Par Nestor Romero (Ancien enseignant)/Rue 89 12H43 26/06/2007
Il est maintenant reconnu par à peu près tous les observateurs de l'école que la politique des ZEP mise en place au début des années 80 n'a pas atteint son objectif essentiel, qui était, on a tendance à l'oublier, la lutte contre l'inégalité scolaire, c'est-à-dire contre l'inégalité sociale.
Claude Thélot le disait, voici cinq ans déjà, en ces termes: "Il faut avoir le courage de reconnaître que les objectifs de départ de réduction des écarts, n'ont pas été atteints..." (dans la revue Diversité Ville-Ecole-Intégration n°5, octobre 2002).
C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, les militants de l'Observatoire des zones prioritaires (OZP) préconisent depuis longtemps la concentration des moyens humains et financiers dans les zones les plus démunies. Ce qui a été fait par le précédent gouvernement avec la création des RAR (Réseaux ambitions réussite). Il est bien sûr trop tôt pour évaluer le dispositif mais non, en cette fin d'année scolaire, pour en discuter les intentions.
L'égalité des chances, un oxymore?
Voici, à cet égard, ce que déclarait le ministre de Robien le 16 janvier dans son discours d'ouverture du séminaire consacré aux RAR: "Le principe (des RAR) c'est bien sûr l'égalité des chances", car, "l'égalité des chances est une exigence républicaine", et, encore, "l'égalité des chances est aussi une des expressions les plus nobles de la mission de service public".
Tout ceci dit avec l'assurance forgée par l'énoncé d'une évidence, comme si, cette notion, l'égalité des chances, allait de soi. Il n'en est rien. L'expression, en effet, n'associe-t-elle pas deux termes qui se regardent en chiens de faïence, pour former quelque chose de l'ordre de l'oxymore, selon le mot mis à la mode par je ne sais qui?
Le complément "chances", dont on flanque l'égalité, ne va pas, en effet, sans susciter quelque perplexité tant il évoque l'ordre du hasard, de l'incertitude, de l'indéfini, choses, celles-ci, peu compatibles avec la rigueur toute mathématique de l'égalité. Ne soupçonne-t-on pas alors que ces "chances" ne sont là que pour détourner l'attention de la seule question qui vaille d'être posée, celle de l'égalité... tout court?
En outre, l'expression ne fait-elle pas irrésistiblement penser à ces marathons où des milliers de participants sont sur la même ligne de départ mais dont chacun sait bien que la véritable compétition ne concerne qu'une dizaine d'entre eux? Ne savons-nous pas, de la même façon, surtout nous, enseignants, pratiquement dès la maternelle, quels sont ceux de nos élèves qui "réussiront" et ceux qui abdiqueront (aux exceptions près)?
Des "intelligents concrets" toujours issus des mêmes milieux
Il est vrai que l'on a tendance, aujourd'hui, à éluder les questions posées par la reproduction sociale au profit d'une rhétorique où "l'égalité des chances" enlace la "compétition" et le "mérite" pour faire éclore l'inusable métaphore de l'ascenseur social.
Que l'on me montre, pourtant, un enfant d'enseignant, de journaliste, de ministre ou de notaire "réussissant" un CAP maçonnerie! Et que l'on me dise que tous ces enfants qui n'auront pas la "chance" de prendre "l'ascenseur social" (car l'espace y est limité, n'est-ce pas?) ne sont bons qu'à cela, qu'à assumer les tâches sociales les plus rébarbatives. Qu'ils n'ont pas, ces enfants-là, une suffisante capacité à l'abstraction, comme l'on dit dans l'institution, qu'ils ne sont dotés que d'une "intelligence concrète", estimable, respectable, sans doute, mais qui les destine, évidemment, aux tâches concrètes. Et que l'on m'explique pourquoi ces "intelligents concrets" sont toujours issus des catégories sociales les plus pauvres.
De sorte que placer les RAR, sous le signe d'une expression aussi contestable que "l'égalité des chances" constitue, non seulement un recul par rapport à l'objectif des ZEP, mais apparaît comme une figure idéologique, un voile posé sur la réalité, une construction intellectuelle qui justifie l'ordre existant c'est-à-dire l'inéluctabilité de cette inégalité sociale que la création des ZEP se proposait de réduire.
On donne plus, on ne donne pas mieux
Certes, ce serait un indéniable progrès que de parvenir à "amener tous les élèves à une qualification du niveau V (CAP, BEP)" comme le propose l'OZP, mais il ne s'agit là que d'un objectif limité, qui ne peut se substituer à la mission de l'école dans une société démocratique: permettre à chaque enfant de prendre conscience de ses potentialités et de choisir l'activité sociale dans laquelle il pourra les exprimer.
Pourtant, il est fort peu probable que cet objectif limité soit atteint, car les mêmes causes qui ont produit l'échec des ZEP président à la création des RAR. On donne plus mais on ne donne pas ce qu'il faut et ce qu'il faut, tous les enseignants des "zones" le savent bien, c'est la mise en oeuvre d'une autre pédagogie dans les établissements, c'est-à-dire, d'un autre mode de vie, un mode de vie qui prenne en compte les spécificités (les prérequis, dit-on) des enfants de la "zone".
Car il ne sert à rien de "donner" des "études", des "aides aux devoirs" et des heures de "soutien" qui ne font que reprendre les mêmes cours selon les mêmes méthodes qui ont provoqué l'échec, bref, il ne suffit pas de rabâcher à l'intention d'élèves qui n'en peuvent plus (surtout en fin de journée) d'être assis là, comme au spectacle... celui de leur ennui.
Mettre en place un autre mode de vie dans les établissements cela suppose nécessairement au moins deux conditions: le travail collectif des enseignants (à ne pas confondre avec la simple "concertation") et la mise en oeuvre de démarches pédagogiques "différenciées", c'est-à-dire répondant à l'hétérogénéité de la population scolaire. Mais, on le sait bien, de nombreux enseignants redoutent que la mise en place de ce nouveau mode de vie ne perturbe leur propre mode de vie fondé sur la "pratique solitaire du pouvoir" et la stabilité de leur emploi du temps.
De sorte qu'il ne sert à rien de nommer des professeurs "référents" (dont on apprend d'ailleurs que faute de volontaires, ils sont souvent jeunes et contraints), de mettre en place des "études et des soutiens individualisés ", tout cela a été pratiqué dans les ZEP sans succès.
En ZEP, des succès dus au hasard des mutations
Pourtant, lit-on parfois, des établissements ZEP ont connu une certaine réussite. C'est vrai mais ce n'est pas une spécificité des ZEP: c'est le cas chaque fois que le hasard des mutations réunit dans un établissement, quel qu'il soit, un groupe d'enseignants décidés à "faire quelque chose ensemble".
Enfin, et peut-être surtout, il ne peut y avoir de véritable lutte contre l'inégalité sociale sans mixité sociale dans les établissements scolaires, donc sans une politique de la ville et du logement favorisant cette mixité sociale. C'est là que l'on attend la nouvelle secrétaire d'Etat Fadela Amara.
Mixité sociale, travail collectif des enseignants, pédagogie différenciée: on ne prend pas grand risque à prédire que le non-respect de ces impératifs conduira les RAR aux déconvenues observées dans les ZEP, à l'échec de la lutte contre l'inégalité. Je prends date.
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