AIDES . L’application en 2009 de la réforme des tutelles risque d’abandonner à leur sort des personnes en grande difficulté sociale.
En grande précarité, Jean Martin (*) est de ceux que l’application de la réforme des tutelles en janvier 2009 pourrait laisser sur le carreau. Cette perspective est jugée suffisamment proche par les avocats du grand Ouest pour qu’ils en fassent le thème de leur université d’été qui s’est ouverte hier. Cette loi, votée en 2007, impose entre autres une limite dans le temps aux mesures de protection des majeurs en difficulté, qui ne peut dépasser huit ans pour une personne dont les facultés mentales ne sont pas altérées.
Jean Martin a été socialement intégré, marié et salarié de la métallurgie mais son alcoolisme chronique est à l’origine d’un divorce et d’un licenciement qui l’ont marginalisé. Les Assedic diminuent avec son chômage longue durée. Il se retrouve titulaire de l’allocation spécifique de solidarité, soit un revenu mensuel de 449 euros. Après un accident de la route avec un véhicule non assuré, faute de paiement des cotisations, il doit 14 986 euros à un organisme de prêts. Il multiplie alors les prêts à la consommation. Submergé d’injonctions de payer (logement, opérateur téléphonique, trésor public…), menacé de saisie sur rémunération, d’expulsion, Jean Martin perd pied. Les travailleurs sociaux le convainquent de faire une demande de curatelle renforcée. La mission du délégué à la tutelle aux majeurs protégés qui assiste alors Jean Martin est de faire un inventaire de la situation matérielle, construire un plan de surendettement… Selon le juge des tutelles, l’homme présente « une personnalité immature et traverse une conjoncture d’existence matérielle préoccupante. Il a de ce fait besoin d’être conseillé ou contrôlé dans les actes de la vie civile. » S’ensuit une évolution non négligeable de la situation de Jean Martin, mais elle reste insuffisante pour éradiquer son alcoolisme.
Dans le cas présent, Jean Martin verrait donc la procédure dont il bénéficie se prolonger. Mais, entré en 2006 sous dispositif de protection, sa curatelle sera révisée en 2012, après application de la loi. Il devra alors passer un examen médical, désormais à sa charge. Ayant toutes ses facultés mentales, il sera redirigé vers d’autres mesures mises en place par la loi de 2007. Une première, administrative, ordonnée par le conseil général, lui sera proposée pour une durée maximale de quatre ans. En cas d’échec, le juge des tutelles sera saisi et demandera un accompagnement judiciaire, lui aussi d’une durée maximale de quatre ans. La grande question est la suivante : que devient monsieur Martin après ces huit ans de procédures si son alcoolisme n’est pas guéri ? Il n’y a pas de réponse pour l’instant : « Le travail tutélaire échappe à toutes les exigences statistiques. Certaines personnes ont besoin de mesures de dix, onze ans… Mais dans l’immédiat, la loi de 2007 ne prévoit rien au terme de ces huit ans d’accompagnement », rappelle un délégué à la tutelle. Il est possible que Jean Martin se tourne vers les assistantes sociales. Mais ce sont justement elles qui avaient fait appel à des associations de tutelles pour leur suppléer.
Michel Bauer, président de l’Union départementale des associations familiales du Finistère, ayant travaillé sur l’avant-projet de loi, pourtant très favorable à ce texte, reconnaît là « un élément dommageable » de la réforme des tutelles. En renforçant la distinction entre vulnérabilité mentale et vulnérabilité sociale, la loi tend à écarter du dispositif de protection des grands précaires, alors même que l’intervention tutélaire se substituait dans ce cas à des formes de solidarité qui n’existent pas.
(*) Le prénom a été modifié.
Claire Dodeman
http://www.humanite.fr/
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