Les habitants des cités se réapproprient leur histoire
Par Didier ARNAUD
QUOTIDIEN : samedi 23 juin 2007
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U ne exposition sur les bidonvilles de la banlieue parisienne, actuellement à l'institut CGT de l'histoire sociale. Des travaux sur l'histoire des Francs-Moisins. Un atelier d'écriture sur la Cité rouge de Gennevilliers. Un archivage oral qui donne un livre ( Douce Banlieue ) sur le peuplement de la Seine-Saint-Denis. Et, ce week-end, au Forum social des quartiers populaires à Saint-Denis, une table ronde baptisée «Histoire et mémoire». Depuis quelques années, la mémoire des quartiers et de l'immigration s'impose. Elle a commencé à fleurir avec les premières opérations de réhabilitation-démolition et apparaît comme une «nécessité». «Cela permet de faire le deuil pour les habitants», raconte Bénédicte Madelin, directrice de l'association Profession banlieues. Jusqu'à récemment, la mode n'était pas à la conservation de ces souvenirs. La sociologue Catherine Foret confiait en janvier : «Nombre d'institutions sont amnésiques, peu habituées à l'archivage. Un organisme HLM que j'interrogeais à Grenoble nous a répondu : "Notre boulot, ce n'est pas de laisser des traces, mais de produire des logements."» L'inverse de cette conquête d'une histoire perdue. Celle, par exemple, des luttes des immigrés dans les foyers Sonacotra au début des années 70, ou des grèves dans des fonderies lyonnaises, en 1971. «On parle toujours de l'incapacité à transmettre des parents immigrés, mais la réalité est autrement plus complexe», remarque un membre du Forum social des quartiers populaires. «Nous avons envie de faire connaître cette histoire méconnue, de la rendre visible», poursuit-il.
Occultation. En 2002, la DIV (Direction interministérielle à la ville) a recensé un catalogue de plus de 200 actions autour de «la mémoire, la production de sens et le récit dans la ville». Certains lieux font plus que d'autres l'objet d'une occultation. Quant aux historiens, ils ne sont pas nombreux à s'être penchés sur ce thème. Même si leurs travaux montrent l'éternel renouvellement. Ainsi l'historienne Natacha Lilo, qui raconte avec humour le quartier des Francs-Moisins (Saint-Denis), où, déjà, les Espagnols vivant dans des «baraques» dans les années 20 faisaient l'objet de la colère de riverains qui se plaignaient de l'eau croupissante et des «matrones prolifiques». Aujourd'hui, les cibles ne sont plus les mêmes.
Cités désertées. Il est une mémoire plus proche, plus immédiate. Celle de ces quarante dernières années. Elle est utile aux politiques publiques, car elle devient une autre manière d'évaluer la politique de la ville. A Roubaix des initiatives se constituent autour d'historiens pour collecter la mémoire orale des habitants. Idem à Saint-Denis, où Benoît Bréville, un jeune chercheur, a récolté des dizaines d'heures de témoignages d'habitants des Francs-Moisins. Bon nombre d'entre eux sont partis, des immeubles ont été démolis, peu de jeunes ont témoigné. Ce mouvement est un obstacle à la restitution. «Déjà dans les années 90, on avait ce sentiment que rien ne tenait dans les quartiers. Tout est sans arrêt en train de bouger, l'immeuble tombe, les gens s'en vont», résume Bénédicte Madelin. Benoît Bréville a fait part de ses observations à quelques habitants, restés circonspects. «Il a réécrit une autre histoire à partir de témoignages», confie une élue habitante du quartier. Une assistante sociale, qui a connu le passage des populations des bidonvilles aux nouvelles cités, reconnaît la nécessité de faire appel à l'histoire pour faire un bilan : «Les premières années, on était heureux de sortir les gens de la gadoue et des épidémies, de les faire vivre à la verticale, mais ils n'y étaient pas habitués. Après quarante ans de vie professionnelle, je regrette ne pas avoir su anticiper le changement qu'on a imposé à ces populations-là.» Reste la difficulté de travailler sur une matière vivante, parfois trop récente : «Les gens disaient en substance : "Cette histoire n'est pas la nôtre." J'ai vu des travaux de mémoire raviver des douleurs», dit Catherine Foret. Elle cite la Duchère, à Lyon, où le maire a préfacé un livre écrit par un habitant et parlé d' «histoire officielle», au grand dam de ceux qui ne se reconnaissaient pas dans ces souvenirs. «Il faut concevoir ce travail comme un processus de production partagée. La mémoire peut être une ressource pour l'action, une capacité critique des citoyens pour de nouveaux projets. L'important est de mettre cela en débat pour un large public», conclut Catherine Foret.
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