05/07/2007

Histoire

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Monde/LIBERATION
L’Allemagne rattrapée par ses années de plomb
Trente ans après les vagues terroristes de la Fraction armée rouge, le pays peine à se confronter à son histoire.
Par Nathalie Versieux
QUOTIDIEN : jeudi 5 juillet 2007
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Le 2 juin 1967, un jeune étudiant, Benno Ohnesorg, était tué à bout portant par la police alors qu’il participait à une manifestation pacifique contre le Shah d’Iran. Dix ans plus tard, à l’automne 1977, la République fédérale était secouée par le traumatisme de « l’automne allemand». Cette succession de tragédies qui visait à faire libérer des membres fondateurs de la Fraction armée rouge (RAF) - Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Ulrike Meinhof - s’était soldée par un détournement d’avion, le suicide en prison des trois terroristes et le meurtre du patron des patrons allemands, Hans Martin Schleyer.
Débat.
La commémoration de ces deux anniversaires a replacé les années 60 et 70 au centre du débat historique, politique et culturel outre-Rhin. La pièce d’Elfriede Jelinek
Ulrike Maria Stuart,
consacrée à Ulrike Meinhof et Gudrun Ensslin, les deux leaders féminines de la bande à Baader, vient de figurer en ouverture du festival de théâtre de Berlin. L’adaptation théâtrale d’un roman de Christoph Hein (consacré à la mort du terroriste de la RAF Wolfgang Grams) est jouée en ce moment dans la capitale. En mars, les demandes de remise en liberté de deux anciens terroristes de la RAF avaient provoqué une controverse d’autant plus vive que dix ans après la dissolution du mouvement en 1998, près de 35 crimes attribués au groupe n’ont toujours pas été élucidés.
Au-delà du mythe, l’Allemagne s’interroge toujours sur la personnalité des terroristes et les causes de cette flambée de violence. Les racines du mouvement, estiment les historiens, sont à rechercher du côté de la rigidité de la société allemande de l’après-guerre et aux lacunes de la dénazification. « La dénazification imposée par les Alliés a été vite abandonnée, rappelle Wolfgang Kraushaar, historien spécialiste de la RAF. Dans le contexte des débuts de la guerre froide, il est rapidement apparu plus important de renforcer la jeune République fédérale en la réarmant que de faire la lumière sur le passé. Une grande partie de l’élite nazie est ainsi restée en place, comme si rien ne s’était passé. Les choses ont commencé à bouger quinze ans plus tard, dans les universités. Les étudiants ont commencé à se pencher sur le passé de leurs parents et de leurs professeurs. Ils ont découvert dans les archives des travaux d’études de leurs enseignants datant de la période nazie et propageant l’antisémitisme. Le choc a été profond.»
Pourquoi le terrorisme de gauche s’est-il développé pendant la période bénie du miracle économique ? «Il s’est développé à une époque où régnait le plein-emploi, où l’Allemagne possédait un système social efficace et où le bien-être social atteignait les couches défavorisées, rappelle Bettina Röhl, journaliste et écrivain. Tout à coup, une poignée de jeunes endoctrinés par Che Guevara et Mao dit vouloir renverser le système social et faire la révolution. La RAF a été un plongeon vers l’inhumain.» Bettina Röhl (son livre Les petits plaisirs du communisme devrait paraître prochainement en France), ne mâche pas ses mots. Sa mère n’était autre qu’Ulricke Meinhof, la brillante journaliste du magazine d’extrême gauche Konkret, passée dans la clandestinité avec un couple de jeunes bourgeois criminels, Andreas Baader et Gudrun Ensslin.
Soif de réformes. Au début des années 60, l’interrogation sur le passé se greffe outre-Rhin sur la soif de réformes de la jeunesse occidentale. « Les jeunes voulaient construire une nouvelle démocratie, pas reprendre celle imaginée par la génération d’Adenauer, insiste Gerhard Baum, le ministre libéral de l’Intérieur du gouvernement de Willy Brandt qui a été confronté au développement de la RAF. Education, système scolaire, rôle des femmes, justice. Les réformes étaient partout nécessaires. La différence entre les membres de la RAF et nous, c’est qu’eux ont pensé pouvoir n’y parvenir que par la violence.»
Plusieurs intellectuels allemands sont tentés d’expliquer ce recours à la violence par une prédisposition spécifique de la société allemande, et largement liée au nazisme. « A l’époque, nous vivions sous une chape de silence, sous une chape de plomb, se souvient la cinéaste Margarethe von Trotta . On sentait bien que tout cela avait à voir avec le passé, avec la guerre. Mais on ne nous disait rien. Notre soif de comprendre a aussi été l’un des éléments qui a poussé la première génération de la RAF à recourir à la violence.» Margarethe von Trotta est l’auteure des Années de Plomb, un film sorti en 1981, sur la vie des sœurs Ensslin. Margarethe von Trotta a fait partie des «sympathisants», cette dizaine de millions d’Allemands qui selon un sondage de 1971 auraient été prêts à abriter Andreas Baader du temps de sa cavale ou à donner de l’argent aux terroristes. L’argent servait en fait à acheter des armes. « C’était grotesque : les idéalistes ont exploité les idéalistes. Mais nous étions trop idéalistes pour seulement nous en rendre compte !» Et de s’interroger sur cette disposition des Allemands à recourir à la violence : «D’abord, les gens se laissent séduire par le nazisme. Leurs enfants le leur reprochent, avant de se laisser à leur tour séduire, jusqu’à en mourir, par une nouvelle idéologie. Dans le débat actuel, ce qui compte n’est pas tant de savoir si tel ou tel terroriste a tiré sur telle ou telle victime, mais où se trouvent les racines de cette disposition à la violence. C’est l’idéologie qui les a rendus coupables, leur intellect, leur compréhension totalement erronée de la politique.»
Fatalité. Andres Veiel, un cinéaste de 59 ans qui travaille à un film sur la RAF, considère lui aussi le recours à la violence comme une sorte de fatalité allemande. RAF ou extrême droite : la cause du mal est identique, à chercher du côté du nazisme. « Celui qui a massivement eu recours à la violence, sous le National-socialisme par exemple, a une biographie entachée. Cette tache est transmise de génération en génération, consciemment ou par le silence. Nous devons nous confronter à cette réalité, qui ressurgit à intervalles réguliers en Allemagne, que ce soit avec la RAF ou aujourd’hui sous forme des violences d’extrême droite.»

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