28/07/2007

L'Elysée invite les journalistes français, mais se prends une gamelle avec la presse locale

Partager
Sarkozy au Sénégal: le flop
Par Zineb Dryef (Rue89) 17H45 27/07/2007

La presse sénégalaise n'a que très modérément apprécié le discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar le 26 juillet. Récit d'un flop.

Des pisse-copies pris en charge par les services de l'Elysée

L'arrivée même de Nicolas Sarkozy à Dakar a soulevé des critiques. L’As, quotidien sénégalais, est perplexe: le vol spécial affrété pour les journalistes français serait-il destiné à assurer au Président français "une couverture médiatique qui restera gravée pour longtemps dans sa mémoire": "Nos confrères, qui foulent le tarmac de l’aéroport Léopold Sédar Senghor aujourd’hui vers midi, seront logés à l’hôtel Méridien. Chose bizarre, c’est la France qui prend en charge tous les frais liés au déplacement des dizaines de journalistes devant accompagner le chef de l’Etat français. Tout comme c’est l’Elysée qui assure les frais d’hôtel et de restauration des pisse-copies devant couvrir la visite du successeur de Jacques Chirac." Puis le quotidien se fait moralisateur: "En tout cas, l’acceptation par la presse française de se faire prendre en charge par son Président n’aurait pas enchanté la presse sénégalaise. Car, lors de la dernière présidentielle, une manne financière que le candidat de la coalition "Sopi 2007" avait voulu offrir aux pisse-copies qui l’accompagnaient avait suscité de vives condamnations."

Le discours "civilisateur" du Président français

Très sarcastique, Sud Quotidien analyse la méthode Sarkozy toute en "politique-spectacle" et ne digère pas le discours "civilisateur" du Président français: "Quand je l’ai entendu parler aux étudiants, dans un amphithéâtre plein à craquer, j’ai pensé à ces missionnaires venus en Afrique 'civiliser' nos arrière-grands-parents. Il parle du paysan africain qui 'vit avec les saisons', dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles." Et d’ajouter, parlant toujours du paysan africain: "Jamais il ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer. Des clichés, encore des clichés, toujours des clichés. Quelle injure! Le paysan africain serait-il dépourvu de raison au point de s’enfermer dans un mimétisme 'bestial'?"

Le président de la République française ne connaît pas l’Afrique

Walf a titré sur le même thème "Sarkozy fait la leçon aux Africains", et rappelle que son discours prononcé devant les étudiants de l'université Cheikh Anta Diop II n’a pas convaincu: "Pour une leçon inaugurale, Nicolas Sarkozy n’a pas eu droit hier, à l’Ucad II, à des ovations à la fin de son discours. Parce qu’une grande partie de son auditoire n’a pas du tout apprécié de le voir ainsi s’ériger en donneur de leçons. [...] C’est à peine si des étudiants, exacerbés, n’ont pas été tentés de le huer. La mine peu réjouie de nombre de personnes au sortir de la salle de l’Ucad II en dit, aussi, long sur la réception mitigée que le discours a eu auprès de l’assistance." La raison de ce flop? "Le théoricien de 'l’émigration choisie' a donné raison à ceux qui doutaient qu’il venait chez nous, non pas pour échanger et voir ensemble comment rendre plus fécondes, et dans un respect mutuel, les relations séculaires entre la France et l’Afrique, mais pour tenter de nous humilier. […] Comment dans ce prestigieux temple du savoir où d’éminents intellectuels français ont contribué à former d’illustres fils du continent et qui font aujourd’hui la fierté de l’Afrique entière, Sarkozy a-t-il osé soutenir que nous portons en nous les germes de l’anti-développement, se sont demandés bien des membres de son auditoire. En fait, ainsi que l’ont souligné des universitaires présents dans l’amphithéâtre, le président de la République française ne connaît pas l’Afrique. Sinon, croient-ils savoir, il n’aurait pas considéré que, dans notre 'univers où la nature commande tout', nous restons, nous autres Africains, 'immobiles au milieu d’un ordre immuable où tout est écrit d’avance'."

Le démenti de toute volonté de pillage des élites africaines par la France

Mamadou Sèye, l’éditorialiste du quotidien Le Soleil, n’a pas le même point de vue que ses confrères: "Comme le Président Sarkozy, le Président Wade pense que cette Afrique doit être construite par ses fils. Le ton franc sur l’émigration et le démenti de toute volonté de pillage des élites africaines par la France sont, à ce sujet, rassurants. De même, l’annonce d’une volonté d’ouverture aux migrants, sans vendre l’hypothèse démagogique d’accueillir tout le monde, ouvre une porte aux candidats à la mobilité transnationale. En clair, avec l’appui de ses partenaires économiques, l’Afrique doit offrir à ses enfants des raisons de vivre leur rêve, loin des sentiers de la fatalité, mais aussi loin des marécages de l’impunité. Ce dernier mot est prononcé dans le cadre de l’appui promis par la France pour la tenue du procès du l’ancien Président tchadien, Hissène Habré." Après un long passage consacré à louer le Président Wade et la voie moderniste dans laquelle il a engagé le Sénégal, Mamadou Sèye ne cache pas avoir été flatté par le discours du Président français: "N’est-ce pas une victoire qu’à la suite du travail d’authentiques fils de ce pays, l’état de santé de la démocratie sénégalaise ait été certifié par un témoin franc nommé Sarkozy?”

"L’ami" européen qui veut aider les éternels "jeunes" africains

Du côté des blogueurs, l’opération séduction de Nicolas Sarkozy a échoué. Moubaracklo se dit “déçu” par sa vision “provocatrice” de l’homme africain: “Selon lui, l’Africain, représenté par le paysan, serait incapable de se tourner vers l’avenir, d’innover et de changer l’ordre des choses, d’entrer dans l’Histoire et de s’inventer un destin. On croirait entendre Stephen Smith qui, dans son livre 'Négrologie, comment l’Afrique meurt', défend les mêmes thèses fallacieuses. De la bouche d’un chef de l’Etat, une telle attitude est inacceptable et répréhensible. En vérité, M. Sarkozy s’est lourdement trompé en croyant bien faire. Souhaitant tendre la main à la jeunesse africaine, il n’a fait que prouver sa méconnaissance de l’Afrique, son alignement sur l’esprit paternaliste de 'l’ami' européen qui veut aider les éternels 'jeunes' africains à lire d’une certaine façon leur passé et leur identité.” Sa conclusion est sans appel: “En définitive, les relations entre M. Sarkozy et l’Afrique sont très mal parties et tout permet de penser que la rupture tant annoncée ne serait que mirage.”

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire