«On est dans la diplomatie marketing»
Tous les lundis, un expert décrypte une question d'actualité. Aujourd'hui, l'économiste Yves Ekoué Amaïzo.
Par Christian LOSSON
QUOTIDIEN : lundi 11 juin 2007
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A l'issue du G8 2005 de Gleneagles, «l'Afrique n'est pas au centre du débat», regrettait dans nos colonnes Yves Ekoué Amaïzo. Histoire d'esquisser un nouveau bilan, nous avons décidé de lui redonner la parole. Après le G8 2007 de Heiligendamm, il dénonce une illusion de gouvernance mondiale.
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* Yves Ekoué Amaïzo
A la lecture du bilan du G8, vous demandez-vous à quoi sert ce genre de sommet ?
On est passé de l'informel au formel. On avait cette année des délégations d'un total de 2 000 personnes, 4 000 journalistes accrédités et, à l'arrivée, c'est l'opacité grise, l'illusion de la transparence qui domine. On doit se contenter de déclarations de victoires des chefs d'Etat sur tel ou tel sujet (climat, aide, Darfour) ou lire le recyclage de promesses qui n'engagent que ceux qui y croient. Finalement, le G8, c'est l'illusion d'une gouvernance mondiale. Ce sont dans les rencontres bilatérales que se nouent ou se dénouent de vrais enjeux, pas dans l'affichage d'un irréel collectif des pays riches. Le fossé s'élargit entre les satisfecit et les réalités, entre les mots des chefs d'Etat des pays riches, émergents ou pauvres, et les citoyens. On est dans la diplomatie marketing qui s'apparente à une gouvernance du «multi-bi» : se retrouver à l'international pour faire des réunions bilatérales.
Le G8 s'est-il mis lui-même dans cette position en voulant discourir sur tous les maux du monde ?
Il l'a fait sous la contrainte, sous la pression des opinions publiques. Mais, finalement, à Heiligendamm, les textes finaux montrent bien le refus du G8 à avoir des vrais objectifs chiffrés avec des dates butoirs. Que ce soit sur le climat, l'aide au développement ou les conflits régionaux, les Huit ne s'engagent sur aucun calendrier ni contrainte budgétaire. Le summum est leur rappel à s'engager à doubler leur aide à l'Afrique d'ici à 2010. Même s'ils s'y tiennent, ils n'arriveront pas aux promesses qu'ils avaient faites il y a plus de trente ans de porter leur aide à 0,7 % de leur revenu brut national...
Ils ont pourtant inscrit cette «priorité» au coeur de leurs agendas depuis plus de six ans...
Oui, mais le G8 fait preuve d'une formidable ambiguïté sur deux sujets pourtant majeurs. D'abord, la propriété intellectuelle. A Heiligendamm, le G8 a réaffirmé, au nom de la lutte contre le piratage, la nécessité de verrouiller au maximum les droits de propriété intellectuelle. D'un côté, donc, les pays riches disent qu'ils vont consacrer 60 milliards de dollars sans dire sur combien d'année à la lutte contre les pandémies. De l'autre, ils ne disent pas un mot sur les procès de leurs firmes pharmaceutiques contre les gouvernements qui entendent faire valoir leurs droits acquis à l'OMC : voter des lois qui permettent la production de génériques à bas prix. Ils dénoncent la piraterie, mais qui va dans les pays du Sud déposer des brevets sur des idées, des plantes ? Cette forme de propriété intellectuelle, c'est l'inégalité forgée dans la loi.
L'autre ambiguïté des Huit, c'est sur le commerce international ?
Bien sûr. Le cycle de Doha, lancé en 2001 et censé être celui des pays en développement, n'est toujours pas bouclé. Il achoppe principalement sur la question des subventions agricoles. Là-dessus, le G8 n'a évidemment pas pris de position volontariste. Les pays riches versent 350 milliards de dollars de subventions à leurs agriculteurs, alors qu'on interdit au Sud d'en faire autant et qu'on lui demande d'ouvrir ses marchés. Au fond, les Huit défendent leur intérêt particulier, c'est compréhensible. Mais qu'ils ne se drapent pas dans la morale ou l'éthique, en assurant vouloir l'intérêt général.
Mais les grands pays émergents présents au G8 agissent de même, non ?
Ils reproduisent avec leur culture ce qu'ont fait les pays riches. Comme la Chine. En Afrique, on passe de la Françafrique à la Chinafrique. Et se poursuit l'obsolète troc «matière première africaine contre produits manufacturiers chinois». Ce pourrait être une formidable opportunité pour développer les infrastructures, doper les capacités productives. Mais les dirigeants n'y voient qu'une manne à se partager entre personnes d'une petite minorité. Leur inertie finit par générer l'inégalité, l'absence de création de richesses et le mal-développement. Ils vivent de la «ventrologie» [politique du ventre, ndlr], la non-transparence et l'impunité.
La solution passe par plus de coopération plutôt que de compétition ?
J'appelle cela la «coopétition» entre partenaires inégaux. Un mélange des deux. Les pays riches doivent accepter l'idée d'un transfert de technologie et de savoir-faire. Mais on en revient au verrouillage de la propriété intellectuelle. Dans les années 60, la Somalie était plus riche que la Corée. Mais cette dernière a bénéficié d'un vrai plan Marshall, doublé d'une politique intensive de copie-transfert et de protectionnisme, comme l'ont fait les pays riches pour se développer. La Chine a, elle, choisi seule une autre option : elle est venue chercher des usines textile pièce par pièce en Allemagne pour les remonter là-bas, elle a pillé les modèles et les designs en Afrique avant de les imprimer chez elle et de les réexporter moins cher sur le continent africain lui-même.
Le G8 rappelle que la croissance africaine approche les 6 %...
Un chiffre trompe l'oeil. Car basé essentiellement sur l'extraction de matières premières, à commencer par le pétrole, que le G8 entérine. La richesse est préemptée et par ailleurs toujours aspirée par la dette, que les Huit se gargarisent pourtant d'avoir rayée. Le G8 incarne une pseudo-gouvernance mondiale subtile. Où des chefs d'Etat africains, parfois corrompus, viennent en spectateurs se voir donner des leçons de gestion par des pays, souvent corrupteurs. Où ils parlent du monde à travers leur propre prisme qui oublie la société civile africaine. Ils n'envisagent les migrations que sous l'angle de la sécurité, à l'image de la France qui gagnerait à parler de migrations négociées plutôt que choisies ou maîtrisées. Pourquoi l'Europe s'indigne de voir des bateaux-pirogues bourrés de migrants venir mourir à ses portes quand, par exemple, des bateaux-usines viennent piller les mers jusqu'à un mile du littoral africain ?
Comprenez-vous la colère des manifestants ?
On peut s'interroger sur les «violences» des black blocs. Ont-elles été suscitées ou instrumentalisées par la police avant le G8, avec la complaisance des médias ? Tout s'est passé comme si cela permettait d'occulter le travail d'analyse des grandes ONG internationales, les seules, pour la plupart, à être les vraies avocates des populations des pays pauvres
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