La Courneuve Plage

Courrier International
FRANCE • Paris Plages so chic, La Courneuve Plage so pop !
D'un côté, les bikinis, les sandwichs club et la chanson française. De l'autre, les femmes voilées, les pique-niques en famille et la musique comorienne. Entre Paris Plages et La Courneuve Plage, le fossé est aussi large que celui qui divise la société française. Reportage.

La Courneuve, août 2007
AFP

Il y a cinq ans, Paris a inauguré une plage urbaine avec étendues de sable, piscines et terrasses de café sur les bords de Seine. Mais, pour les habitants de certaines banlieues, dont beaucoup sont d'origine arabe ou africaine, Paris Plages n'est pas l'oasis qu'elle prétendait être. Des familles, dont certaines femmes étaient voilées ou qui avaient apporté leur pique-nique, disent avoir ressenti de l'hostilité de la part de badauds et d'organisateurs de Paris Plages. Sans compter les difficultés et le prix du transport jusqu'au centre de la capitale, souvent dissuasifs.

"Paris Plages, c'est chic, et ils n'aiment pas voir des gens de banlieue", assure Farid Benamar, 21 ans, en faction à l'entrée de La Courneuve Plage, dans l'une des banlieues les plus défavorisées du pays. "La Courneuve a une mauvaise image, mais ici personne ne fait de discrimination contre nous." Installée sur l'aire de jeux d'une école, La Courneuve Plage n'a pas grand-chose à voir avec son homologue parisienne. On est ici non loin de la ville où ont éclaté les émeutes de l'automne 2005, lorsque la jeunesse des banlieues a exprimé dans la rue toute sa colère face à l'échec de l'intégration.

Loin du cadre de carte postale de Paris Plages, où le sable fin s'étend le long des rives de la Seine, La Courneuve Plage est un véritable bric-à-brac de cultures. Tandis que les Parisiennes se font bronzer dans des bikinis réduits à leur plus simple expression, ici en banlieue, les mamans, certaines voilées, cherchent un coin pour pique-niquer à l'ombre d'un parasol. Ici pas de croissants ou de salades niçoises, comme dans les cafés de Paris Plages : les stands vendent des merguez. Le jour de l'inauguration de La Courneuve Plage, les visiteurs ont été accueillis par de la musique comorienne, alors qu'à Paris la chanson française traditionnelle est reine.

Cette année, le succès de La Courneuve Plage a été tel que les organisateurs ont dû refuser les bus entiers remplis d'enfants venus des communes voisines. En juillet et août, la majorité des Français vont au bord de la mer ou à la montagne. Mais, pour de nombreux habitants de la banlieue parisienne, notamment ceux de La Courneuve, les vacances d'été ne vont pas de soi. Le chômage reste élevé (25 % dans cette commune) et les familles doivent souvent s'entasser dans des HLM décrépits.

Et beaucoup d'entre eux ne se sentent pas les bienvenus à Paris. Il y a deux ans, Eugène-Henri Moré, l'adjoint au maire de La Courneuve chargé des sports et de la jeunesse, a donc décidé de créer sa propre plage. Le conseil municipal a fait venir le sable, les palmiers et les transats indispensables à l'ambiance plage. Avec deux objectifs : offrir des activités aux habitants et donner du travail à quelques dizaines de Courneuviens, chargés de la surveillance du site.

La Courneuve n'a pas autant de moyens que Paris. Pour la première édition, en 2005, Eugène-Henri Moré a dû convaincre la brigade locale de pompiers de venir changer l'eau de la piscine deux fois par jour pour éviter qu'elle ne devienne insalubre. Et, avec un budget de seulement 70 000 euros, La Courneuve Plage n'avait pu durer que deux semaines. Mais les visiteurs sont venus en masse. Par beau temps, la plage a attiré plus de 2 000 personnes. Pour la deuxième édition, l'année dernière, La Courneuve Plage a été étendue à quatre semaines, séduisant 42 000 visiteurs.

Cette année, la municipalité ne roulait toujours pas sur l'or, mais la réussite de l'opération lui a permis d'obtenir plus facilement des dons. Le maire et son équipe ont convaincu des entreprises de BTP de leur offrir le sable, tandis que le site a été raccordé gratuitement au réseau électrique. Des associations culturelles ont par ailleurs proposé des cours gratuits de judo et de boxe. Selon les estimations d'Eugène-Henri Moré, La Courneuve Plage 2007 aura coûté 220 000 euros, contre 2,4 millions pour Paris Plages. Cette année, le maire de La Courneuve a ajouté de nouvelles activités pour les enfants : quatre trampolines géants et un terrain de beach-volley ont été installés à l'ombre des tours de HLM.

Eugène-Henri Moré est ravi du succès de La Courneuve Plage, mais il s'inquiète de voir les habitants de banlieue toujours plus exclus de la vie parisienne. "La plage, c'est une goutte d'eau dans la mer pour des gens qui subissent la discrimination au quotidien. J'aurais simplement aimé qu'on n'ait pas besoin de faire La Courneuve Plage."
Christina Passariello
The Wall Street Journal