L'objet de toutes les attentions du président du tribunal correctionnel d'Evry (Essonne), vendredi 14 septembre, a finalement été une voix. Robotique, hachée par l'écho. Celle de X..., témoin anonyme du procès de sept jeunes de la cité des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes, suspectés d'avoir agressé deux CRS, en septembre 2006, dans leur quartier, et entendu par visioconférence, en huis clos, avec "floutage". "Monsieur X..., vous m'entendez ?", a dû répéter à plusieurs reprises Eric Gillet, gêné par un décalage de voix permanent.
Faute de moyens, c'est dans l'étroite bibliothèque du palais de justice, réquisitionnée in extremis, que se déroulait l'audience. Les étagères avaient été poussées. Des rangées de chaises avaient été serrées au maximum. Et un escadron de CRS avait été spécialement mobilisé pour veiller sur l'assistance recluse. Mais en lieu et place d'une barre de témoin, c'est autour d'un écran plat équipé d'une webcam que se sont entassés, deux heures durant, magistrats, prévenus et la poignée de journalistes autorisés.
Une improvisation très largement due au caractère inédit de la visioconférence en audience correctionnelle. D'ordinaire, c'est pour les affaires de terrorisme qu'elle est utilisée. Mais la complexité du dossier, la pression politique exercée à l'époque des faits par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, et les peines encourues par les prévenus ont finalement décidé le président du tribunal à franchir le pas (Le Monde du 14 septembre).
Aussi, pour cette première, chacun y est allé de ses maladresses. Même les professionnels du barreau. "Bonjour, monsieur X...", a ainsi lâché, un peu gêné, l'un d'entre eux. Du témoin, installé dans un lieu tenu secret, on n'apercevait en effet qu'une vague silhouette, assise de profil, derrière une porte translucide stores baissés, éclairée par des spots de lumière bleus. Difficile d'évaluer sa corpulence ou son âge.
"ARTICULEZ, MONSIEUR, ARTICULEZ !"
De sa voix, on distinguait encore moins. Pour garantir au mieux son anonymat, un technicien, accompagné de deux officiers de police, était présent dans une pièce adjacente à la sienne. Il avait organisé un brouillage maximum de ses intonations. "Monsieur le technicien, monsieur le technicien, pouvez-vous faire quelque chose ?", se sont agacés à tour de rôle avocats et juges du siège.
Nuances, et précisions ont, au final, été très délicates à arracher au témoin anonyme. D'autant que celui-ci s'exprimait parfois dans un français hésitant et semblait ne pas toujours bien comprendre les questions. Sur certaines de ses phrases, il y a eu autant d'interprétations que de personnes présentes dans la bibliothèque. "J'ai entendu des cris de loin", a-t-il lâché à un moment de l'audition. "Vous dites que vous avez entendu des cris de Noirs ?", l'a repris un avocat. "Non, des cris de LOIN", a-t-il dû préciser. "Articulez, monsieur, articulez !", a lancé à plusieurs reprises, toujours très sec, le président.
Les seules réelles confirmations que le témoin a pu apporter concernent la chronologie des événements et surtout l'identification des prévenus. Pour la plupart d'entre eux, c'est en effet à la suite de ses dénonciations qu'ils avaient été interpellés. A tour de rôle, le président leur a donc demandé de s'approcher de la webcam. Obligés de se coller à la caméra afin que le témoin les observe correctement, leurs visages apparaissaient déformés à l'écran.
"Monsieur X..., qui est cette personne ?", a ainsi interrogé successivement le président après avoir pour deux d'entre eux, gaffé, au grand dam des avocats, en prononçant leurs noms. Le témoin les a désignés, à chaque fois, par leur prénom ou leur surnom. Sauf un, où il a été en contradiction avec sa déposition. "J'ai peut-être fait des erreurs mais il y a des visages qui m'ont marqué", s'est-il défendu, apparemment très stressé par l'audition. "J'ai témoigné sous X... parce que je me suis dit que s'ils apprenaient que je suis témoin, je suis mort", a-t-il tenu à ajouter.
Cette audition a confirmé ce que le président avait détaillé la veille, lors de l'analyse des faits : que ce témoignage n'était plus tout à fait la principale preuve qui pesait sur les prévenus, mais seulement l'une d'entre elles. Le jugement devrait être rendu lundi.
Elise Vincent
Article paru dans l'édition du 16.09.07.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire