26/06/2007

Expulsions d'enfants

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Expulsions d'enfants: "C'est toute la société qui est traumatisée"
Par Maria Malagardis (Journaliste) 16H48 24/06/2007

Miguel Benasayag (Maria Malagardis/Rue89)

Pour la première fois, une vaste enquête nationale s’intéresse aux "dommages collatéraux" de la chasse aux enfants de clandestins. Ces "victimes indirectes", témoins de violences aux portes des écoles ou de menaces pesant sur des enfants étrangers. Interview de Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste, à l’origine du projet soutenu par Réseau éducation sans frontières (RESF).
Pourquoi s’interesser aux "victimes indirectes" des expulsions d’enfants de sans-papiers, quand l’urgence ce sont les victimes directes?

Parce qu’en réalité, c’est la société tout entière qui est traumatisée. L’objectif de notre enquête est de montrer que les menaces sur les enfants sans-papiers bouleversent l’ensemble du corps social. Ce qui nous intéresse, c’est l’effet miroir de cette politique répressive. Moi aussi je suis parti des "victimes directes": à l’automne dernier, on m’a sollicité pour recevoir en consultation des petits Congolais, choqués après la tentative d’expulsion de leurs parents. Le plus jeune, âgé de 4 ans, avait été menotté. La mère, enceinte, bousculée par les policiers. Les voisins sont intervenus.
J’ai alors décidé d’organiser une réunion publique et là, j’ai soudain réalisé l’ampleur du malaise: les enfants de sans-papiers vivent un drame. Mais autour d’eux, des milliers de Français "ordinaires" sont confrontés à une violence institutionnelle inédite. Des mômes dont les copains vivent dans une insécurité permanente, des parents déboussolés, des profs qui ont banalisé le fait de cacher des enfants, de les faire sortir par des portes dérobées pour éviter la police à la sortie de l’école. Tous ces gens seront au cœur de l’enquête nationale lancée avec l’aide de médecins, de sociologues, de psys et d’enseignants.
Dans ces cas précis, la solidarité a pourtant souvent bien fonctionné... Comme en témoigne l’émergence de RESF, né il y a trois ans du refus d’expulser ces enfants…
On a effectivement une mobilisation sans précédent, qui dépasse les clivages politiques. Ce qui prouve bien que ce combat n’est pas idéologique. Mais on appréhende encore la solidarité de façon militante, à sens unique. On oublie qu’elle est d’abord un lien entre plusieurs personnes. Et que celui qui reste, sera lui aussi traumatisé quand des petits Kosovars disparaissent de la classe ou du quartier. C’est ce qui nous intéresse: "Dites moi comment, vous qui restez ici, vous vivez ces expulsions, ces menaces?".
Lors de notre pré-enquête, on s’est rendu compte que les gens vivaient très mal ces situations. La société est une unité, qu’on le veuille ou non. Quand un enfant disparaît de la classe, c’est toute la communauté qui est amputée... Il n’y a pas de passivité possible. On est touché malgré soi. Vous pouvez bien dire que vous ne vous intéressez pas à la pollution, ça n’empêche pas que vous êtes affecté par l’air pollué que vous respirez...
Le fait qu’il s’agit d’enfants a été déterminant dans cette mobilisation…

Oui mais pas au sens où on l’entend d’habitude. Si le sort de ces enfants a touché les gens, c’est parce qu’on a franchi une ligne rouge: un clandestin choisit le risque de venir en France illégalement. Mais un enfant qui grandit ici, il est juste coupable d’être né de parents sans papiers. Il est d’abord condamné pour ce qu’il est. Ce qui rappelle évidemment de mauvais souvenirs dans l’Histoire.
Et comment expliquer ça aux autres enfants? Quand la maîtresse s’oppose aux policiers, ce sont soudain deux autorités de référence qui s’affrontent. Pour un enfant, c’est très déstructurant. Et puis les enfants sont très corporatistes, l’Autre n’est jamais tout à fait autre. La disparition du copain, c’est l’image de l’ogre qui ressurgit. Et dans ce cas-là, l’ogre c’est l’Etat.

Comment allez-vous mener votre enquête?
Nous avons distingué trois cercles: le premier concerne les victimes directes de violences. Comme cette école de Belleville, à Paris, où les policiers sont intervenus pour arrêter un grand-père chinois à la sortie des classes. Et puis il y a un deuxième cercle, pour tous les établissements où il existe des enfants sans papiers menacés mais où, pour l’instant, il ne se passe rien. Enfin, un troisième cercle concerne les établissements qui ne sont pas touchés mais qui ont peut-être entendu parlé de ces problèmes.
En septembre, grâce aux relais de Resf, nous allons envoyer des questionnaires, établis pour chacune de ces cibles. C’est une enquête sociale, pas de santé publique. Mais déjà dans l’immédiat, une cellule psychologique sera bientôt créée au sein de RESF, pour permettre à tous ces gens, des parents, des enfants, des profs, de venir parler et peut-être de trouver le moyen de se sentir moins démunis. Ils sont des milliers à avoir perdu leurs repères à cause de ces situations inédites. Personne n’en sort indemne.

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