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CHRONIQUES >> CHRONIQUE DU BLÉDARD
L'ADN de monsieur Traoré
mardi 16 octobre 2007 par Akram Belkaïd
On le sait, cette disposition génère nombre de protestations. Ses contempteurs dénoncent, au nom de l’éthique, un procédé discriminatoire pour ne pas dire raciste. Il faut dire que, jusqu’à présent, le prélèvement d’ADN n’est utilisé que dans les affaires criminelles ou dans les recherches de paternité et il est vrai que le fait de déterminer l’identité d’une personne par le biais de son sang - car c’est bien de cela qu’il s’agit - relève de ce cauchemar orwellien qui s’installe peu à peu dans les sociétés occidentales et dont l’explosion de la vidéosurveillance n’est que l’une des manifestations.
On objectera que d’autres pays européens ont recours à ce procédé. C’est vrai, mais ils ne sont pas la France et ne prétendent pas incarner les valeurs universelles citées au début de cette chronique pas plus qu’ils ne se font les champions des droits de la personne humaine. Avec cette sordide affaire, c’est bel et bien une certaine idée de la France - celle qui entend être l’une des consciences de ce monde - qui est sérieusement mise à mal.
Ce débat sur le regroupement familial et le recours aux tests ADN est tout sauf anodin. Et comme à chaque fois qu’une polémique fait rage dans ce pays, il faut regarder tout autour et essayer de comprendre pourquoi elle surgit maintenant.
Mais commençons d’abord par une simple remarque de bon sens. Admettons qu’un certain monsieur Traoré - nom pris au hasard mais dont la consonance est destinée à bien faire comprendre quelles sont les populations que les défenseurs de ces tests entendent pointer du doigt - décide de faire venir en France, outre sa femme et ses enfants, son neveu ou sa nièce ou encore l’orphelin qui n’a qu’un vague lien de parenté avec lui mais qu’il a décidé d’élever comme son fils. Ma question est simple : où est le problème ? En quoi cela bouleverserait-il les équilibres démographiques français ? Dix, quinze, mille vrais-faux « regroupés » : est-ce la fin du monde ? Mais passons…
En vérité, l’un des enseignements majeurs de cette affaire est que l’immigré reste entouré d’un halo de suspicion. On oublie ainsi que monsieur Traoré ne peut faire venir sa famille en France que s’il est en situation régulière, ce qui veut dire qu’il respecte toutes les lois de la République, qu’il travaille, qu’il a un logement et qu’il paye ses impôts. Le problème, c’est que ce battage autour des tests ADN laisse entendre que monsieur Traoré, aussi en règle puisse-t-il être, est en permanence susceptible de se transformer en délinquant prompt à abuser de la confiance de cette bonne vieille France qui l’accueille.
Quand des hommes politiques défendent cette mesure, ils ne font que renforcer, auprès d’une partie de l’opinion publique, le fait que l’immigré n’est qu’un profiteur qu’il convient de serrer de près pour éviter les abus. En fait, la classe politique hexagonale, gauche comprise, a du mal à assumer et à défendre l’idée que son pays a besoin d’immigration. C’est le grand tabou qui fait que cet enjeu est toujours abordé de manière négative et sous le sceau du soupçon. Et j’en veux pour preuve récente, l’ouverture en catimini, presque clandestine, du musée de l’immigration à Paris. Ni président, ni ministre pour l’inauguration : quel mépris pour la mémoire de tous ceux qui, venus d’ailleurs, ont contribué, même modestement, à faire de la France ce qu’elle est aujourd’hui !
Le contraste est frappant avec l’Italie et l’Espagne dont les dirigeants n’ont aucune gêne à reconnaître que non seulement l’immigration est nécessaire mais qu’elle contribue à améliorer la croissance économique (*). Et ne parlons pas des pays scandinaves ou du Canada, voire même des Etats-Unis, qui accueillent bien plus d’immigrants économiques ou de réfugiés que la France.
Il ne faut pas être dupe. L’immigration, légale ou pas, est comparable à l’affaire du voile. Pour les politiques français, c’est un outil merveilleux d’instrumentalisation et de diversion. C’est ce que l’on peut jeter en pâture à l’opinion publique pour provoquer le maximum de tapage et faire oublier les véritables enjeux. Prononcez les mots « régularisation », « main d’oeuvre étrangère », « quotas d’immigrés », et les esprits s’échaufferont au quart de tour.
Et pendant ce temps-là, personne ou presque ne prendra le temps de questionner la faillite, non pas de l’Etat, mais d’une politique économique pour le moins déroutante qui consiste, par exemple, à baisser les impôts et à laisser filer la dette et les déficits publics tout en effectuant des prévisions de croissance pour le moins fantaisistes. Et tout cela sous fond de scandales financiers à répétition.
Enfin, cette affaire d’empreintes génétiques démontre que le Front national, à défaut d’avoir gagné l’élection présidentielle, participe bien au pouvoir. On entend souvent dire que l’un des mérites de Nicolas Sarkozy est d’avoir fait taire l’extrême droite mais on oublie qu’il existe plusieurs manières d’y arriver. On peut continuer à combattre ses idées pour convaincre les gens de s’en détourner ou on peut, à l’image de ce qui se passe en ce moment, se les approprier et n’avoir aucun scrupule à les introduire - et à les défendre - dans le débat public. Finalement, cette loi sur l’immigration, avec sa disposition sur les tests ADN, est aussi un clin d’oeil au FN pour l’assurer qu’il est bel et bien dans la place.
(*) Lire l’analyse de Daniel Vigneron, « Chercher la croissance… chez les immigrés », La Tribune, mardi 9 octobre 2007.
Voir en ligne : in Le quotidien d’Oran
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