Par Jean de Maillard (Magistrat) 09H34 06/06/2007
Maintenant qu’on connaît les grandes lignes du projet de Nicolas et Rachida, l’honnêteté oblige à dire que la montagne a accouché d’une souris. Bien sûr, on peut déjà prédire les réactions de l’opposition, ou de ce qu’il en restera bientôt, comme celle des professionnels –magistrats et avocats. Elles ne brilleront ni par leur originalité, ni par leur finesse, ni par leur profondeur. Mais surtout, elles vont passer, une fois de plus, à côté de l’essentiel.
Pour commencer, il était clair depuis le début, pour tous ceux qui connaissent un peu le droit, que le programme anti-récidive de Nicolas n’était fait que pour la galerie électorale. En France aujourd’hui, une législation aussi brutale que celle du "three strikes and you are out" californien ("trois fois et vous êtes hors jeu"), n’aurait aucune chance de passer la rampe constitutionnelle (avec cette loi américaine, la troisième infraction vaut à son auteur une peine minimale de vingt-cinq ans de prison). La future loi fixera donc des seuils de peines à prononcer par le juge en fonction du nombre de récidives du délinquant. Mais le juge pourra toujours mettre une peine moins forte: il suffira qu’il dise pourquoi. Est-ce démocratiquement si choquant? Après tout, nous jugeons au nom du "peuple français" et le peuple peut nous dire, par représentants interposés, selon quels critères il veut que nous jugions.
Quant à l’abaissement de la majorité pénale, du moins ce qu’on appelle comme ça dans la presse, ce n’est guère plus qu’une variante de la suppression de l’excuse de minorité, que le tribunal pour enfants peut déjà prononcer... depuis l’ordonnance de 1945 sur les mineurs délinquants. La différence, c’est que la division par deux de la peine pour les mineurs par rapport aux peines encourues par les majeurs disparaîtrait automatiquement pour les récidivistes. Mais cela n’empêchera pas pour autant le tribunal de prononcer une peine inférieure à celle qui est prévue, comme avant. Autrement dit, le tribunal n’aura pas besoin d’exclure l’excuse de minorité pour condamner à une peine supérieure à la moitié de la peine encourue par un majeur, la loi l’aura fait pour lui. Mais rien ne l’obligera non plus à aller aussi loin. Le problème, c’est qu’on ne voit jamais une juridiction pour mineurs monter aussi haut dans l’échelle des peines.
Beaucoup de bruit pour pas grand chose, finalement. A moins que la vraie question posée par ce texte ne soit ailleurs. Il entérine en effet un changement d’approche dans la politique pénale dont on aurait aimé que nos censeurs habituels disent un mot. Encore aurait-il fallu, sans doute, qu’ils s’en aperçoivent.
Voici de quoi il s’agit: depuis la fin de la dernière guerre, les politiques pénales étaient inspirées, en France comme ailleurs, par une idée aussi simple que généreuse: le délinquant est un exclu de la société qu’il convient de réinsérer, à la fois pour lui-même et pour le bien de la société. Mais à partir des années 70, les travaux de criminologues nord-américains ont jeté un sérieux doute sur ce programme, avec un mot d’ordre désabusé: "Nothing works!", ("Rien ne marche!"). La mondialisation venant, le délinquant est alors passé du statut d’exclu malgré lui à celui de calculateur qui fait le choix –rationnel, cela s’entend– de prospérer au détriment de la société. Celle-ci peut donc légitimement se défendre et le but des politiques pénales est devenu la protection de la société contre les atteintes criminelles, de deux manières principales: par la mise en place d’un contrôle social qui se généralise, et par la mise "hors jeu" des délinquants avérés, dont la récidive fournit généralement le critère de reconnaissance. Passant de l’utopie de la Défense sociale à celle du Contrôle social, les pays anglo-saxons d’abord, les autres ensuite et la France maintenant, qu’ils le disent ou non, ont donc basculé sur un autre paradigme.
Faut-il le regretter? Il faudrait surtout, avant de porter des jugements définitifs, se donner la peine d'y réfléchir. Le délinquant devient, dans les représentations imaginaires de notre époque, soit un malade incurable, soit un acteur averti, dont les choix rationnels répondent aux canons de l’idéologie libérale. Dans le premier cas, il vient grossir les populations à risque dont la société doit se prémunir (les délinquants sexuels viennent en tête, suivis des conducteurs alcooliques et des toxicomanes): entre injonctions thérapeutiques, bracelets électroniques et pointages en tous genres, une surveillance permanente compense leur improbable réinsertion, même si le discours ambiant, par l’inertie des croyances et des habitudes, continue de prêcher la rédemption des coupables.
Dans le second cas, la société doit ajouter au calcul coût/bénéfice du délinquant une surprime qui l’incite à rester dans le droit chemin. A défaut, pour celui "qui ne veut pas comprendre", la loi doit fournir les moyens de le retirer de la circulation puisqu’il vient fausser les règles du libre marché social. La surpénalisation de la récidive présente, dans ce type de représentation, un avantage intéressant: elle offre une protection aussi bien contre le déviant incurable que contre le calculateur impénitent.
Un mot pour la fin: cette nouvelle idéologie, qui nous gagne avec retard, est tout aussi farfelue, dans ses fondements, que l’était la précédente. Mais on ne demande pas à une idéologie d’être juste, on lui demande seulement d’être efficace. Et dans un monde globalisé, dont toute idée de progrès social est en voie d’abolition, celle-ci a pour elle le mérite d’être en phase avec son époque. Elle la façonne autant qu’elle est façonnée par elle. Il faudra s’y faire.
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