24/06/2007

La drague aux 'bobos'

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Les bobos font passer les villes à gauche
LE MONDE | 23.06.07 | 13h40 • Mis à jour le 23.06.07 | 13h40
TOULOUSE ENVOYÉ SPÉCIAL

Bienvenue à "Boboland". S'il fallait un symbole, ce serait le vélo. Version étudiante avec sac à dos. Version profession libérale avec la veste de costume ou le sac à main dans le panier avant. Version jeune mère de famille avec le siège enfant. Le vélo et tout le décor qui va avec. Tramway, rues semi-piétonnes, cafés branchés, petit-commerçant-du-coin-qui-nous-connaît... Les centres-villes changent. Ils sont envahis par ceux qu'on appelle, de manière un peu caricaturale, les bobos, les bourgeois bohèmes. Ils s'ancrent à gauche. C'est une tendance de fond qui s'est révélée, à la faveur des législatives, à Bordeaux, Lyon, Caen, Toulouse et Strasbourg.

Les maires de droite accompagnent, contraints et forcés, cette évolution qui leur est défavorable. A Toulouse, Jean-Luc Moudenc (UMP) s'apprête à créer dans sa ville 140 "vélos-stations" au mois de novembre. Il vient de subir une défaite cuisante aux législatives, dans la 1re circonscription, celle qu'il décrit lui-même comme "la circonscription des maires de Toulouse". Naguère occupée par Dominique Baudis et Philippe Douste-Blazy. "Le mode de développement des villes favorise une sociologie qui ne nous est pas favorable, reconnaît-il. Dans le centre, la droite est prise en étau entre une gauche populaire en situation de précarité, qui occupe des immeubles locatifs non rénovés, et une gauche bourgeoise, composée d'enseignants, d'ingénieurs, d'universitaires. Pour autant, je n'envisage pas le développement urbain en fonction de mon électorat, mais en faveur de la qualité de vie."
Toulouse se renouvelle, Toulouse bouillonne. La ville accueille chaque année entre 15 000 et 18 000 nouveaux habitants, tandis que sa population stagne autour de 430 000. Le soir, la place du Capitole et la place Wilson s'animent peu. Les vrais lieux de vie se sont déplacés sur les bords de la Garonne, dans les quartiers de Saint-Pierre et La Dorade. Ou à Arnaud-Bernard, îlot populaire aux allures de "petit souk" à l'ombre de la basilique Saint-Sernin. Là, les cafés restent ouverts tard le soir. Toute une population estudiantine s'approprie les lieux.

"EN CONTRADICTION AVEC LA VILLE"
Jean-Luc Forget, candidat MoDem aux législatives (10 % des voix), constate que c'est dans ces quartiers vivants qu'il a obtenu ses meilleurs scores. "La traditionnelle bourgeoisie s'est recroquevillée, affirme cet avocat. Le centre est habité désormais par des gens qui vivent différemment, très "culture", artistes ou qui se pensent artistes. En décalage avec le personnel politique de la mairie qui, lui, n'a pas changé." Salah Amokrane, ancienne tête de liste des Motivé-e-s aux municipales de 2001, fait le même constat : "La majorité municipale ne se rend pas compte que la ville a changé. Ils sont encore dans la vision d'une bourgeoisie provinciale qui recherche sa tranquillité : pas trop de bruit le soir, des cafés qui ferment tôt, et que ça ne sente pas trop le kebab. C'est en contradiction avec ce que la ville est devenue."
La députée PS nouvellement élue, Catherine Lemorton, voit d'abord dans la défaite de Jean-Luc Moudenc la fin des années Baudis. Ce qui n'exclut pas une analyse en termes d'évolution sociologique. "Le maire a été tenté d'utiliser les réseaux Baudis, les clubs du troisième âge, le rugby, les notables... Le problème, lorsqu'on est élu, c'est qu'on ne voit plus les électeurs qu'à travers les associations et les réseaux, qu'on arrose de subventions. Or la plupart des gens ne sont rien. Ils n'appartiennent à aucun réseau. In fine, ce sont les électrons libres qui font les élections."
Les sociologues de la bourgeoisie, Monique et Michel Pinçon, ont eu l'occasion d'étudier ces nouvelles couches sociales à Paris, ville qui a été précurseur : "Ce sont des gens qui ont une bonne position dans la société et qui, en même temps, ne sont pas des héritiers, expliquent-ils. Ils doivent leur réussite sociale à leurs études. Ils parlent de leur quartier comme d'un "village". Avec un brin de nostalgie dans la voix." Quelque chose entre Amélie Poulain et Chacun cherche son chat.
Toulouse n'échappe pas à la tendance générale. La cité et son agglomération correspondent assez bien au schéma de la "ville à trois vitesses" décrite par le sociologue Jacques Donzelot. Relégation des enfants de l'immigration dans les cités, dont le Mirail est le symbole ; évasion des classes moyennes vers le périurbain et des quartiers autrefois populaires, comme les Minimes, chantés par Nougaro ; enfin, gentryfication du centre-ville par l'installation d'une nouvelle bourgeoisie.
Marie-Christine Jaillet, sociologue à l'université du Mirail, met en garde contre une corrélation trop forte entre la gentryfication des centres-villes et le vote à gauche. "La classe créative, autrement dit les bobos, est en réalité très composite. On y trouve une mouvance bohème, artistique, précaire, et un niveau plus élevé, composé d'ingénieurs, de créateurs, de tous ceux qui participent au développement économique." Selon cette spécialiste de la ville, le centre de Toulouse est plus divers qu'il n'y paraît. "On trouve encore des milieux populaires dans les espaces interstitiels oubliés par la rénovation. Il faut aussi prendre en compte les étudiants, de plus en plus nombreux à s'inscrire sur les listes électorales de leur lieu de résidence. Parmi eux, beaucoup des jeunes qui travaillent ou sont en situation de précarité."
La gauche estime que ce nouvel électorat doit logiquement tomber dans son escarcelle. La députée Catherine Lemorton décrit les bobos comme "des personnes de 30-45 ans, qui ont les moyens et qui sont des humanistes". "Ils sont ouverts sur le monde, prêts à une certaine mixité sociale. Ils basculent à gauche. Royal a fait 57 % dans ma circonscription." Jean-Luc Forget, du MoDem, les verrait plutôt centristes : "Ce sont des gens qui ne votaient pas, et qui sont attirés par une nouvelle manière de faire de la politique. Bayrou a fait 19,2 % dans la circonscription." Le maire, Jean-Luc Moudenc, n'a qu'un mot à la bouche pour séduire cet électorat en 2008 : l'ouverture. "Mon idée est de faire une liste ouverte, politiquement et sociologiquement. Avec des gens qui ont une sensibilité de gauche et qui incarnent la diversité de la ville." La bataille municipale s'annonce rude.
Xavier Ternisien
Article paru dans l'édition du 24.06.07.

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