Dans "Le Nouvel Observateur", jeudi, Jean Daniel, haute figure de la "gauche" morale, écrit: "En principe le sujet est de savoir s'il faut supprimer les régimes spéciaux de retraite pour les aligner sur le régime de la fonction publique".
Puis Jean Daniel ajoute: "La réponse est évidemment oui",19.10.2007
"Evidemment Oui"Vive le feu Blog de Sébastien Fontenelle/20 MIN
car après 'l'injustice faite à Alain Juppé en 1995 (...), il serait temps de devenir raisonnable".
On lit ça, on attend le "mais".
On se dit que Jean Daniel, sur le sujet des retraites, ne vas pas limiter son intervention à ce frénétique applaudissement - le gars est de "gauche", oui, ou merde?
Et de fait: il y a un "mais".
Le pauvre Alain Juppé a subi en 1995 une affreuse injustice, et Nicolas Sarkozy a bien raison de vouloir enfin, douze ans plus tard, "supprimer les régimes spéciaux de retraite", mais.
Mais.
"Il y a des limites à ne pas dépasser".
(Lesquelles, exactement?
Jean Daniel ne le dit pas.)
En somme, le fond est bon, y a de l'idée, mais la forme laisse à désirer: le mieux serait, on le pressent, que Nicolas Sarkozy et ses fidèles féaux passent un peu de vaseline au fondement des salariés, avant que de les posséder.
Un petit supplément d'âme, quoi.
C'est l'axiome numéro 1 de la presse qui ment, ces temps-ci (comme à chaque fois, "évidemment", qu'elle se trouve confrontée à un "mouvement social" de quelque envergure): la "réforme" est "nécessaire".
Axiome numéro 2: à partir du moment où la "réforme" est "nécessaire", il faut quand même être un sacré(e) pauvre con(ne) lourdement crispé sur des réflexes de type stalinien pour ne pas voir que la "réforme" est "nécessaire".
C'est ce que Jacques Julliard, qui officie habituellement au "Nouvel Obs" (à proximité de Jean Daniel), mais qui ne dédaigne pas de s'aventurer parfois en terre barbichue, énonce posément, lorsqu'il moque ce matin, dans les pages de "Libération", une "grève déclenchée sur un objectif aussi discutable, aussi impopulaire que la réforme des retraites".
La presse ment, la presse ment, la presse ment: il faut se le répéter chaque matin au lever, pour ne jamais l'oublier.
Il y a, dans le double énoncé, par Jean Daniel et Jacques Julliard, d'une même obsession, toute la morgue de nos journaleux, qui n'en finiront jamais de "penser" du côté du manche.
Voyez au reste comme la divagation de l'un répond ici à celle de l'autre, axiome numéro 1, axiome numéro 2 - et comme, réunies, elles ouvrent un long boulevard pavé de sentiments respectueux devant le chef de l'Etat.
Il faudrait, nous dit Jean Daniel, "évidemment" réformer, en les supprimant, les régimes spéciaux?
"Evidemment" ce n'est pas vrai - mais il faut, pour le réaliser, faire par exemple un détour par chez ATTAC, où l'on est, vous en conviendrez, moyennement anarchiste(s), mais où l'on a montré, il y a longtemps déjà (c'était en 2003), que: "L’augmentation des cotisations patronales est le moyen le plus simple pour rééquilibrer la part des salaires dans la valeur ajoutée en vue de financer les retraites".
Agade, c'est magique: pour "le retour pour tous à 37,5 années de cotisations, (...) une augmentation de 15 points du taux de cotisation lissée sur 40 ans suffirait".
Concrètement, ça donne quoi?
Concrètement: "Cela représente en moyenne une augmentation des cotisations de 0,375% seulement par an pendant 40 ans".
0,375%!
"Il est difficile d'affirmer qu'une telle augmentation serait insupportable pour l'économie française".
Observe ATTAC - et je suis bien d'accord.
(C'est d'autant plus difficile, que nous savons désormais (nous le pressentions un peu), grâce à l'excellent monsieur Gautier-Sauvagnac, du MEDEF, que le patronat dispose de confortables réserves: 600 millions d'euros, pour le seul secteur, cher au coeur des maîtres de forges (suivez mon regard), des mines et de la métallurgie.)
Ces messieurs de la presse "de gauche" (qui ne ment pas moins que l'autre) ont-ils envisagé, fût-ce dans un recoin de leurs minables homélies, de réclamer au patronat l'"augmentation des cotisations de 0,375%" qui permettrait de sauver les retraites du salariat?
Nenni - songez.
Cela bousillerait leur coutumière incantation, et les montrerait pour ce qu'ils sont: de pâles passe-plats, occupés à plein temps à nous entretenir dans une absolue soumission au credo néo-libéral.
L'augmentation des cotisations patronales?
Jamais la presse n'en parle(ra), préférant l'occulter, comme la "Pravda" faisait naguère de ce qui n'entrait pas dans la "ligne" du Parti.
La presse préfère, et c'est là qu'après Jean Daniel, Jacques Julliard entre en scène pour dénoncer l'"objectif (...) discutable" et "impopulaire" des grévistes, rosser les misérables, plutôt que les puissants.
Matez comme nos journaleux, lovés dans leurs niches fiscales, fustigent les méchants salopards qui ont le front de se battre pour la préservation de leur (petit) niveau de vie.
Relisez je vous prise les crânes déclamations où nos fidèles planchets stigmatisent, du haut de leurs connivences, du haut de leurs complaisances, de leurs piges de luxe et de leurs ménages surpayés, les "avantages acquis" des hideux cheminots.
"Impopulaire", vraiment, le "mouvement social" qui ces jours-ci se déploie enfin?
Oui, si on cherche de l'information dans des canards comme "Le Parisien", qui vomit ce matin que: "Les sondages pointent l'isolement des grévistes".
Si on cherche de l'information à la télévision, où de vaillants reporters n'ont de cesse que d'aller recueillir, sur des quais de gares à la con, les belliqueux témoignages de tristes clampin(e)s saturé(e)s de propagande, tout juste capables de répéter que oui, c'était "la galère", que, oui, c'était un "jeudi noir", que, oui, c'était "pire que prévu", et que, oui, "y en a marre", d'être "pri(se)s en otages" par des "privilégiés".
(Vois la masse lobotomisée qu'une droite haineuse et revancharde veut finir d'enchaîner, et qui opine du chef.)
Mais viens me sonder, moi, journaleux - et viens sonder mes potes, et les ami(e)s de mes ami(e)s, et les ami(e)s de leurs ami(e)s, tu verras qu'on est des millions, ça te changera un peu de tes sempiternelles manips de pauvre laquais patronal - et tu verras qu'on est contents de marcher dans Paris quand le métro ne roule pas.
Viens par chez nous, camarade, et tu découvriras enfin les millions de passants que la grève ravit - mais dont jamais tu ne parles dans tes journaux.
(Les millions d'effacés-de-la-photo, comme au bon vieux temps de la "Pravda".)
Viens par chez nous, qu'on te parle de notre syndrome de Stockholm, qu'on te dise comment c'est bon, d'être "pris en otages" - et notre envie, surtout, de n'être pas relâchés de sitôt.
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