18/10/2007

France2 23H : 'Quand la France s'embrase'

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S. ORTOLA / 20 MINUTES ¦ Affrontements avec les forces de l'ordre a la fin de la manifestation contre le CPE du 21 mars 2006. Les CRS répliquent avec du gaz lacrymogène.«Les CRS? Ça fait de belles images»

David Dufresne a réalisé avec Christophe Bouquet un documentaire, «Quand la France s'embrase», diffusé jeudi soir sur France 2. Il est également l’auteur de «Maintien de l'Ordre» (Hachette Littératures). Interview.


La notion de maintien de l'ordre occupe-t-elle une place centrale dans la police?

Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin, lorsqu'ils étaient ministres de l'Intérieur, ont décidé de parier plus sur les CRS que sur les autres policiers. Les CRS, qui sont normalement une force d'exception, interviennent dans les cités et les quartiers populaires en lieu et place de la police de proximité. Une police de proximité, il faut le préciser, à qui la gauche n’a jamais donné les moyens de remplir ses missions.

Vous montrez qu'il s'agit d'une stratégie planifiée avant les émeutes...

Le jour où Nicolas Sarkozy prononce le mot «racailles» sur la dalle d'Argenteuil, le ministre de l'Intérieur était venu présenter son plan anti-violences urbaines. C'est là qu'il a annoncé qu'il allait mettre des CRS dans les cités. Le premier jour des émeutes survient quelques jours avant la mise en place de ce plan. Les CRS n'étaient d'ailleurs pas prêts à aller sur ce terrain. C’est pour ça que sur le terrain, cela s’est mal passé pour eux, ils se sont perdus, trompés de rues… Même chose avec l’histoire de la grenade lacrymogène tirée en direction de la mosquée. Cette grenade est tirée parce qu’ils ne savent que c’est une mosquée. Ils n’avaient aucune connaissance du terrain qui est essentielle.

Les premiers jours des émeutes, la police a-t-elle été débordée?

Plus qu’on ne le pense. J’observe avec plaisir aujourd’hui que l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure reconnaît que la police a été prise au dépourvu. Mais c’est plus que ça. Un policier nous a dit que le premier soir «ça a été la fête du slip». Une façon de dire que la police a eu beaucoup de chance, car elle n’était pas préparée à cause d’une sous-estimation du phénomène, de guerres entre services, de la jeunesse de l’encadrement, d’une mauvaise transmission de certains ordres.

Pourquoi faire le choix de mettre des CRS dans les cités?

On éteint le feu sans savoir pourquoi il a pris. On pare au plus pressé sans réfléchir à long terme. C'est aussi une manière d'occuper le terrain médiatique. Envoyer les CRS, ça fait de belles images, c'est efficace en termes de communication. Plus que de faire de la prévention.

Cette réponse est-elle suffisante?

Non. S’il n’y a qu’une réponse policière, on ne répond qu’à une partie du problème. Hormis les élus locaux, on a l’impression que tout le monde se contrefout des problèmes sociaux dans les quartiers difficiles. Il y a une sorte de fatalisme politique. La police parle de violences urbaines, mais ce n’est pas qu’un problème de violence, il ne faut pas analyser cela sous l’angle exclusif de la délinquance. Seuls les RG ont une analyse profondément sociale des choses. Mais en évitant d’en faire un problème de société autant que de sécurité, on se prépare d’autres émeutes.

Comment cette nouvelle présence policière est perçue dans les cités?

Très mal. D’ailleurs, un an après les émeutes, des consignes ont été données pour lever un peu le pied sur les contrôles effectués par les CRS. Les habitants de ces quartiers ont également fait remonter leur malaise et leur colère. En plus, envoyer des hélicoptères ou des drones pour surveiller ces quartiers est encore plus mal perçu. C’est une grande première. Dans toute l’histoire du maintien de l’ordre, on a tendance à démilitariser les moyens et là, de nouveau, on utilise des moyens militaires. Ça n’a l’air de rien, mais cela a forcément un sens.

Votre livre s’ouvre sur la manifestation anti-CPE qui se termine très mal place des Invalides, avec des violences commises par des casseurs. Pourquoi une telle violence? Pourquoi un tel fiasco?

Ce lieu, choisi par la préfecture de police, n’était pas le bon pour disperser une manifestation. Il y avait des précédents avec des blessés graves en 1986. De plus, les RG avaient prévenu que 2.000 casseurs allaient venir. On sait également qu’il y a eu des problèmes de relation entre les organisateurs et la préfecture. Et dans un contexte de guerre entre Sarkozy et Villepin, les policiers ont fait ce qu’ils ont pu. Tout cela a conduit à un fiasco. Problème, il n’y a pas eu de commission d’enquête et la police, qui se dit exceller dans la gestion de manifestations, n’a jamais fait son mea culpa.

Le regard des médias a-t-il évolué?

Les médias dominants sont toujours du côté du pouvoir à chaud. En effet, les caméras, ne serait-ce que pour se protéger, sont souvent avec les CRS et on voit plus les images du mec qui balance des pierres et que des policiers qui chargent. Et il y a une tendance lourde à tous montrer les mêmes choses au même moment. A contrario, les médias vont également très vite pour contester des versions policières ou d’hommes politiques quand elles sont erronées.

S. ORTOLA / 20 MINUTES ¦ Affrontements avec les forces de l'ordre a la fin de la manifestation contre le CPE du 21 mars 2006. Les CRS répliquent avec du gaz lacrymogène.

Recueilli par David Carzon

20Minutes.fr, éditions du 17/10/2007 - 20h23



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