20/09/2007

Le POINT, on sait que c'est un torchon de droite, mais les temps ont changé, il faut décortiquer la presse sarkoziste

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Le Point, la gazette de la Cour ?
Le Point revendique son indépendance. Pourtant, l'hebdomadaire dirigé par Franz-Olivier Giesbert manifeste une grande proximité avec le pouvoir. Enquête.


Marianne.2
Le Point, la gazette de la Cour ?
Le Point revendique son indépendance. Pourtant, l'hebdomadaire dirigé par Franz-Olivier Giesbert manifeste une grande proximité avec le pouvoir. Enquête.

« Premièrement l'indépendance, deuxièmement l'indépendance, troisièmement, l'indépendance » : tel est le leitmotiv égrené et décliné aussi bien dans ses éditos que lors des conférences de rédaction par Franz-Olivier Giesbert (Fog), le directeur du Point. L'hebdomadaire revendique avant tout le « goût de l'information ». Répondant sur son blog à Daniel Schneidermann, qui accusait son journal de pratiquer un « journalisme de Cour » vis à vis du pouvoir, Fog a encore défendu le week-end dernier sa conception du métier : « aller chercher l'information partout, avec les dents ». Pourtant, nombre d'internautes, sur ce même blog, considèrent comme évidente, et parfois excessive, la sympathie du Point pour le Président et sa majorité. D'ailleurs, cette expression « avec les dents » n'a-t-elle pas justement été remise au goût du jour par Nicolas Sarkozy, lorsqu'il a promis d'aller chercher, non pas l'information, mais la croissance ?

Le Point face à l'invulnérable Sarkozy
Depuis un an, Le Point a consacré une douzaine de unes au candidat de l'UMP et à son entourage. Difficile de lui en faire grief, le futur Président ayant abondamment orné la première page de tous les journaux, campagne présidentielle oblige. Mais sous couvert de questions dérangeantes en apparence, Le Point assure régulièrement un traitement très favorable au chef de l'Etat. Lorsqu'en juin 2006, l'hebdomadaire titre « Face à la montée de Ségolène Royal, Sarkozy est-il invulnérable ? », les réponses proposées ne laissent pas place au doute : « comment il déjoue les pièges », « Le risque Le Pen » et « L'amour retrouvé ». Comprendre : Nicolas Sarkozy est un fin tacticien, il constitue le principal rempart face à la montée de l'extrême droite et en plus il est tout ragaillardi par le retour de Cécilia Sarkozy. De là à dire qu'il est invulnérable... Même chose quelques mois plus tard, le 30 novembre, dans un dossier intitulé « Sarkozy face à la machine à perdre ». Les sous-titres sont éloquents : grâce à « sa contre-attaque » et à « ses calculs secrets », le candidat de l'UMP n'a en fait rien à craindre. On pourrait multiplier les exemples, de « Sarkozy, l'enfance d'un chef » (janvier 2007) à « Super Sarko en fait-il trop ? » (juillet 2007)…

Le contre-exemple : BHL
Mais le plus prégnant reste la comparaison avec le traitement de la candidate socialiste. En septembre, lorsqu'il titre sur Ségolène Royal, Le Point met en avant les « bonnes feuilles » du livre de Claude Allègre, La Défaite en chantant (Plon/Fayard), qui n'épargne rien à l'ex-candidate. À l'inverse, les « femmes du président », de Rachida Dati à Cécilia Sarkozy en passant par Rama Yade, sont souvent choyées et leur parcours donne lieu à de grands portraits élogieux dans les pages intérieures, quand elles ne figurent pas sur la couverture. Quand la romancière embarquée, Yasmina Reza, publie un livre sur le Président, le journal accompagne sa promotion. Interrogé sur son « sarkozysme », Fog répond à Marianne2.fr : « Le Point est un journal engagé parce qu'il a des convictions européennes et libérales, mais ce n'est pas un journal de Parti ou un journal militant. On ne roule pour personne. Il arrive que Nicolas Sarkozy soit critiqué dans nos pages » Exemple à l'appui : « Bernard-Henri Lévy a appelé à voter pour Ségolène Royal, il n'a pas été puni pour autant. »

Une direction qui « assume »
Mais si Catherine Pégard, chef du service politique du Point et auteur de tous les dossiers sur Nicolas Sarkozy, a été promue conseillère à l'Elysée à la mi-mai, le sort réservé à ceux qui, par leurs articles, ont réellement mis en cause le candidat de la rupture demeure plus flou. En 2004, le journal de Franz-Olivier Giesbert, mieux introduit auprès des chiraquiens que de Nicolas Sarkozy, dévoile l'affaire Clearstream. A ce moment-là, Fog invite même les journalistes à cogner. Mais après sa querelle avec le clan Chirac et Dominique de Villepin – cristallisée par la publication d'un ouvrage lourd de révélations, La Tragédie du Président (Flammarion) -, le journal de Fog semble plus amène avec le candidat de la rupture. Hasard ou coïncidence ? Quand Clearstream devient le cheval de bataille de Nicolas Sarkozy pour se poser en victime d'un complot politique, les auteurs de l'enquête sombrent peu à peu dans la disgrâce, ils écrivent moins, quand ils ne sont pas invités à quitter la rédaction. Fog se défend : « Nous nous sommes séparés de quelqu'un, mais cela n'a aucun rapport avec le dossier Clearstream. Il n'y a pas de règlement de comptes au Point. La direction assume tout ce qu'elle publie. »

Splendeur et misère des collaborateurs de l'Elysée
Dans le même mouvement, des recrutements ont lieu, comme celui d'Hervé Gattegno, ex-journaliste du Monde, connu pour ses articles critiques envers Dominique de Villepin. En juillet 2007, Hervé Gattegno, bien introduit dans l'entourage de Nicolas Sarkozy, décroche un « scoop » mis en ligne sur le site Web du Point : il fait savoir avant tout le monde que le second voyage de Cécilia Sarkozy en Libye débouchera sur la libération des infirmières bulgares. Mais il faut attendre la sortie du Canard enchaîné pour connaître l'envers de la médaille, à savoir que cette libération aurait pour prix la fourniture d'un réacteur nucléaire à Tripoli… Si les lecteurs du Point ont avant les autres des informations qui vont dans le sens de la communication du Président, ils doivent diversifier leurs sources pour commencer à défricher l'hypothèse, moins louable, d'une négociation occulte entre les deux pays. Plus grave, lorsqu'en juin dernier, un courageux journaliste du Figaro tente de lever le voile sur le nombre extravagant de collaborateurs de l'Elysée, Le Point relaie bientôt le démenti du « Château » et publie un chiffre revu à la baisse.

Tout cela n'empêche évidemment pas le journal d'offrir une information de qualité sur nombre de sujets. Ses ventes sont en nette progression : plus de 12% d'augmentation en 2007, avec 418 000 exemplaires écoulés chaque semaine. Fog, lui, récuse totalement le fait de pratiquer un « journalisme de cour », au sens de journalisme « qui encenserait la cour » et accuse « certains journaux » (on ne sait pas lesquels, mais il précise que Schneidermann n'est pas visé) d'ouvrir des « procès staliniens », par jalousie envers les bonnes ventes de son titre. Peut-être sa façon de traiter l'information est-elle, au final, une bonne illustration du débat, toujours ouvert, sur les différentes façons de pratiquer notre métier. « Le soleil, ni la mort, ne se peuvent regarder en face », disait La Rochefoucauld. Le pouvoir aussi éblouit ceux qui tentent de trop s'en approcher, fut-ce pour comprendre comment il fonctionne.

Mercredi 19 Septembre 2007 - 11:44
Anna Borrel

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