21 août 2007
Comment vous prouver que je suis Français ?
Cette question vous indiffère sans doute: vous importe-t-il que je sois Français, Italien, Algérien ou même Américain des Etats-Unis ? Je suis né Français sur le territoire colonial, à Alger, combinant des origines diverses, comme tout le monde, mais surtout corses, lorraines et toscanes. Ma nationalité m’a rarement préoccupé. Petits-fils et fils de fonctionnaires, exemple paradigmatique de l’ascension sociale par le service public, je n’ai jamais cru que je devrais un jour prouver que j’étais de nationalité française. Tout a commencé il y a une vingtaine d’années, lors des grands débuts gouvernementaux de M. Pasqua, qui avait malheureusement quitté la livraison d’Americano Gancia et les services très particuliers du SAC pour légiférer. Il n’est pas besoin d’avoir un faciès particulier pour que les autorités doutent de votre nationalité : j’ai le profil type du Français ordinaire, sans aucun signe particulier. Pourtant, je suis très rapidement devenu suspect, à mon grand ébahissement. Chaque renouvellement de carte d’identité ou de passeport est devenu une sorte de calvaire, qui dure des mois, surtout depuis que le meilleur élève de M. Pasqua est devenu ministre de l’Intérieur. Non seulement je suis né à l’étranger, comme ils disent, mais mon père aussi. Et c’est là que les choses commencent à se compliquer sérieusement. Quand votre père a-t-il acquis sa nationalité française, me demande-t-on ? A sa naissance par filiation, réponds-je. Prouvez-le. Ce que je fais. On me cuisine alors sur mes deux parents, je dois produire leur livret de famille, bien gardé dans un village corse, des certificats de nationalité, des tas de trucs. La dernière fois, à Clermont-Ferrand, j’ai failli m’énerver. Une femme, très excitée par mon dossier, et pensant sans doute à une prochaine reconduite à la frontière qui lui vaudrait l’ordre du Mérite, s’apercevant que ma mère avait vécu à Aleria (Haute-Corse), avait dit à sa collègue, en écumant : ce n’est pas un seul parent qu’il a d’Algérien, mais deux. Aleria, Algeria, il n’ y a qu’un pas. Contrairement aux gens qui décrivent leur humiliation lorsqu’ils sont ainsi remis en cause, je n’ai jamais considéré ce “parcours du combattant” assez épuisant comme une vexation : j’ai vu un vieux policier pied-noir d’origine espagnole pleurer lors du renouvellement de sa carte d’identité à Martigues (Bouches-du-Rhône). J’ y ai vu plutôt une scandaleuse dérive de nos services administratifs sous l’effet de l’obsession du national qui ravage notre pays depuis un quart de siècle. Il faut bien convaincre les Français que le danger est à nos portes et leur faire comprendre que leur nationalité est un bien périssable. Il est évident que si je finis par me persuader moi-même que je peux avoir encore plus d’histoires à mon prochain passeport, je me tiendrai beaucoup plus à carreau dans la société (et même sur le blog). Je croyais même que l’élection d’un président d’origine étrangère marié à une jeune femme qui aime à signaler qu’elle n’a aucune goutte de sang français permettrait un allègement de ce délire bureaucratique. C’est tout le contraire, comme en témoigne le forum de Libération à ce sujet. Certains de mes proches se sont fait longuement interroger sur leurs origines juives, ou sur le fait qu’un de leurs ancêtres avait été un temps apatride. Tout cela est inacceptable et je souhaite qu’un vaste débat s’installe sur la question. Il est peu probable qu’on y arrive, parce que les ennuis que je subis sont la petite monnaie d’un phénomène bien plus important et bien plus grave : la chasse à l’étranger, sport national, que M. le Ministre de l’identité nationale a rappelé aujourd’hui, appelant ses collaborateurs à faire du chiffre. Pour que mes attentes au service des passeports cessent, il faudrait que l’on ait le courage de dire que l’immigration n’est pas vraiment un problème. Un ancien ministre centriste, Bernard Stasi, avait écrit qu’elle était une chance pour la France : qui oserait dire ça aujourd’hui ? Il avait pourtant raison. En attendant, lisons les travaux des historiens et des sociologues, comme Gérard Noiriel et François Héran, parmi d’autres qui analysent la réalité et permettent d’éviter cette folie du national qui abaisse la France. En disant cela, je pense avoir bien mérité de la patrie.
Pensez-vous que je puisse écrire à Nicolas et à Cecilia pour savoir s’ils rencontrent les mêmes difficultés que moi pour renouveler leurs papiers ?
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