Tous les projecteurs étant braqués sur Matignon et l’annonce d’un nouveau gouvernement, le reste de l’actualité s’est trouvé hier plongé dans l’obscurité médiatique. En particulier, sera passée presque inaperçue l’annonce, par le directeur de l’assurance maladie, d’un plan d’économie de 1,5 milliard. Notons que, dans la gouvernance complexe qui régit l’assurance maladie, ce plan n’est qu’une proposition dont le gouvernement devra débattre avant d’adopter ou non certains éléments. En outre, d’autres mesures relèvent des régimes de sécurité sociale et doivent donc faire l’objet de négociations entre partenaires sociaux. Bref, nous en reparlerons. Mais, au fait, pourquoi un tel plan d’économie ? A en croire la rhétorique de campagne, le gouvernement précédent avait, avec le plan Douste-Blazy, profondément réformé l’assurance maladie et, au-delà, le système de santé français.
Le temps des déficits était derrière nous et l’avenir radieux d’une dépense de soins efficace et équitablement financée s’ouvrait sous nos pas. Patatras : les dépenses ont recommencé à augmenter à un rythme beaucoup plus soutenu que les prévisions… D’après la Caisse nationale d’assurance maladie, ce mouvement est surtout imputable aux soins de ville, dont les remboursements ont crû de 6 % entre mai 2006 et mai 2007. Comme le prévoyait le plan Douste-Blazy, le dérapage des dépenses a donc déclenché, le mois dernier, une procédure d’alerte à l’issue de laquelle le directeur de la Cnam a dû proposer des mesures de rétablissement de l’équilibre budgétaire. Certes, un tel exercice, quoique récurrent, est très délicat : les réformes structurelles ne sont pas du ressort du directeur de la Cnam, mais mettent directement en jeu la responsabilité de la tutelle gouvernementale.
La Cnam en est donc réduite à proposer une série de rustines, à poser sur une chambre à air dont on sait qu’elle continuera à fuir de partout. Qui plus est, la logique est celle des comptes de la seule sécurité sociale, alors que celle-là ne couvre que les trois quarts de la dépense de soins et qu’elle se concentre de plus en plus sur les dépenses hospitalières et la prise en charge des affections de longue durée. Cette perspective étroite interdit, de fait, toute réflexion globale sur l’efficience de l’ensemble des dépenses de soins, sur l’articulation des différents services de santé, sur l’amélioration et le suivi de la qualité, sur la régulation de la demande comme de l’offre de soins, sur la pérennité du financement de l’ensemble de la dépense, sur la cohérence des différents organismes d’assurance (sécurité sociale et «mutuelles»), sur l’équité des contributions de chacun… En un mot : logique comptable au lieu de perspective économique et sociale. Les mesures sont présentées comme un plan «équilibré», puisqu’elles répartiraient l’effort entre les assurés (350 millions d’économies dégagés par une hausse des participations aux dépenses, notamment en cas d’écart aux parcours de soins supposé vertueux), les médecins (200 millions obtenus par une baisse des tarifs des scanners et de l’IRM), les mutuelles et organismes complémentaires (200 millions), et les industries de produits de santé (325 millions correspondent à une baisse des prix des médicaments). Mais cet équilibre n’est que de façade. En ce qui concerne les mutuelles et assurances privées, rappelons qu’elles interviennent sur un marché (celui de l’assurance maladie complémentaire) très concurrentiel, et qu’une augmentation de leurs coûts se traduit immanquablement par une hausse de leurs cotisations ou de leurs primes : c’est donc l’assuré (complémentaire) qui sera mis à contribution. Pour ce qui est du médicament, ce secteur souffre d’une instabilité des règles du jeu : sa mise à contribution au coup par coup, encore une fois, relève d’une recherche de l’argent là où il est. Cela sans prendre en compte l’effet délétère qu’une telle imprévisibilité des taxes peut avoir, pour ne prendre qu’un exemple, sur l’investissement dans la recherche en biotechnologies (secteur pourtant d’avenir où la France accuse un retard considérable). Quant à la baisse de certains tarifs médicaux, une telle baisse se traduit, le plus souvent, par une augmentation des volumes qui permettent aux professionnels de ne pas subir de baisse de revenus. Notons également que cette baisse de certains tarifs sera plus ou moins concomitante au passage à 23 euros de la consultation en médecine générale ; l’incohérence devrait au moins avoir un mérite : montrer que la logique du paiement à l’acte, qui contraint le pilotage de ce secteur à ne s’appuyer que sur les tarifs des actes, n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Alors que la dérive des dépenses tient essentiellement au secteur de la médecine de ville, le plan de redressement ne s’attaque pas aux causes de la dérive… On peut donc prévoir que cette dérive continuera, entraînant une hausse des contributions des assurés, que ce soit en termes de cotisations ou de primes d’assurance, ou de participation directe aux dépenses de soins.
Et les perspectives ? La régulation annoncée de la demande de soins par des mécanismes de franchise, bien que très impopulaire, a montré son efficacité dans d’autres pays sans créer de barrière dans l’accès aux soins lorsque les franchises restent modérées. Mais ces mécanismes doivent aussi s’articuler avec une régulation de l’offre de soins, et notamment une évolution des pratiques et des modes de rémunération des professionnels de santé. De ce côté, on a beau scruter, on ne voit rien venir : l’avenir est aux rustines !
Pierre-Yves Geoffard est chercheur au CNRS.
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