14/08/2007

Un petit cours d'économie

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Ce que signifie, concrètement, "la BCE a injecté des liquidités"
Par Pascal Riché (Rue89) 00H34 14/08/2007

La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé lundi avoir injecté de nouveau 47,66 milliards d'euros, pour détendre un peu l'atmosphère sur les marchés financiers. La semaine dernière, elle avait déjà introduit dans les circuits bancaires 156 milliards d'euros... Les milliards volent, mais que représentent-ils? Que signifie, concrètement, "injecter des liquidités"?

Pour comprendre, il faut revenir aux principes de base de la politique monétaire. Ce qui suit se veut éclairant, mais je vous préviens, ce n'est pas toujours très sexy.

Pour commencer, contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les banques centrales qui créent de la monnaie. Ce sont les banques commerciales. Lorsque celles-ci font un prêt, ce prêt atterrit sur un compte de dépôt: c'est de la monnaie.

Pour éviter que le crédit (et donc la création de monnaie) ne s'emballe, il faut que la Banque centrale puisse s'immiscer d'une façon ou d'une autre dans la relation entre les banques et les emprunteurs. Elle le fait à travers un instrument qu'on appelle les "réserves obligatoires".

Le rôle des réserves

Quand le Crédit Agricole accorde un crédit de 100000 euros à un client, le niveau des dépôts augmente de 100000 euros. Si le taux de réserves obligatoires est de 2%, la banque doit alors conserver, sur un compte BCE non rémunéré, 2% de ces nouveaux dépôts, soit 2000 euros.

L'ensemble des "réserves" des banques, augmentées des pièces et des billets, est appelé la "base" monétaire. Ou encore, M0 (M zéro).

Si une banque n'a pas suffisamment de réserves pour exercer son activité de crédit comme elle le veut, que peut-elle faire? Elle va chercher une autre banque qui, elle, dispose de plus de réserves qu'elle n'en a besoin. Elle va emprunter à cette autre banque les réserves dont elle a besoin, en échange d'une rémunération. Chacun y gagne: la première pourra faire son prêt, la seconde est ravie de pouvoir prêter des réserves qui, sinon, ne lui rapporteraient rien.

Le marché interbancaire

Ces échanges sont organisés sur un marché, le marché monétaire "interbancaire". Sur ce marché s'échangent chaque jour de très grosses sommes, des prêts à court terme: un jour, une semaine, un mois.

Comme sur tout marché, l'offre et la demande se chargent de fixer le prix de la denrée qui y est échangée: si la demande d'argent à court terme (ou "liquidités") est forte, alors les taux d'intérêt grimpent.

Si les banques se mettent à accorder toutes des crédits, alors elles font face à une pénurie de "réserves". Conséquence: les taux d'intérêts menacent de s'envoler sur le marché interbancaire. Le risque, c'est qu'ensuite les banques répercutent cette hausse sur leurs clients, et que tout cela ne finisse par freiner la croissance.

La Banque centrale peut éviter ce scénario, car elle est dans une situation unique: elle a le monopole de la création de la denrée qui est échangée sur le marché interbancaire. Les banques peuvent en effet toujours se tourner vers elle pour emprunter les fameuses réserves.

Si la banque centrale veut faire baisser les taux d'intérêts et pousser les banques à accorder davantage de crédits à leurs clients, elle peut donc leur prêter plus de réserves. C'est ce qu'on appelle, dans la presse, "injecter des liquidités".

Les fameux "appels d'offre"

Comment l'opération a-t-elle lieu? La BCE procède à des "appels d'offre" sur le marché interbancaire. Elle a proposé ainsi lundi de l'argent, sur un jour, au taux minimum de 4% (le "taux de refinancement" , qui est son principal "taux directeur"). Les banques répondent à cette offre en proposant des taux supérieurs à 4%, afin d'être certaines d'obtenir les liquidités dont elles ont besoin. La BCE examine le niveau de la demande, les taux proposés par les banques, et elle fixe alors un taux au-delà duquel les les "offres" sont servies.

Les liquidités sont alors distribuées. Un peu comme au Mont-de piété, la Banque centrale prend en gage (on dit "en pension") des titres (bons du trésor, etc.).

Ces appels d'offre, en période normale, ont lieu toutes les semaines. Mais en cas de désordres financiers, la BCE procède à des "appels d'offre rapides" pour injecter ou retirer des liquidités. Dans ce cas, ce sont des opérations à très court terme: des prêts d'un jour.

Si la BCE intervient aujourd'hui massivement, c'est pour contrecarrer la méfiance qui s'est instaurée sur le marché interbancaire. Que se passe-t-il? Les banques hésitent à se prêter mutuellement leurs liquidités, car elles craignent que certaines d'entre elles aient massivement investi dans l'immobilier américain, et se retrouvent piégées par la crise actuelle des "subprimes".

Vous êtes toujours là? Bravo!

Numéro d'équilibriste

Alors vous me direz, quelles conséquences tout cela a-t-il avec la vie réelle?

Elles sont énormes. Si la Banque centrale surestime la crise et facilite une création monétaire trop importante, cela risque de déboucher sur l'inflation (je n'y crois pas du tout, mais bon). Si au contraire elle se montre trop timide dans son action, si elle ne parvient pas à dégripper le marché interbancaire, alors les taux d'intérêt se tendent, les crédits se tarissent, avec le risque de casser la croissance.

La Banque centrale tente de résoudre cette équation, ce qui se traduit par un numéro d'équilibriste: d'un côté elle inonde le marché interbancaire (et elle a raison de le faire), de l'autre elle annonce qu'elle augmentera son taux d'intérêt directeur en septembre, pour contrecarrer l'inflation... Ce grand écart commence à lui valoir des critiques. Ainsi, dans une interview au Monde , Thierry Breton, ancien ministre des Finances, aujourd'hui prof à Harvard, se demande si elle n'est pas en train de devenir "prisonnière de sa stratégie de hausse des taux, à contre courant d'un renversement de cycle économique qui pourrait bien intervenir plus tôt que prévu, en 2008"...

Les décisions des Banques centrales, dans ces périodes de crises financières, sont capitales. En 1929, la Réserve fédérale américaine avait très mal réagi, choisissant de restreindre le crédit: le krach s'était transformé en crise économique majeure. En 1987, face à un krach boursier plus vertigineux encore, la FED et les autres banques centrales avaient fait l'inverse, ouvrant hardiment les vannes du crédit: l'économie n'avait pas été affectée. Et qui se souvient aujourd'hui du krach de 1987, surnommé à l'époque avec angoisse "le jour le plus bas"?

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