« Travailler plus pour gagner plus » est devenu le nouvel adage de la politique économique. Quelle est la validité de cette théorie ? Que se passe-t-il dans les pays où l’on travaille effectivement plus ? Et quel lien y a-t-il entre le fait de plus travailler individuellement et le chômage de masse qui est une préoccupation aussi centrale sinon plus que le pouvoir d’achat ?
La richesse créée dans un pays dépend d’une certaine quantité et d’une certaine qualité de travail. La qualité de travail correspond à la productivité horaire ; dans les pays développés, cette productivité est élevée puisque une heure de travail produit environ 40 $. La quantité de travail est fonction du nombre de personnes qui travaillent et du nombre d’heures que chacun réalise au cours d’une année. Le taux d’emploi mesure le nombre de personnes qui travaillent dans la population des 15-64 ans, il est de l’ordre de 68 % dans les pays développés. Le nombre d’heures travaillées est aux alentours de 1 700 heures par an et par travailleur ; cette mesure tient compte des personnes ayant un emploi à temps partiel qui font baisser la moyenne.
C’est bien la productivité horaire, le nombre de travailleurs et le nombre d’heures travaillées qui déterminent la richesse créée dans un pays. Si 10 personnes travaillent 1 700 heures et ont une productivité horaire de 40 $, alors le PIB sera de 10 x 1700 x 40, soit 680 000 $. Les données de l’OCDE sur 28 grands pays développés permettent de regarder comment ces trois facteurs se combinent pour former le PIB de chaque Etat.
« Travailler plus » n’est pas le meilleur levier du « gagner plus »
Un niveau élevé de taux d’emploi et de productivité horaire sont les vrais facteurs de richesse pour un pays. Par contre, dans le graphique de gauche, on constate que le nombre d’heures travaillées n’est pas un facteur de richesse. Au contraire, les pays où l’on travaille le plus se classent aux dernières places en terme de richesse par habitant (Pologne, Mexique, Turquie, Corée, République tchèque, Hongrie, Grèce, Italie).
Et dans les pays où l’on gagne le plus, on a tendance à moins travailler, c’est particulièrement vrai aux Pays-Bas, au Danemark, en Suisse, en Norvège et en Autriche. Ces résultats nous invitent à penser que la France sera plus riche si elle améliore d’abord son taux d’emploi et sa productivité. Le levier du « travailler plus » ne mérite pas l’importance qui lui a été donnée.
« Travailler plus » ou « travailler tous » : des choix qui s’opposent
Certains pays ont privilégié le « travailler plus », d’autres le « travailler tous ». Il est rare qu’un pays parvienne à tenir ces deux stratégies à la fois, avec un bémol pour les pays anglo-saxons qui travaillent « tous » et « plus » notamment pour compenser une productivité assez faible.
Les pays qui ont fait le choix du « travailler tous » sont la Norvège, la Suisse, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède. Dans ces pays, on travaille en moyenne 1 490 heures par an et 75 % de la population en âge de travailler a un emploi. A l’inverse, les adeptes du « travailler plus » sont l’Italie, la Grèce, la Corée, la Hongrie, la Pologne, le Mexique et la Turquie. Dans ces pays, on travaille en moyenne 2 050 heures par an, mais seulement 55 % de la population en âge de travailler a un emploi.
Sur le plan arithmétique, remarquons que 1 490 x 75 % est presque égal à 2 050 x 55 %, ce qui montre que ces pays produisent globalement la même quantité de travail. Par ailleurs, les pays qui ont fait le choix du « travailler tous » ont une richesse par habitant plus élevée, preuve que la réduction du temps de travail ne conduit pas à la ruine.
Arrêtons-nous sur l’exemple des Pays-Bas et de l’Italie. 34 % des emplois néerlandais sont à temps partiel, c’est le pourcentage le plus fort des pays de l’OCDE. En Italie, 12 % des emplois sont à temps partiel (la France est à 14 %). Cette différence explique le nombre d’heures travaillées par individu : 1 338 heures pour un Néerlandais et 1828 heures pour un Italien. Cette stratégie permet aux Pays-Bas d’avoir un taux d’emploi très élevé puisque 73 % de la population en âge de travailler exercent un travail, en Italie ce taux n’est que de 56 %. Au final, les Pays-Bas s’en tirent mieux puisqu’ils ont un PIB par habitant assez nettement supérieur à celui de l’Italie.
En conclusion, la stratégie consistant à augmenter la durée annuelle du travail n’a pas été retenue par les pays riches. Pour devenir riche, il paraît plus pertinent d’augmenter sa productivité et son taux d’emploi, taux d’emploi qui reste passablement trop bas en France. Le slogan « Travailler plus pour gagner plus » semble donc inadapté à notre situation, le bon diagnostic serait plutôt « travailler tous et mieux pour gagner plus ». Les données de l’OCDE sur les 28 pays montrent en outre qu’il existe un lien négatif entre la durée individuelle du travail et le nombre de personnes qui travaillent : plus le travail se concentre sur certains, moins d’individus ont un emploi. En plus de rater sa cible sur le pouvoir d’achat, on peut donc également craindre que le « Travailler plus pour gagner plus » produise surtout de nouveaux exclus du marché du travail.
(L’article ci-dessous est paru dans Le Monde du 5 juin 2007. L’article complet avec les graphiques est à l’adresse suivante : http://pros.orange.fr/reverdy.associes/travaillerplus.pdf )
Brieuc Bougnoux est économiste et dirige le cabinet Reverdy
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