par Bams
Il n’y aura pas de vivre ensemble sans décolonisation des imaginaires, pas d’imaginaire décolonisé sans ouverture à la diversité artistique et à la singularité d’expression.
Le sport, c’est la justice de la vie. On s’entraîne, on est bon, on réussit. Sauf si on se blesse. Il y a des valeurs dans le sport qui seraient concevables dans la culture mais qui malheureusement ne s’y retrouvent pas. Le rapport au temps, par exemple. On ne peut pas être sportif de haut niveau sans faire du temps son ami. On ne peut pas prétendre en septembre, novembre, ou décembre avoir une condition physique comparable à celle de juin, juillet et août, période des échéances de haute compétition. Ainsi pour le sportif, la notion de projet est indissociable de la durée. En musique au contraire, pour défendre un projet, il faut démarcher les producteurs et parler du résultat avant même de l’avoir cherché. C’est une finalité toujours romancée, factice. En sport, même si je ne m’entends pas avec le sélecteur national, il est obligé de me prendre si je saute les 13, 90 m qui correspondent aux « minimas » qualificatifs pour accéder à une compétition. Dans la culture, si tu refuses de jouer le jeu, tu es cataloguée : tu es la « rebelle », la « relou ». Marginalisée.
Je suis femme, noire, jeune… j’ai un peu les trois tares rassemblées en une. Quand je dénonce les discriminations dans la culture, on me répond : « tu es parano ». Citez-moi une grande chanteuse noire en France ? Euh, euh, euh… Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui quand tu es chanteuse et noire en France, ta place, c’est le rap. Et à condition de tenir un certain discours : plus il est premier degré, évident, démonstratif, plus il sera promu. C’est la seule place qu’on nous laisse : être une « caillera », ou être super consensuelle et démago.
Mon premier album, Vivre ou mourir, était un disque de rap classique. C’était volontaire, c’était politique, car cela correspondait alors pour moi au format le plus approprié à la contestation. La presse écrite m’a soutenue, et publié plein d’articles super positifs. Tous les articles disaient : « Bams, l’intelligente », « la rappeuse intelligente », « la plus intelligente »… à chaque fois, j’étais « intelligente ». En fait, prononcer des phrases qui ont plus que sujet-verbe-complément, dire autre chose que « nique la police », « la cité c’est de la merde », ou « le système on va le niquer », fait de vous une personne « intelligente ». Au bout d’un moment, j’ai interrogé les journalistes, qui me répondaient : « t’as fait une licence de maths ». Mais le niveau licence, ce n’est que bac + 3… J’insistais ; ils ajoutaient : « tes textes, tu écris bien ». Alors pourquoi ne pas me qualifier plutôt d’« auteur » ? Pourquoi pas de reconnaissance artistique ? Qu’est-ce que ça veut dire sur la façon dont ils me considèrent ? Pour mon deuxième album, De ce monde, je ne voulais absolument plus qu’on me dise « intelligente ». Alors j’ai enregistré un interlude de 30 secondes, touche mon interlude : « touche mon sexe/mets ta langue/dans mon cul/Mange mes poils… » Et ils n’ont plus dit que j’étais « intelligente ».
Ce n’est pas qu’un problème d’assignation à un rôle liée à ta couleur. C’est aussi un refus de la diversité musicale. Il n’y a pas vraiment de place pour les projets artistiques hors étiquette. Quand j’ai terminé De ce monde, dans les maisons de disques, on me disait : « On ne sait pas si c’est du rock, du rap, de la chanson. On va te mettre dans quel bac ? Auprès de quel public on va te promotionner ? C’est trop compliqué ». Décoloniser les imaginaires, ce n’est pas qu’une revendication communautaire, une résistance aux discriminations raciales, c’est aussi l’ouverture à la diversité artistique et à la liberté d’expression. C’est prendre en compte la singularité.
En tant que noire, en France, je me sens souvent humiliée. Pascal Sevran dit que « la bite des noirs est responsable de la misère en Afrique », il présente toujours son émission et il est invité sur tous les plateaux de télé pour en parler… Alain Duhamel dit qu’il vote Bayrou et se fait virer aussitôt. Pourquoi cette différence de traitement ? Comment ne pas se sentir constamment attaquée par la société française ?
En triple saut, j’ai couru pour la France. Et j’ai un jour décidé de courir pour le Cameroun. C’était politique. Le continent africain, c’est aussi à nous, noirs issus de différentes diasporas, de concourir à ce qu’il se redresse. Six ans après, la championne du monde de triple saut est une Camerounaise avec qui je m’entraînais. Chaque noir de la diaspora est une petite étoile, quand elle est visible, pour le pays. La projection d’une réussite.
Mais quel regard la France porte-t-elle sur la réussite des Noirs ? Les Nubians, un groupe français de chanteuses noires, sont disque d’or avec leur premier album aux États-Unis. 500 000 albums vendus. Qui en a parlé ? Si ça avait été Zazie ou Pauline Croze, elles auraient fait tous les plateaux télé pour raconter « la Française qui a conquis les États-Unis ». Hubert Koundé, l’acteur noir de la Haine, tient l’un des premiers rôles dans un gros film américain, fait par le réalisateur de la Cité des dieux. Qui en a parlé ? Qu’est-ce qu’on aurait entendu si ça avait été Vincent Cassel ou Benoît Magimel ? Que ces artistes réussissent aux Etats-Unis, c’est notre richesse en France. Pourquoi ne l’a fait-on pas briller ici ?
Dans cette campagne électorale, on entend beaucoup parler du « vivre ensemble ». C’est une idée importante. Mais aujourd’hui, ceux qui en parlent, sont en campagne. Ils signent des pactes à tour de bras. Parlent de la « nouvelle France » qui doit devenir visible. On verra quand ils seront élus.
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