07/12/2010

«Areva nous a apporté une pollution durable et non réversible»

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Al Moustapha Alhacen. Porte-parole de la société civile d’Arlit

«Areva nous a apporté une pollution durable et non réversible»

 

A peine la cinquantaine, n’ayant jamais mis les pieds à l’école, Al Moustapha Alhacen est l’homme qui a réveillé les consciences sur les graves conséquences de l’exploitation de l’uranium par Areva sur la santé de la population du nord du Niger. Porte-parole de la Coordination de la société civile d’Arlit, il revient dans cet entretien sur les 45 millions de tonnes de déchets stockés à l’air libre, de la paupérisation et du système de ségrégation légués par Areva
après 40 ans de présence dans la région du Nord.

- Vous êtes le porte-parole de la Coordination de la société civile d’Arlit, et président de l’association «Bouclier de l’âme» qui milite depuis des années contre les activités polluantes du géant minier français Areva, au nord du Niger. Pouvons-nous avoir une idée sur votre organisation et ses activités ?

La création de notre association n’est pas fortuite. Elle a été décidée en 2000, à la suite du décès de plusieurs de nos collègues qui exerçaient dans le tri de l’uranium, la manipulation de l’uranium dit stérile et qui n’en est pas, et dans le traitement des rejets. Toutes les études ont montré que 80% de ces résidus sont radio-actifs.

- Ce sont ces montagnes qui entourent la ville de Arlit ?

Ces montagnes ne cessent de grignoter les espaces de la ville et empoisonnent l’air que nous respirons. Depuis son installation il y a plus de 40 ans, Areva a stocké plus de 45 millions de tonnes de déchets d’uranium à l’air libre. Ce sont ces montagnes de couleur noire ou chocolat qui entourent la ville et qui donnent l’impression d’avoir toujours existé.
Avant, il nous était impossible de poser des questions ou de parler de l’activité minière et encore moins de ses conséquences sur l’environnement. Il nous fallait un cadre pour mieux nous organiser. Grâce à la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité), et des ONG comme l’association de juristes Sherpa et Médecins du monde, nous avons mis en place notre organisation. Cela n’a pas été facile. Nous avons fait face à de lourdes pressions. D’anciens travailleurs d’Areva, au Gabon, nous ont également beaucoup aidés, parmi eux  certains étaient organisés autour d’une association dirigée par une Française, dont le père et le mari sont morts  d’un cancer, et elle-même a fini par être contaminée. Nous avons pu collecter suffisamment de preuves pour engager une action en justice contre Areva.

- Mais cela n’a pas été le cas…

En fait, nous avions deux options : engager une action en justice ou aller vers des négociations pour des indemnisations. Les plus sages ont préféré éviter d’aller vers un procès contre ce géant qu’est Areva. Pour eux, il est plus facile d’ouvrir le dialogue avec l’entreprise et arracher une réparation pour les maladies contractées par les miniers et qui sont liées à l’extraction de l’uranium et son traitement. Une étude a été faite par l’Observatoire de la santé chargée de recenser les cas, mais les patrons d’Areva ont accepté le principe, mais uniquement pour les travailleurs gabonais et français. Les Nigériens ont été exclus sous prétexte qu’au Niger il n’y avait pas d’hôpitaux capables d’identifier les cas de maladies liées à l’activité minière. En fait, Areva a fait valoir l’absence de médecins de travail, les seuls habilités à certifier de telles contaminations.

- Comment se fait-il qu’une telle entreprise et durant plus 40 ans n’a pas prévu de médecins du travail  dans les structures sanitaires qu’elle gère ?

La loi nigérienne lui impose le recrutement d’un médecin du travail, mais Areva n’a jamais respecté la réglementation et personne n’a osé la rappeler à l’ordre. Exclure les miniers nigériens du dispositif d’indemnisation est une flagrante et inacceptable discrimination. Si les hôpitaux nigériens ne disposent pas de médecins du travail, la faute incombe à Areva qui se devait d’en recruter pour assurer une meilleure prise en charge sanitaire à ses travailleurs. Or, cela n’a jamais fait partie de ses préoccupations. L’effort de développement dont se targue l’entreprise n’est que ruine et maladie. L’industrie minière n’a rien ramené au pays et encore moins à la ville d’Arlit.
Areva nous a apporté une pollution durable et non réversible. Le désastre des 45 millions de tonnes de déchets d’uranium stockés à l’air libre, des maladies cancéreuses qui tuent à petit feu, la disparition de la  faune et de l’élevage, et l’assèchement de 70% de la nappe fossile ayant pour conséquence la mise à mort de surfaces importantes d’arboriculture sont autant de facteurs qui accentuent la misère et l’injustice sociale…

- Pensez-vous que ce soit l’une des raisons qui ont poussé les jeunes du Nord à prendre les armes ?

Ce que je peux dire, c’est que les deux rébellions ont eu lieu au nord du pays, là où sont implantées les usines minières, région où le banditisme  qui  n’en finit pas  a pris en otages les populations, notamment touareg. Dans toute la région d’Agadez, vous ne pouvez rien faire aujourd’hui, ni tourisme ni élevage de cheptel à cause de quelques bandits de route qui ont pris en otage la zone, et ce, jusqu’à la région de l’Air, qui était un havre de paix pour les habitants.

- Comment expliquer que toutes ces richesses — l’uranium, le pétrole et le charbon — ne puissent pas profiter au développement de la région ?

