutions. La concordance de majorité pendant cette période permet d’éviter les positions purement partisanes excepté les remarques concernant les années 2000/2001.

En 2002, le rapporteur du Sénat s’en prend à l’ancien ministre de la Solidarité, E. Guigou (PS). La ministre avait tenté de faire annuler une partie de la dette d’Etat à la Sécu par un procédé jugé illégal par le Conseil constitutionnel. Le sénateur en profite pour dénoncer les deux procédés utilisés pour détourner des fonds destinées à la Sécu vers d’autres usages : « la Sécu a fait l’objet d’une véritable "prise d’otages" sous la forme de détournement de ses recettes ou de transferts de charges » (2).

Et il constate désabusé que les relations financières entre l’Etat et la Sécurité sociale souffrent d’une complexité et d’une confusion préjudiciable à une gestion rigoureuse des comptes sociaux (2).

Les années suivantes, le rapporteur dénoncera régulièrement et dans des termes proches les avanies subies par la Sécu. En 2004, par exemple, il écrira : « plusieurs mesures, décidées soit dans les projets de loi de financement de la Sécurité sociale soit dans les projets de loi de finances, ont abouti à transférer la charge financière de dépenses inscrites au sein du budget de l’État vers l’assurance maladie » (3).

2007, l’année de la rupture avec les errements antérieurs. Le ministre des Comptes publics et des Prélèvements obligatoires, Eric Woerth, a récemment reconnu que la dette de l’Etat est source de conflits et d’incompréhension entre l’Etat et la sphère sociale. Il a demandé aux gestionnaires de l’Etat de cesser d’utiliser les sommes destinées à la compensation des exonérations de charges sociales pour d’autres dépenses. Il s’engage, pour mettre fin à la « suspicion », à ce que l’Etat rembourse sa dette à la Sécu et compensera « à l’euro près » les allègements de charges.

Le remboursement prévu fin octobre 2007 est de 5,1 milliards d’euros. Bel effort de clarification, mais le compte n’y est pas. La dette de l’Etat s’élevait officiellement à 6,2 milliards fin 2006 auxquels il conviendrait d’ajouter les frais financiers dus au retard de paiement.

Bientôt la loi sur le financement de la Sécu sera discuté au parlement. Sauf à perpétrer les errements antérieurs, les nouvelles exonérations devront être compensées par de nouvelles recettes, notamment les coûteuses suppressions des charges sur les heures supplémentaires.

Des chiffres en perspective

Il ne faut pas confondre la dette de l’Etat (6,1 milliards) qui sera finalement payée et les détournements de financement vers d’autres fins. Quels en sont les montants ? « L’opacité et la complexité des flux » dénoncées par les parlementaires rendent difficiles une réponse précise à cette question.

Cependant, la dénonciation d’un fait datant de l’année 2000 permet à la fois d’assister à l’organisation d’un détournement et d’en connaître le montant. Le député Door cite le chiffre de 2,4 milliards détournés par l’Etat aux dépends de la Sécu (2). Ce chiffre correspond aux sommes versées par un organisme éphémère, le FOREC (2000-2003) à la Sécu. En réalité, ces fonds provenaient de recettes prises à la Sécu. La manipulation est crûment décrite par le sénateur Vasselle, « cette dernière, en quelque sorte, se compense ainsi à elle-même les exonérations de charges sociales » par le moyen de « circuits financiers particulièrement opaques et complexes bouleversant la répartition des recettes et des charges au sein de la Sécu » (2).

Les détournements et les transferts de charge constatés permettent de douter de la sincérité des acteurs politiques lorsqu’ils s’alarment du « le trou de la Sécu ». Serait-ce l’arbre chargé de minimiser la forêt du déficit de l’Etat ou le travail de sape du symbole de la solidarité nationale ?

Des chiffres 2007 à connaître

Le budget de la Sécu : 295 milliards (plus 12 milliards de déficit)
Le budget de l’Etat : 334 milliards (dont 42 milliards de déficit).
La dette totale de la France : 1 221 milliards.
Le coût de la dette dans le budget de l’Etat : 40 milliards.
Subventions aux entreprises y compris agro-industrielles : 75 milliards.

Conclusions et propositions

Être élu ne confère pas à l’homme politique un génie particulier pour gérer des comptes publics toujours plus complexes. Si l’on considère les résultats, il semblerait que ce soit le contraire. Ils ne font qu’aggraver la situation et mettent en péril un secteur qui représente plus du quart du PIB, grand pourvoyeur d’emplois et dépendant pour l’essentiel de la Sécu ?

Pour les financements publics, une solution consisterait à séparer les deux sphères, Etat et Sécu. Des impôts identifiés clairement destinés aux caisses de l’Etat seraient récoltés et gérés par les services de l’Etat et ceux destinés aux caisses de la Sécurité sociale par les siens. Le pouvoir tel qu’il est pratiqué en France est-il compatible avec la transparence financière ?

Les réformes, les vraies, restent à faire.

Sources

(1) Article L. 131-7 modifié par l’article 70 de la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie.
(2) Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2003.
Rapport n° 58 de novembre 2002, Alain Vasselle, sénateur UMP - J.F. Matéi, ministre de la Santé.
(3) Idem pour 2004 - Rapport n° 59, A. Vasselle, sénateur UMP - J.F. Mattei, ministre.
(4) Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2006.
Rapport n° 2609 d’octobre 2005, J.P. Door, député UMP - X. Bertrand, ministre.

par Daniel R

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