LE MONDE | 18.08.07 | 11h54 • Mis à jour le 18.08.07 | 12h20
Il aura fallu attendre la fin des vacances présidentielles aux Etats-Unis pour connaître l'identité des amis qui ont invité Nicolas et Cécilia Sarkozy à Wolfeboro, élégante petite ville du New Hampshire, où le couple vient de passer quinze jours. Alerté, sans doute, par les appels téléphoniques passés par Le Monde afin de vérifier quelques détails sur les conditions de sa villégiature, le chef de l'Etat a appelé lui-même, vendredi 17 août en fin d'après-midi, des Etats-Unis où il se trouvait encore. Après un message préliminaire – "Je ne veux pas que vous parliez de Cécilia; sur moi vous pouvez écrire ce que vous voulez" –, il a expliqué que la villa où il a séjourné "a été louée par nos amis, les Cromback et les Agostinelli qui nous ont invités à y séjourner avec nos enfants".
Depuis quinze jours, on avait beaucoup vu le chef de l'Etat français courir sur les sentiers, au bord du lac Winnepesaukee. On l'avait beaucoup entendu aussi : seize communiqués présidentiels en deux semaines et une demi-douzaine de réactions lâchées aux quelques journalistes français envoyés suivre les premières vacances d'été du nouveau président. Mais l'identité des amis qui avaient loué pour environ 44000 euros la propriété de l'ex-président de Microsoft Mike App, où séjournaient les Sarkozy, était restée un quasi-secret d'Etat.
Aux Etats-Unis, la presse accréditée à la Maison Blanche suit en détail les activités du président américain, y compris pendant ses congés. En Grande-Bretagne, en Espagne ou en Allemagne, le coût des vacances du chef de gouvernement fait l'objet de communiqués. En France, le porte-parole de l'Elysée, David Martinon, interrogé sur le sujet, répétait : "Nous ne sommes pas au courant. D'ailleurs, cela relève de sa vie privée." C'est finalement le chef de l'Etat lui-même qui a fini par répondre à la fameuse question.
Quelques jours plus tôt, la presse avait remarqué, parmi le petit groupe entourant le couple présidentiel, la présence d'Agnès Cromback, présidente du joaillier Tiffany-France, et de Mathilde et Roberto Agostinelli. Mme Agostinelli, responsable de la communication de Prada-France, est une intime de Cécilia Sarkozy. Elle est aussi la belle-sœur de Pierre-Jérôme Hénin, le porte-parole adjoint de l'Elysée. C'est son mari, un banquier d'affaires qui a travaillé un temps pour la banque Lazard, que M.Sarkozy a parfois présenté comme "son ami italien" aux journalistes qui les croisaient ensemble à Wolfeboro.
Les Agostinelli vivent entre Paris et New York. Ils étaient déjà présents lors de la fête donnée au restaurant Le Fouquet's par le couple Sarkozy, le soir de l'élection présidentielle, puis lors d'un week-end au fort de Brégançon, résidence réservée aux chefs d'Etat français. Ce sont eux qui ont eu l'idée de louer la maison, dans cette petite station d'une élégance très "bostonienne". Wolfeboro est habituellement prisée par la bourgeoisie de la côte Est des Etats-Unis, qui aime y passer l'été et surtout l'hiver parce qu'on peut y skier et patiner sur les chapelets de lac qui s'étendent jusqu'à l'océan Atlantique.
"Il n'y a pas de mystère, je n'ai rien à cacher, assure le président français. Mais je trouve infernal d'avoir eu sans cesse, en face du ponton de la maison, des bateaux couverts de photographes." De fait, jamais congés d'un président de la Ve République n'auront été aussi épiés. Jamais non plus un chef de l'Etat français ne se sera autant montré. Mais tout se passe comme si Nicolas Sarkozy voulait pouvoir à la fois occuper l'espace médiatique lorsqu'il le juge nécessaire et, lorsque cela lui convient, cacher son mode de vie à la curiosité de l'opinion.
Ce n'est qu'incidemment que les photographes américains ont donc saisi, sans d'ailleurs l'identifier tout de suite, la ministre de la justice, Rachida Dati, sur le bateau emmenant les Sarkozy et leurs amis en balade sur le lac – confirmant ainsi les relations privilégiées que la garde des sceaux entretient avec le couple. On avait également signalé la présence d'Henri Proglio, PDG de Veolia, mais c'était une erreur. Le patron de l'entreprise de services aux collectivités a dû publier un communiqué pour démentir sa présence.
C'est aussi pour tenter de préserver le relatif anonymat de ses amis que le président français a piqué une grosse colère, le 5 août, contre les photographes qui le "shootaient". Et eu ce geste inimaginable aux Etats-Unis pour un chef de l'Etat : bondir sur le bateau des journalistes – qui n'étaient pas des paparazzis – pour se saisir un moment de leurs appareils.
