04/09/2007

Bakchich a lu le bouquin de Yasmina Reza

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FRANCE >> Chronique du Blédard
Yasmina et un bouhi nommé Nicolas


mardi 4 septembre 2007 par Akram Belkaïd

Vendredi, vingt-quatre août, treize heures trente, Paris, boulevard Montmartre, magasin Virgin, temple consumériste où l’on célèbre officiellement « la culture du plaisir » et pas toujours l’inverse. Slalomant entre les bacs qui débordent de compilations sous cellophane, une employée dans son gilet rouge traîne un chariot. La voici qui s’arrête devant le présentoir vedette du magasin. Elle commence par enlever les exemplaires du dernier roman d’Amélie Nothomb et les remplace par des piles du livre de Yasmina Reza.

Immédiatement, une, cinq, quinze mains happent l’ouvrage. « Plus fort qu’Harry Potter ! » s’exclame la vendeuse qui continue de déballer tandis que d’autres clients piochent directement dans les cartons éventrés. Titre : « l’aube le soir ou la nuit ». Sujet : Nicolas Sarkozy, que la romancière a suivi de près, avec l’accord de l’intéressé, tout au long de sa campagne électorale et même quelques semaines après son élection.

Encore « lui », allez-vous me dire et vous aurez raison. Oui, « lui », toujours, partout, en permanence, le matin, midi, le soir, télés, radios, journaux et maintenant livres aussi. C’est « lui », l’homme-orchestre, le sauveur de la France, l’homme providentiel qu’une foule sans cesse grandissante de courtisans célèbre et encense. C’est lui, la Sublime Porte hexagonale, l’Espoir de l’Europe, le… le… Bon, j’arrête. De cette omniprésence médiatique et extatique, je vous ai déjà parlé et il est inutile de me répéter.

Revenons au livre de Reza. Je ne l’ai pas acheté tout de suite, me contentant d’observer la ronde folle autour du présentoir. C’est fascinant le succès immédiat d’un livre, toutes ces personnes différentes qui, l’espace d’un achat, sont liées par le même acte, le même objet et qui en tireront des satisfactions très certainement différentes. Bien sûr, il ne faut pas négliger les effets du martelage promotionnel qui tourne à plein régime mais cela ne suffit pas toujours à convaincre les uns et les autres de bourse délier.

« Toi aussi ! Tu cherches l’overdose, ou quoi ? », a presque hurlé un ami rencontré à la sortie de la petite librairie de quartier où j’ai fini par céder à la tentation. Je pourrais, pour me défendre, dire que c’est le libraire, un farfelu en qui j’ai toute confiance, qui m’a encouragé à sauter le pas mais ce serait exagérer sa responsabilité et diminuer la mienne. Oui, c’est vrai, j’en ai ras la casquette de « lui » mais je n’ai pas su me refuser un tel plaisir.

Car, pour tout vous dire, je n’ai pas été déçu par « l’aube le soir ou la nuit ». Bien au contraire, ce fut une lecture passionnante, admirative et pleine d’enseignements. Ni pamphlet, ni hagiographie (malgré quelques zestes de syndrome de Stockholm), c’est plutôt une caméra avec plans resserrés sur « lui » que l’on suit en permanence. Et les images restituées valent leur pesant d’or.

Qu’apprend-t-on de ce livre dont un passage relate de manière délicieuse l’entretien entre Abdelaziz Bouteflika et Nicolas Sarkozy ? Et bien, il s’en dégage, entre autre, une vérité cruelle : la France est présidée par un « bouhi » ou un « garrite » autrement dit un « plouc » (c’est comme elle a dit Reza…). Quelqu’un qui aime le clinquant, le doré, qui a des phrases toutes faites sur l’amour, tout et n’importe quoi, qui s’habille riche mais mal, qui ne cesse de s’émerveiller de côtoyer le show-biz bas de gamme et qui sait se montrer grossier, pour ne pas dire plus, en petit comité.

De manière moins évidente, car les indices à ce sujet ne sont pas fréquents, se dessine en filigrane la personnalité cynique d’un homme politique pour qui la fin justifie tous les moyens. On le savait déjà avec sa drague nauséabonde de l’extrême-droite, mais le livre apporte une précieuse confirmation.

Et en méditant cette lecture on se dit – comme on se l’est souvent répété au cours des derniers mois : « La France, dirigée par ’ça’ ? ». Et puis, l’on se reprend. « Et alors ? », nous dit une petite voix. « Est-ce mieux ailleurs ? Bush et les Etats-Unis, c’est moins affligeant peut-être ? ». On s’en veut aussitôt pour cette faiblesse passagère puisque relativiser est le premier pas vers le fatalisme. C’est ce qui anesthésie l’indignation et fait avaler toutes les couleuvres.

Un peu honteux, on s’exhorte à ne pas baisser la garde même si rien ne semble pouvoir déranger l’ordre installé depuis mai. « Ce n’est pas sûr que le fait d’être nulle soit forcément un handicap en France », affirme, dans le livre, Nicolas Sarkozy à propos de Ségolène Royal. Terrible phrase que l’on pourrait renvoyer à la figure de celui qui l’a prononcée. Oui, c’est bien cela. Pour des raisons qui m’échappent encore, il y a aujourd’hui en France une immense et efficace prime à la « nullitude ».

Une nullité mâtinée de « beaufitude » que, singeant les amateurs de franglais, je pourrais facilement qualifier de « borderline », tant les frontières entre ce qui est droit ou pas sont brouillées. Est-il par exemple normal que les vacances d’un président en exercice soient payées par un homme d’affaires ? Surtout, est-il normal que cela ne fasse même pas débat ? Mais à quoi faut-il s’attendre quand personne ne s’indigne de voir qu’un ancien président est hébergé par la famille d’un dirigeant étranger…

Quand je m’interroge à haute voix sur cette étrange mansuétude populaire, j’ai souvent droit à des regards méprisants ou irrités. On me parle, comme ce banquier d’affaires, de « dangereuse glissade vers le populisme ». Pire, on me rétorque, argument censé être imparable, que l’opinion publique a toujours raison et qu’il me faudrait enfin accepter la défaite de la gauche à la présidentielle.

Voilà bien où nous en sommes. Le mélange des genres fait fureur et parler de principes à respecter équivaut à prononcer des insanités en public. Et plus on objecte et proteste et plus on est noyé par le débit incessant de ceux qui attendent d’être admis à la cour tandis que d’autres montent le son et leur ton dans le seul espoir de profiter des bienfaits de « l’ouverture ». Tout cela, à terme, ne mènera ce pays guère loin mais pourquoi s’en faire puisque l’opinion publique parait si satisfaite ?

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