Nous avons toujours dit aux patrons d’Areva qu’il y a un grave problème de sous-développement dans la région d’Agadez, où vivent de nombreuses communautés, arabe, touareg, toubou, peuls, béribéri et haoussa, qui respirent toutes la radioactivité et qui ont un seul moyen de survie, à savoir le pâturage et le cheptel. Nous refusons de mettre à l’index les gens et il n’est pas dans l’intérêt de toutes les communautés de recourir aux armes. Cela ne profite qu’à nos ennemis. La Cogéma, (Ndlr, opérateur industriel français qui détient les société des mines de l’air (Somair, exploitant à ciel ouvert) et la compagnie minière d’Akoua (Cominak, société qui exploite une mine souterraine), est un Etat dans un Etat dirigé par une bande de criminels, de pilleurs et de voleurs. Tant qu’il n’y aura pas de bases saines, le pire est à craindre. Nous continuons à militer pour imposer un cadre de travail qui respecte la loi et une meilleure protection de la santé et de l’environnement. Lorsque nous attirons l’attention des  dirigeants d’Areva sur la ferraille irradiée que les gens récupèrent pour l’utiliser dans la construction, ils nous répondent à chaque fois qu’ils ne sont pas responsables de cet état de fait. Selon eux, cette ferraille vient de l’Algérie. Nous leur disons que malgré tout, c’est la France qui en est la cause, du fait des ses essais nucléaires. La contamination n’est pas le fait des activités de la population, mais de la France. Il faut reconnaître qu’il est difficile de sensibiliser la population sur ces questions, parce qu’elle est piégée par la pauvreté.
 Areva le sait et fait tout pour manipuler les ouvriers qui vivent dans la peur de perdre leur emploi, dans la majorité des cas très précaire. Les entreprises minières ne recrutent plus directement. Elles font appel à des sous-traitants qui offrent des salaires misérables aux Nigériens, et ce, quels que soient leur rang ou leur diplôme, comparativement aux rémunérations des expatriés.

- Justement, de nombreux Nigériens font état de ségrégation dans les postes de travail et même dans les conditions de vie dans les bases d’Areva. Qu’en est-il au juste ?

Il est vrai que la ségrégation est flagrante. Dans la cité, Areva a instauré le système des collèges. Il y en a cinq en matière d’habitation. Les MAB (maisons pour agents blancs), qui sont bien nantis, avec une prise en charge totale, des frais de l’énergie et de l’eau. Suivent les RA (résidence africaine) destinées aux agents africains, constituée de deux pièces étroites avec de moindres commodités.
Les DA (dortoirs africains) sont encore moins nantis et ne bénéficient que d’un espace très réduit, dépourvus d’électricité et d’eau. Il y a quelques années, ceux qui avaient exigé l’énergie et l’eau ont été licenciés puis emprisonnés par Areva. D’autres ont été carrément déportés à Niamey, avant d’être mis à la porte.

- Ne pensez-vous pas que cela cache une volonté inavouée de maintenir la région en situation de vulnérabilité pour mieux contrôler ses richesses ?

Nous, nous craignons que derrière cet état de fait se prépare un génocide, dont les commanditaires sont à l’extérieur du pays. Toutes les armes qui circulent au nord du Mali et du Niger sont venues d’ailleurs pour attiser les guerres fratricides et maintenir les pays en situation de faiblesse afin de mieux pomper leurs richesses. Ce sont des stratégies préparées dans des laboratoires étrangers, qui doivent profiter de la manne financière générée par les richesses naturelles de nos terres.       

Bio express :

Jeune, très actif, Al Moustapha Alhacen, président de «Aghirin’Man» (Bouclier de l’âme), membre fondateur et porte-parole de la Coordination de la société civile d’Arlit, illustre parfaitement le vrai militant pour la protection de l’environnement. Il n’a jamais fréquenté les bancs de l’école, mais son combat a fait de lui un parfait connaisseur des conséquences néfastes de l’industrie minière sur la santé de l’homme et l’équilibre écologique de sa région. C’est en 1999 qu’il a eu l’idée de créer une association pour alerter sur les cas de maladies liées à l’extraction de l’uranium dans les mines gérées par Areva. Il choisi le nom de «paravent» pour affronter ses adversaires ou, plutôt, mener sa «guerre».
La première assemblée générale, tenue en 2000, avait regroupé quelque 70 personnes, mais «lorsque j’ai dit qu’il n’ y avait pas d’argent à gagner en militant au sein de l’association» une partie des militants a abandonné le combat. Beaucoup d’autres ont fini par lâcher prise à la suite de la série de menaces de licenciements proférées par la direction d’Areva en 2003. «Seul mon secrétaire général et moi avons continué contre vents et marées en utilisant nos propres moyens dont nos salaires. Puis, des aides nous sont parvenues de nos amis du CRIIRAD et de l’ONG des juristes. Ce qui nous a permis de poursuivre notre action et de rallier à nous de nombreux militants et plusieurs associations.» C’est alors que l’idée de créer une coordination de la société civile a été retenue. Aujourd’hui,  elle compte 14 associations dont 4 qui activent pour la protection de l’environnement et d’autres dirigées par des sans-emploi et qui militent contre le chômage. Ces militants nous permettent de mobiliser la rue et de faire des campagnes importantes sur le  Net.
Salima Tlemçani

un article propulsé par TORAPAMAVOA :
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