Avant de s'évanouir avec la torpeur du mois d'août, le sujet du financement des vacances présidentielles a pourtant suscité, en France, un début de polémique. L'ancien porte-parole de Ségolène Royal, Arnaud Montebourg, a dénoncé ce séjour payé par "des amis millionnaires" et rappelé que "le président doit se situer au-delà des intérêts privés". Le député René Dosière (apparenté socialiste), auteur d'un rapport sur le budget de l'Elysée, a pour sa part suggéré de vendre la résidence d'Etat de Brégançon : "Il n'y a pas besoin d'un lieu de villégiature si le président va ailleurs!"
Un second événement a marqué les vacances présidentielles et suscité quelques interrogations : l'absence remarquée de Cécilia Sarkozy au pique-nique donné par les Bush, le 11 août. Sujet délicat parce qu'il mêle psychologie et vie privée à la diplomatie et à la politique. Aux Etats-Unis, chaque fois que Nicolas Sarkozy était seul ou accompagné de son fils Louis, il s'est montré avenant avec la presse. "Cela ne m'embête pas que vous me voyez transpirant en train de faire mon jogging", expliquait-il ainsi à des reporters, le 16 août, en ôtant les écouteurs de son iPod d'où sortait le son d'une chanson d'Elvis Presley. En revanche, comme il l'a répété au Monde vendredi, il a réclamé à maintes reprises : "Je ne veux pas que vous écriviez sur Cecilia en famille. Cela relève de ma vie privée."
Tout se passe comme s'il voulait protéger une épouse qui supporte difficilement la presse. Arrivée un jour avant son mari aux Etats-Unis et découvrant un portrait détaillé d'elle dans l'édition datée 2-8 août du Nouvel Observateur, Mme Sarkozy a elle-même téléphoné à deux reprises à une journaliste de l'hebdomadaire pour se plaindre et menacer le magazine d'un procès. Elle s'est ensuite volontairement effacée des médias, enfin en vacances.
Samedi 11 août, Cecilia Sarkozy devait pourtant reprendre son rôle officiel de première dame auprès de la famille Bush qui avait invité le couple présidentiel français. Mais c'est sans elle que le chef de l'Etat part en convoi à Kennebunkport, dans le Maine, où les Bush passent leurs vacances, à 80 km de Wolfeboro. La famille du président américain y est réunie au grand complet, Georges Bush père et son épouse Barbara, Georges W. Bush, son épouse Laura et leurs filles jumelles. M. Sarkozy, lui, arrive avec trois quarts d'heure de retard sur l'horaire prévu. Dans la matinée, Cecilia Sarkozy a téléphoné à Laura Bush pour s'excuser. Elle ne viendra pas.
Désistement diplomatique ou empêchement réel? Pendant sa rencontre avec le président américain, Nicolas Sarkozy aborde spontanément et le premier le sujet. Les traits tirés – la veille, il a effectué l'aller et retour jusqu'à Paris pour assister aux obsèques de Monseigneur Lustiger –, il évoque "l'angine blanche" dont souffriraient son épouse et ses enfants : "Le pire, c'est que c'est moi qui leur ai repassée." Personne n'avait remarqué, les jours précédents, que le président était souffrant.
S'il ne s'agissait aussi de bonnes manières et du rapprochement entre "le peuple français et le peuple américain", comme l'a martelé le président, on en resterait là. Plusieurs détails restent cependant troublants. La veille du pique-nique organisé par le président américain, un des envoyés spéciaux venus de France a aperçu Cecilia Sarkozy, en short et en chemise, flânant de boutique en boutique avec l'une de ses filles, un ami de sa fille et un garde du corps.
Le 12 août vers midi, au lendemain de la rencontre avec le président américain, deux journalistes tombent à nouveau nez à nez avec… l'épouse du président et deux amies. Les apercevant, Mme Sarkozy ne cache pas son agacement. La situation, en effet, est embarrassante. Mme Sarkozy, en short clair et simple tee-shirt blanc, ne paraît pas particulièrement souffrante. Elle glisse quelques mots à l'officier de sécurité et ce dernier s'approche des deux journalistes : "Ça suffit, laissez-la tranquille." Les reporters font valoir que c'est par hasard qu'ils viennent de croiser l'épouse du président. "Ecoutez, poursuit le garde du corps, M.Sarkozy vous a gentiment accordé deux interviews. Ne nous obligez pas à appeler vos patrons à Paris pour vous faire rapatrier. Si vous dites que vous l'avez vue, ça va encore faire des sous-entendus." Aucun commentaire de Cécilia Sarkozy n'est venu appuyer cette menace.
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Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin
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