06/09/2007

Le président de USM s'explique au cours d'un chat

Partager
Bruno Thouzellier : "Nicolas Sarkozy n'est pas le guide suprême de la justice"
LEMONDE.FR | 03.09.07 | 13h06 • Mis à jour le 06.09.07 | 18h07

Pour Bruno Thouzellier, président de l'Union syndicale des magistrats (USM), "l'hyper-présidentialisation de notre régime politique aboutit à des interventions permanentes de l'exécutif dans le domaine de la justice". Pour lui, les magistrats du parquet ne doivent pas être considérés comme des fonctionnaires de l'action publique.

Maripierre : Concernant la convocation, le 29 août, du vice-procureur de Nancy, en quoi est-il choquant que le ministre de la justice demande que l'application de la loi soit requise ? Est-il inhabituel ou anormal qu'un parquetier soit convoqué directement par le ministre ?

Bruno Thouzellier : Pour nous, magistrats, cette "affaire" est malheureusement parfaitement claire. Premièrement, notre collègue du parquet de Nancy n'a fait que requérir l'application de la loi, en l'occurrence une peine d'emprisonnement inférieure au "plancher" prévu par la loi Dati sur la récidive. Deuxièmement, il a été convoqué dans des conditions très inhabituelles par le cabinet du ministre pour s'expliquer sur des propos qu'il n'a jamais tenus à l'audience.

nico : N'est-il pas soumis, comme tous les fonctionnaires, à un devoir de réserve selon lequel il doit s'abstenir de critiquer les orientations politiques du gouvernement en place ?

Bruno Thouzellier : Justement, notre collègue n'a jamais tenu les propos "relatés" par L'Est républicain. Ce fait est maintenant confirmé par la ministre elle-même.

florence : Y avait-il une tension semblable avec les précédents ministres de la justice ? Est-ce que cette tension va encore retarder les nécessaires réformes de la justice ?

Bruno Thouzellier : Il y a toujours eu des tensions entre les différents ministres de la justice et les magistrats, comme j'imagine, dans n'importe quel ministère. La tension que nous vivons actuellement avec Mme Dati est peut-être d'une nature un peu particulière en ce qu'elle correspond à l'hyperprésidentialisation de notre régime politique, qui aboutit à des interventions permanentes de l'exécutif dans le domaine de la justice.

ideme : Nicolas Sarkozy respecte-t-il le principe d'indépendance de la justice ? Vous sentez-vous "menacés" ?

Bruno Thouzellier : Je crois que le président de la République a une conception très personnelle du rôle de la justice au sein des institutions. Un magistrat, du siège comme du parquet, est le serviteur de la loi et non pas du gouvernement. Cela n'est pas une nuance de langage, mais constitue le fondement de toutes les grandes démocraties dans lesquelles la justice doit fonctionner à l'abri des pressions de l'exécutif.

La récente affaire de Nancy est pour nous une préoccupation en ce qu'elle révèle une volonté du gouvernement de considérer les magistrats du parquet comme des fonctionnaires de l'action publique. Or cela n'est pas leur rôle. Ils sont certes dans une relation hiérarchique avec le ministre de la justice, mais bénéficient du statut de magistrat, ils bénéficient aussi d'une liberté de parole à l'audience, et le ministre a la possibilité, lorsqu'il le souhaite, par instruction écrite, de demander que des réquisitions soient prises dans un dossier particulier. Voilà où doit s'arrêter l'interventionnisme gouvernemental dans le travail quotidien du parquet.

kevistner : Si Nicolas Sarkozy est vraiment dans une logique de confrontation avec les juges, dans quel but le fait-il ? Et quel est son interêt final à se mettre ainsi les juges à dos ?

Bruno Thouzellier : Je ne crois pas que le président de la République, dans son esprit, soit dans une logique de confrontation avec les juges. Mon analyse est que sa conception de la justice et de la place des magistrats dans la société est totalement différente de celle qui, à notre sens, doit être la nôtre.

Le président de la République considère que la justice est un service comme n'importe quel service de type administratif qui doit être rendu aux citoyens dans l'optique d'une défense quasi idéologique des "victimes". Pour nous, notre mission est à la fois beaucoup plus complexe et beaucoup plus large, et de nombreux autres intérêts doivent entrer en ligne de compte.

Lorsque j'entends Nicolas Sarkozy s'exprimer sur la justice, j'ai l'impression qu'il parle d'une autre planète que celle dans laquelle nous vivons quotidiennement.

Abderinho : Ne pensez-vous pas qu'étant donné que le président est élu au suffrage universel, il semble normal que ce qu'il "promet" soit transformé en loi et ce qu'il "dit" soit réellement mis en pratique ? M. Sarkozy cherche à appliquer le programme pour lequel il a été élu (les peines planchers par exemple).

