Le rendez-vous manqué de Sarko l'Africain
Oubliée la rupture? C'est surtout l'étape gabonaise du voyage présidentiel qui a montré que la realpolitik façon Chirac restait la ligne de conduite de l'Elysée
Il lui aura tout fait. Tout. Vieux renard, le président Omar Bongo a fait payer à Nicolas Sarkozy son indélicatesse. Le président de la République française croyait pouvoir expédier, vite fait bien fait, une visite qu'il avait finalement décidée contre l'avis de la plupart de ses conseillers, realpolitik oblige. Pas de nuit sur place, au grand dam de Bongo, arrivée le vendredi 27 juillet en début d'après-midi et départ, espérait-il, en début de soirée. Que nenni! On ne la fait pas à Omar Bongo Ondimba, 71 ans, au pouvoir depuis 1967, rompu aux relations franco-africaines depuis quarante ans.
Résigné à assumer son propre choix, Nicolas Sarkozy a eu droit à l'accueil triomphal de rigueur - foule nombreuse, danses et chants traditionnels, drapeaux. «On se croirait revenu dans les années 1960», soupirait, consternée, Rama Yade, la jeune secrétaire d'Etat d'origine sénégalaise qui avait plaidé en vain contre cet arrêt obligatoire. Mais le «cher Omar» a fait les choses en grand: un défilé militaire attendait le président français, escorté par son ami Patrick Balkany, à sa descente d'avion à Libreville. Il fallait voir Sarkozy, la mine contrainte, sous le chapiteau de bois blanc et or dressé sur le tarmac, recevoir les honneurs militaires sur l'air d'«Auprès de ma blonde». Stoïque, aux côtés d'un président gabonais impeccablement sanglé dans son costume bleu nuit, mais mal à l'aise, semblant à la fois réprimer un sourire (ou fou rire) intérieur et conscient de l'effet produit par cette image, symbole de la «Françafrique» retrouvée.
Rebelote le soir. Au cours du dîner officiel offert au palais présidentiel, le «cher Omar» renvoie au «cher Nicolas» la monnaie de sa pièce. Mine de rien, et «liens indéfectibles» entre les deux pays à l'appui, il lui inflige, à l'heure des toasts, une petite leçon de savoir- vivre. L'amitié franco-gabonaise donne généralement lieu à des visites «réciproques», rappelle-t-il, une façon de signifier qu'il souhaite être reçu officiellement en France à son tour. «J'espère qu'à votre tour vous reviendrez au Gabon pour une visite d'Etat [deux jours minimum] ou une visite familiale qui vous permettra de séjourner plus longtemps», insiste Bongo, soulignant ainsi la brièveté inconvenante du séjour du président français. Pas de quoi démonter Sarkozy, qui, pas gêné, lève son verre et explique qu'il abrège son discours car il a «une longue route pour rentrer à Paris»! Certes. Mais pas avant d'avoir applaudi encore quelques danseuses et reçu les insignes de la Grand-Croix de l'Ordre de l'Etoile équatoriale...
Par sa dimension symbolique, l'étape gabonaise aura marqué du sceau de la continuité ce premier périple africain - escale libyenne mise à part. Voilà, en apparence du moins, Sarkozy dans les pas de Chirac... ou de Pasqua. Même s'il s'en défend. «Personne n'a jamais mis en cause mes rapports avec les chefs d'Etat africains. Je n'ai pas les mêmes relations que M. Jean-François Probst», a-t-il lancé lors d'un briefing informel. Probst est un ancien conseiller de Pasqua du temps du RPR, aujourd'hui consultant indépendant dans plusieurs pays africains.
L'Elysée a hésité pendant plusieurs semaines sur le choix des pays à honorer pour cette première tournée africaine. On avait d'abord évoqué l'Afrique du Sud avant d'y renoncer: trop loin, donc trop long, et sans la certitude de pouvoir rencontrer Nelson Mandela. Ce sera pour une autre fois. Outre le Sénégal - étape obligée -, on a alors envisagé le Ghana, pays anglophone, nouveau modèle africain de bonne gouvernance. L'hypothèse était notamment défendue par les «modernes» de l'Elysée comme Jean- David Levitte ou le porte-parole David Martinon. Escamoter le Gabon alors qu'un autre pays de l'Afrique francophone est au programme? Voilà qui eût été d'une audace inouïe! Trop audacieux manifestement. Le président Bongo a fait part de son étonnement, et le très pragmatique secrétaire général Claude Guéant a plaidé pour ce partenaire incontournable. Va pour le Gabon, son pétrole et ses 850 soldats français. Et tant pis pour «la rupture»!
Le thème de «la rupture» avec les pratiques précédentes avait donc été réservé à l'étape sénégalaise. Dans un discours-fleuve à l'université de Dakar, Sarkozy a ainsi expliqué aux «jeunes d'Afrique» que c'était à eux de «décider» de sortir de «l'arbitraire», de «la corruption» et du «clientélisme». Selon le président français, «le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire. [...] Jamais il ne s'élance vers l'avenir Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un destin». Ce passage a été mal perçu par la presse sénégalaise et une partie de l'élite qui y a vu une «leçon» et un signe de «paternalisme» et bien peu de propositions concrètes hormis la vague évocation de «projets communs», alors que l'accent devait être mis sur le codéveloppement, comme l'avait annoncé l'Elysée. Des réactions qui ont finalement éclipsé l'accueil positif du président Wade et l'inflexion de l'ancien ministre de l'Intérieur sur l'immigration. Ardent défenseur de l'«immigration choisie» lorsqu'il était Place-Beauvau, Nicolas Sarkozy, qui a eu plusieurs conversations sur le sujet depuis six mois avec Abdoulaye Wade, parle désormais d'«immigration concertée». Vous avez dit « rupture » ?
Carole Barjon
Le Nouvel Observateur
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