27/07/2007

Les Ogres de Barback : polémique à Oyonnax

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Le 18 mai dernier, MmeVirginie Hurel, présidente de l’association Les Ogres de Barback, recevait un courrier peu ordinaire[1]. Ou plutôt une missive, dont l’expéditeur n’était autre que M.Jacques Gobet, maire d’Oyonnax, une ville qui, si l’on en croit le désastreux diaporama proposé sur son site officiel, a tout d’une industrieuse bourgade de l’Ain[2].


Le premier magistrat de la capitale mondiale du peigne semble dans ce courrier fort courroucé. Il y exige des musiciens rien de moins qu’une explication écrite sur un « incident », censé être survenu lors de leur prestation au centre culturel local à la veille du second tour des récentes élections présidentielles, prestation durant laquelle la talentueuse formation se serait livrée à « [...] une action de propagande politique dirigée contre l’un des candidats [...], Nicolas Sarkozy, et en faveur de son adversaire, Ségolène Royal ».


Tout comme M. le maire, nous passerons sur les faits, en notant toutefois qu’ils semblent lui avoir été rapportés par quelques bienveillants collaborateurs, deux ou trois édiles zélés à ce point épuisés par la fondation de la « France d’après » qu’ils prirent probablement quelques huées pour un début d’insurrection. [3]Nous passerons également sur cette « partie importante du public » qui, selon M. Gobet, fut « heurtée et choquée » dans ses convictions, l’argument du nombre ayant naturellement vocation, mériterait-il même d’être pris en considération,

à s’autodétruire dès lors qu’aucune preuve ni source alternative ne viendrait l’appuyer.


Nous passerons enfin sur le comportement du magistrat qui, après la réponse cinglante des Ogres et face au tollé suscité sur la Toile par son courrier a décidé, tel un Papa Tango Charlie moderne, de s’évanouir dans le triangle des Bermudes du courage politique. Qu’il soit assuré ici, si d’aventure il nous écoutait, que nos colonnes lui sont ouvertes pour un éventuel droit de réponse.


Nous ne nous intéresserons donc à vrai dire qu’à trois des arguments avancés par le maire d’Oyonnax, en tentant soigneusement d’éviter toute prise de position partisane, et en partant du postulat positiviste qu’un fonctionnaire de ce rang connaît le droit public qu’il applique, quoi qu’on en dise, à longueur de journée.


Dans une première proposition, M. le maire invoque le principe de « neutralité républicaine », qui devrait selon lui « avoir cours à l’intérieur des bâtiments publics ». En l’occurrence, et contrairement à ce que laisse croire la réponse des Ogres, qui affirme pourtant à juste titre que ce principe s’applique aux agents des services publics dans l’exercice de leurs fonctions, les choses ne sont pas simples. De fait, le droit administratif, essentiellement jurisprudentiel lorsqu’il est question de neutralité du service public, laisse entendre [4] qu’ « en conséquence, comme en contrepartie de la neutralité dont chacun bénéficie dans ses rapports avec le service public, il peut être imposé aux usagers et au personnel de limiter les manifestations de leurs opinions dans les établissements accueillant des services publics ». Nous sommes donc tenus, en toute rigueur intellectuelle, et à moins que le Conseil d’État ne se prononce rapidement sur la question, de renvoyer les protagonistes dos à dos.


Dans un deuxième temps, le magistrat qualifie de « circonstance aggravante » le fait que la « campagne officielle [fut] close depuis la veille à minuit ». Point sur lequel il est dorénavant avéré qu’il aura mal interprété les textes, puisqu’un avis du Conseil Constitutionnel affirmera dans les jours suivants qu’ « une intervention de musiciens en faveur d’un candidat à l’occasion d’un concert n’entrerait pas dans le champ de l’interdiction de propagande la veille du scrutin, dans la mesure où celui-ci a été présenté comme un événement musical ». Le simple fait, cependant, que nos sages aient estimé devoir sortir de leurs réserve à cette occasion légitime a posteriori l’interrogation du maire. Se serait-elle d’ailleurs conclue ici que la missive de M. Gobet eût été certes un tantinet procédurière mais acceptable, tout du moins en droit.


Car c’est bien son argument final qui constitue, comme aurait pu l’affirmer ce chanteur apatride devenu la mascotte de la majorité, la cerise qui fait déborder le vase. En affirmant ainsi que « cette intervention intempestive [...] a eu lieu [...] aux frais des contribuables locaux d’une ville où les électeurs ont voté Sarkozy à près de 60 % », argument de préau d’une bêtise insondable, M. le maire ne fait pas que poser les bases d’une politique culturelle innovante, il fait montre d’une ouverture d’esprit digne de la plus belle des huîtres d’Oléron. Inutile de vous dire que l’agent de Yannick Noah se frotte déjà les mains puisqu’en vertu de ce même principe les maires UMP des villes de Bordeaux, Le Mans, Caen, Saint-Étienne, et de nombreuses sous-préfectures qui ont récemment accordé une majorité significative à Ségolène Royal sont désormais tenus de programmer l’ancien joueur de tennis toutes les deux semaines jusqu’en 2012, en alternance avec le chanteur Cali.


Plus sérieusement, en laissant entendre qu’un artiste rétribué par une structure publique devrait prendre en considération la couleur politique du lieu où il se produit, le maire d’Oyonnax tente simplement de réduire une dissonance cognitive. Une tension, née de leur incapacité à accorder la réalité du monde social avec leur idéal propre, un idéal dans lequel la liberté n’a jamais autant de poids que lorsqu’elle s’exprime à leur avantage, dans lequel la majorité peut se permettre de nier les aspirations de la minorité, et dans lequel les artistes sont des saltimbanques qui vivent au crochet des honnêtes contribuables.


Cette fraction de notre classe politique est aussi ancienne que la politique elle-même. Et dans le domaine culturel, elle affiche à l’égard des deniers publics une attention qui lui offre, en ces temps de disette budgétaire, une audience démesurée et parfois même quelques victoires, comme la modification récente du statut des intermittents. Une chose est sure cependant, et la réponse des Ogres est là pour nous le rappeler : cette idéologie n’est jamais aussi influente que lorsque les artistes, qu’ils soient usés par les difficultés contingentes de leurs quotidien ou anesthésiés par les avantages que leur procure leur renommée, abandonnent le terrain de la lutte politique et sociale envers laquelle ils sont redevables, pourtant, de leur existence. [1] Ce texte est celui d’un épisode du podcast audio mensuel intitulé "l’Édito" que je réalise pour le modeste site français de jazz, Citizenjazz.com


[2] Étonnamment, tous les habitants semblent s’être donné rendez-vous au marché. [3] Pour information, notons : que M. Gobet a soutenu la candidature de N. Sarkozy, comme il avait soutenu celle de J. Chirac en 2002 ; que M. Gobet soutient l’organisation "Maires pour l’enfance" dont le propos est de réfléchir à l’impact du mariage homosexuel sur l’équilibre des enfants ; que M. Gobet a récemment refusé l’inscription à la cantine de cinq enfants scolarisés sans papiers.


[4] Je cite ici le Cours d’introduction au droit du service public de M. Gilles Guglielmi, docteur en droit et professeur à l’université Panthéon-Assas. Je vous conseille vivement la visite de son site, et la lecture des cours qu’il y met gracieusement à disposition.


par Evrim Evci, Rédacteur en Chef de Citizenjazz.com

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Intéressant. Mais, il convient tout de même de préciser qu'un maire n'est pas un fonctionnaire comme cela a été dit. C'est un élu.

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