Bruno Thouzellier : Parlons des peines planchers. Une loi a été votée fin juillet. Cette loi prévoit des peines planchers auxquelles il peut être dérogé par motivation spéciale du juge au regard des cas d'espèce de chaque dossier. Il est donc parfaitement légitime que les magistrats prononcent, lorsqu'ils l'estiment nécessaire – ce qui n'est pas la majorité des cas –, des peines inférieures aux peines dites planchers. Il n'y a donc là aucune contradiction entre le comportement des juges et le respect de la loi.D'autre part, il me paraît extrêmement dangereux de tenter d'opposer légitimité du scrutin et légitimité de la justice. Nous sommes dans deux cadres de fonctionnement différents, et nous avons notre propre légitimité, dans le respect de la loi, à exercer quotidiennement nos fonctions.


Enfin, permettez-moi de vous dire que le président de la République, quel qu'il soit, n'est pas le guide suprême de la justice. Cela est la situation de tous les grands pays démocratiques, et je ne vois pas au nom de quoi la France échapperait à cette règle.

GIGI77 : Que devient la personnalisation des peines avec la nouvelle loi Dati ?

Bruno Thouzellier : Elle doit être surmotivée, ce qui demande une grande implication pour les magistrats, la règle étant dorénavant des peines planchers en cas de récidive. C'est une nouvelle conception de la politique pénale, qui jusqu'à présent était largement fondée sur l'individualisation des peines.

J.Balguerie : Quelle est la marge de manœuvre des juges, hormis la "motivation spéciale" pour déroger à cette peine plancher ? Est-ce un travail supplémentaire pour les juges déjà surchargés ?
Bruno Thouzellier : La marge, c'est justement la motivation, c'est-à-dire la connaissance particulière de l'affaire ou de la personnalité du prévenu qui peut justifier cette peine inférieure au standard légal. C'est effectivement un lourd travail dans des audiences déjà très surchargées et particulièrement stressantes pour les magistrats et tous les acteurs de justice.

Cedric : N'y a-t-il pas une forme de démagogie, voire de populisme, de la part du gouvernement et de Nicolas Sarkozy lorsque, quasi systématiquement, les décisions de justice sur des affaires médiatisées sont remises en cause ?

Bruno Thouzellier : Nous vivons depuis quelque temps une situation très compliquée à gérer pour les magistrats : c'est l'hyperréaction surmédiatisée du gouvernement à tous les faits divers. Comme si tout événement dramatique n'était plus acceptable et que la responsabilité en revenait systématiquement aux dysfonctionnements judiciaires. C'est effectivement un mode de gouvernement peu compatible avec l'exercice d'une justice sereine.

Julien : En tant que président de la République, Sarkozy est aussi président du Conseil supérieur de la magistrature. Selon vous, cela est-il compatible avec l'exercice de ses fonctions ? Le président de la République devrait-il renoncer à ce poste et inscrire dans la Constitution ce fait ?

Bruno Thouzellier : Absolument. Il s'y est d'ailleurs lui-même engagé pendant la campagne présidentielle.

FGH : Croyez-vous que des objectifs chiffrés à atteindre chaque année participent à contrer la délinquance ?

Bruno Thouzellier : A ma connaissance, vous devez confondre avec les statistiques d'activité imposées à la police, mais grâce à Dieu, nous n'en sommes pas encore à des chiffres imposés aux magistrats en termes de flux de traitement de leurs affaires.

lafay : Que pensez-vous des déclarations de Nicolas Sarkozy au sujet de la responsabilité pénale des personnes déclarées irresponsables par les psychiatres ?

Bruno Thouzellier : J'ai beaucoup de mal à les comprendre. Je n'ai pas compris, dans les propos du président de la République, qu'il souhaitait voir juger les irresponsables pénaux. En revanche, il a parlé d'audiences publiques en présence des victimes ou des familles des victimes pour les aider à "faire leur deuil".

J'ai d'autant moins compris cette déclaration de M. Sarkozy que, depuis 1995, ce type d'audience existe. Le juge d'instruction, lorsqu'il prononce un non-lieu pour une personne irresponsable, doit recevoir toutes les parties civiles pour leur expliquer sa décision. Les parties civiles peuvent demander une contre-expertise et même choisir leur expert. Elles peuvent aussi faire appel de la décision du juge d'instruction devant la chambre de l'instruction, qui tient alors une audience publique en présence des experts. Tout cela existe donc déjà.

Quetsche : Pensez-vous que c'est le rôle de la justice pénale d'aider les familles à faire leur deuil ?

Bruno Thouzellier : Ce n'est pas le rôle principal de la justice pénale, qui est de juger les personnes qui sont renvoyées devant elle, et éventuellement de les condamner. Mais il est évident que face à des situations familiales qui peuvent être dramatiques, le rôle d'un magistrat– et nous en sommes tous conscients – est aussi d'aider les victimes ou leur famille à comprendre les raisons d'une décision de justice. C'est une mission que nous acceptons, et même que nous revendiquons.

MARIO : Pourquoi les juges ne seraient ils pas élus ?

Bruno Thouzellier : C'est une très bonne question. Les juges ont été élus en France pendant quelques années sous la Révolution française. Mais qui dit élection dit politisation. Il me paraît que la France n'est pas un pays adapté à un mode d'élection des magistrats comme cela se fait, par exemple, en Suisse.


ideme : Les magistrats pourraient-ils faire grève pour faire respecter le principe d'indépendance de la justice ?

