Par David Servenay (Rue89)
La réforme envisagée remet en cause l'irresponsabilité pénale, un des fondements de notre système judiciaire.
Après le cas Evrard, Nicolas Sarkozy s'appuie de nouveau sur une affaire exceptionnelle pour faire une annonce qui met en ébullition le monde judiciaire. Le président de la République a demandé à sa ministre de la Justice de réfléchir à la possibilité de traduire devant un tribunal l'auteur d'un crime, même s'il a été jugé irresponsable au moment des faits.
Il s'est exprimé à Bayonne, vendredi, juste après avoir rencontré les familles de deux aide-soignantes, assassinées en 2004, à l'hôpital psychiatrique de Pau. Un fait divers particulièrement sordide puisque l'auteur de ce double meutre avait décapité ses victimes au sabre. Or, Romain Dupuy devrait bénéficier d'un non-lieu "psychiatrique", non-lieu requis par le procureur de la République. Une décision peu surprenante, au regard du lourd passé psychiatrique de l'intéressé.
"Veiller à ce que les victimes aient le droit à un procès"
Le Président a défendu sa proposition devant les journalistes qui suivaient son déplacement:
"L'irresponsabilité, ce n'est pas un sujet pour un ministre de l'Intérieur ou un président de la République, ce n'est pas à nous de la prononcer. En revanche, en tant que chef de l'Etat, je dois veiller à ce que les victimes aient le droit à un procès où le criminel, où les experts, où chacun devra exprimer sa conviction.
"Je ne suis pas sûr que le mot non-lieu soit parfaitement compréhensible pour un mari dont on a égorgé la femme ou par une sœur dont on a décapité la tête."
Le droit des victimes: un thème sur lequel le candidat Sarkozy avait insisté pendant la campagne électorale, à l'aide d'une rhétorique identique ("Et vous, madame Chabot, vous seriez d'accord si...") Sur le fond, le garant de l'indépendance de la justice -il préside le Conseil supérieur de la magistrature- entend modifier l'esprit du code pénal français, en pronant les vertus de la scénarisation judiciaire. "Le procès, a-t-il déclaré, cela permet de faire le deuil."
Un héritage du droit romain, formalisé sous Napoléon
Apparu formellement pour la première fois dans le code pénal en 1810, le principe de l'irresponsabilité pénale est hérité du droit romain. Bien que profondément modifié au long du XIXe siècle, sous l'influence de l'essor de la psychiatrie, il demeure l'un des fondements du processus judiciaire français. Comme le résume clairement le blogueur maître Eolas:
"Si c'est le juge qui décide, il ne se fie pas au baratin à la plaidoirie de la défense. Il y a une expertise médico-psychologique (c'est à dire psychiatrique), qui est ordonnée par le juge d'instruction s'il est saisi, sinon par le président de la juridiction de jugement. Il peut décider d'une contre-expertise si une des parties le demande, voire de recourir à un collège d'experts."
La phase de l'instruction ne s'effectue donc pas à l'abri du regard des familles qui, en tant que partie civile, ont le droit de réclamer tout acte nécessaire à la "manifestation de la vérité".
Une annonce plutôt mal accueillie par les professionnels
Un procès est-il nécessaire pour "faire le deuil" d'un proche? Utile souvent, mais pas forcément indispensable pensent les professionnels. "Cela n'est pas la première raison d'être d'un procès", constate le magistrat Michel Huyette sur Rue89. Dominique Barella, ex-président de l'Union syndicale de la magistrature (USM) ne comprend pas l'intérêt de cette proposition.
Au-delà de l'argument technique, Dominique Barella, conseiller justice de Ségolène Royal pendant la campagne et désormais intégré au parti socialiste, fustige les effets d'annonce à répétition du président de la République. (écoutez le son)
En 2003, le Garde des Sceaux, Dominique Perben avait déjà émis l'idée de renvoyer les fous devant une juridiction -toujours au nom du droit des victimes- s'attirant, déjà, les foudres unanimes du monde judiciaire. La proposition était restée dans un tiroir.
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