15/06/2007

Q8 G8

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Vu sur Libé
Rebonds
L’effroyable ivresse
Par Daniel SCHNEIDERMANN
QUOTIDIEN : vendredi 15 juin 2007
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Sarkozy ivre au G8 ! Instantanément, la Toile s’enflamma. Un cyberemballement comparable, on n’en avait pas vu depuis, peut-être, la publication de l’Effroyable Imposture de Thierry Meyssan, le livre qui affirmait qu’aucun avion ne s’était écrasé sur le Pentagone. Ce fut un déferlement de mails alarmés, de textos enflammés, de liens incandescents vers une floraison de vidéos en ligne. Le présentateur du journal télévisé belge a affirmé que Sarkozy n’avait «pas bu que de l’eau» lors de la conférence de presse du G8 ! Ici, sur ce site, retrouvez les images belges exclusives de Sarkozy bourré, sortant de chez Poutine ! Non, venez plutôt par là, on voit mieux ! Le Président, bourré. Torché. Soûl. Chacun son texto, jusqu’aux petits pâtres des montagnes de haute Provence, au milieu des moutons. Evidemment, tous les cybersignalements sont assortis des sommations d’usage. Vous allez en parler, de Sarkozy bourré ? Vous allez enquêter ? Vous allez retrouver les verres ? Vous allez montrer l’image, ou vous allez la censurer comme toutes les télévisions françaises, puisque seuls les Belges et les Suisses ont eu le courage de la montrer ! En quelques jours, plus de dix millions d’internautes auront donc visionné, par-dessus le blocus des chaînes hertziennes, les quelques secondes où l’on voit le président de la République française hésitant, l’élocution pâteuse, les souvenirs vagues. Et ils en retiendront ceci : voilà le Président, aux yeux du monde entier, dans un état second, et la télévision aux ordres, comme d’habitude, n’en a rien dit. Selon les mécanismes déjà connus et éprouvés, ce cyberemballement constitue rapidement en lui-même un événement qui force les portes des médias traditionnels. C’est l’emballement qui oblige l’AFP à se fendre d’une longue dépêche expliquant toute l’affaire, rappelant que de notoriété publique le Président ne boit pas, et mentionnant que le présentateur belge, Eric Boever, s’est platement excusé auprès de l’ambassade de France à Bruxelles afin que, selon un porte-parole de la RTBF, «ces excuses soient relayées à qui de droit, jusqu’à l’Elysée si nécessaire».
Alors, qu’en est-il ? En l’absence de témoignages directs de l’entrevue Poutine-Sarkozy, la suite des images de la conférence de presse, non diffusées par la télévision belge, ne permet pas de parvenir à une conclusion définitive sur l’alcootest présidentiel. Elles montrent seulement un homme essoufflé, en proie à ses tics habituels, peut-être fatigué, aux prises avec un certain embarras digestif. Et avec un trou de mémoire puisque, dressant le bilan de ses entretiens avec Poutine, il parle elliptiquement de «la journaliste» pour évoquer Anna Politkovskaïa, assassinée l’an dernier. C’est déjà beaucoup. Il suffit de voir quelques secondes, n’importe lesquelles, de cette conférence de presse présidentielle pour s’apercevoir «qu’il se passe quelque chose», même s’il est malaisé de discerner quoi. Toutes ces scènes, diffusées en direct en France par les chaînes d’information continue, très regardées dans les autres rédactions audiovisuelles, auraient pu justifier un sujet au 20 heures. On aurait pu s’interroger sur les causes d’une certaine méforme présidentielle. Mais non. Vous n’y pensez pas. Et toujours la même réticence du «mainstream», qui, selon la même malsaine mécanique, nourrit la même hystérie de la Toile. Le phénomène de vases communicants est désormais bien connu. Et dans la presse écrite ? Au lendemain, pas grand-chose non plus. A l’exception d’un article, lui aussi largement reproduit sur la Toile, et déplaçant légèrement le champ de vision. «Le malaise venait du ton, raconte le journaliste. L’hôte de l’Elysée était euphorique. Il planait. Au point de nous prévenir qu’il avait “gardé son calme” devant Poutine. Ce Nicolas Sarkozy paraissait éberlué, bluffé, étonné lui-même d’être enfin là, dans ce saint des saints de la puissance mondiale. Dans ce G8, on n’a pas une seconde, on court de réunion en réunion», a-t-il poursuivi. Regards déconcertés des confrères. Ce président-là ressemblait à un grand ado un peu perdu, sortant de sa pochette-surprise ses propositions pour sauver le monde : moratoire de six mois sur le Kosovo, annonce d’une prochaine visite au Royaume-Uni pour convaincre Gordon Brown de soutenir son «traité simplifié». Pas alcoolisé. Plutôt survitaminé. Comme dopé. Quelque chose sonnait faux dans ses mots. Il n’était pas ce soir-là le chef de l’Etat français. Il était «Sarko» : cet énergique politicien qui vous veut du bien, vous sourit mécaniquement, est bourré de tics et ramène tout à lui : la victoire arrachée à Bush sur le climat, l’arrêt des souffrances au Darfour. Amphétamines, alcool, déprime ? Laissons de côté les rumeurs qui vagabondent sur l’Internet. «Ce qui m’a sidéré, en cette fin d’après-midi au G8, c’est que Nicolas Sarkozy ne parlait pas de l’état du monde. Il nous parlait de lui, de sa “franchise”, de son “agenda”, de son “calme”. D’abord ivre d’être là. Soûlé par ses propres paroles.» L’article est signé Richard Werly, du quotidien le Temps. C’est un journal. suisse.

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