Bruno Thouzellier : L'USM a déjà organisé plusieurs grands mouvements de protestation pour défendre l'indépendance de la justice. Nous n'excluons pas d'autres mouvements de protestation dans l'avenir si nous devions être attaqués sur des aspects fondamentaux, notamment notre liberté de juger.

junior : La formation initiale d'avocat de Nicolas Sarkozy influence-t-elle son comportement vis-à-vis des juges ?

Bruno Thouzellier : Je ne crois pas que la formation d'avocat du président de la République soit un gage de meilleure compréhension du monde judiciaire.

pour_voir : Que pensez-vous des récentes déclarations de Nicolas Sarkozy sur la limitation des poursuites pénales à l'encontre des entreprises ?

Bruno Thouzellier : Là encore, j'ai eu du mal à appréhender les objectifs du président de la République. Il a parlé de dépénaliser le droit des affaires. Or l'activité des entreprises en France est très peu, voire quasiment jamais, sous l'influence de la justice pénale.

Il existe, notamment en matière de droit des marchés financiers et de droit de la concurrence, des modes de sanction qui ne relèvent pas de la justice pénale (Autorité des marchés financiers et Conseil de la concurrence). Ce n'est vraiment que très marginalement, et lorsque les chefs d'entreprise ont franchi la ligne rouge, que les sanctions pénales sont prononcées. J'attends donc de connaître plus précisément les propositions qui seront faites en la matière pour pouvoir me prononcer utilement sur cette question.

Cedric : En parlant de "travail surchargé" , quelles ont été les premières mesures concrètes prises pour vous aider dans votre travail ?

Bruno Thouzellier : A ce jour, nous attendons toujours les mesures d'urgence 1) Pour assurer la sécurité des juridictions. Souvenez-vous de l'agression au poignard contre un magistrat de Metz au printemps dernier. 2) Le recrutement de greffiers pour remettre à flot des greffes sinistrés qui sont à l'origine d'une grande partie de l'inexécution des peines et de l'inefficacité tant dénoncée de la justice.

toni : Ne pensez-vous pas que les magistrats français sont allés trop loin dans une forme d'engagement politique à gauche ?

Bruno Thouzellier : En ce qui concerne l'USM, nous représentons 62 % du corps judiciaire et notre ligne est celle d'une stricte neutralité politique. C'est un positionnement auquel je suis très attaché, car tout citoyen a le droit d'attendre de son juge une totale impartialité, y compris politique. Je ne me sens donc pas concerné directement par votre question.

tiji : Que pensez-vous de tous les départs des collaborateurs de Rachida Dati ?

Bruno Thouzellier : Mme Dati gère son cabinet comme elle l'entend. Ce qui nous inquiète, c'est le turn-over très important de ses collaborateurs, alors que la justice, pour être gérée efficacement, doit avoir des équipes stables au ministère de la justice.
Julie : Quelle est votre position par rapport à la réforme de la carte judiciaire ?

Bruno Thouzellier : C'est une question très complexe. Si elle était simple, cela ne ferait pas quarante ans qu'on en discute. La carte judiciaire doit être rénovée, car la justice a évolué. Mais nous sommes face à une contradiction : les Français demandent une justice de proximité mais aussi une justice de plus en plus spécialisée. Et ces deux demandes sont assez incompatibles s'agissant de la localisation des tribunaux.

D'autre part, il s'agit aussi d'un problème politique, puisque tous les élus sont très attachés au maintien de leur tribunal ou de leur cour d'appel dans leur circonscription. Nous avons, à l'USM, mis en place un groupe de travail qui rendra ses conclusions à la fin du mois de septembre. Ce qui me semble le plus important, c'est d'avoir l'esprit clair sur l'objectif à atteindre et de s'en donner les moyens financiers.

jean-baptiste : Que pensez-vous de l'utilisation sans fin du pléonasme "droit opposable" ?

Bruno Thouzellier : Effectivement, un droit, pour être un droit, est par définition opposable. Nous sommes dans une société des droits subjectifs, beaucoup moins des devoirs. Si vous vous référez au droit opposable au logement, j'ai noté avec une certaine surprise que l'Etat prévoyait à l'avance la sanction qui lui serait opposable sans même réfléchir à mettre en place une politique de logement efficace. Comme si le droit l'emportait sur l'action gouvernementale en matière de logement.

ideme : Vous avez rencontré, me semble-t-il, M. Sarkozy après son élection. Pendant la campagne électorale, vous l'aviez interpellé lors d'un débat sur France 2 au sujet de sa déclaration sur la responsabilité pour faute des magistrats. Tient-il toujours le même discours?

Bruno Thouzellier : Je n'ai pas rencontré le président de la République depuis son élection. Il s'est moins exprimé sur la question de la responsabilité des magistrats depuis qu'il est à l'Elysée. Je pense néanmoins qu'il n'a pas changé de position.

Pour ma part, je reste bien évidemment sur les arguments que je lui avais donnés lors de l'émission "A vous de juger" sur France 2.

précédent | 1 | 2 | 3
Chat modéré par François Béguin

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire