04/12/2007

La banlieue en V.O.

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Le « Lexik des cités », écrit par dix jeunes du Bois-Sauvage à Evry, décode les expressions des quartiers. Rencontre avec Cédric Nagau, « quêteur de mots »« 10 000 exemplaires vendus en un mois et demi. » Cédric Nagau (photo) vient d’apprendre ce chiffre et n’en revient pas. Le « Lexik des cités »* qu’il a créé avec neuf autres jeunes du quartier du Bois-Sauvage, à Evry, rencontre un grand succès dans les librairies. Lorsqu’ils ont commencé ce livre il y a trois ans, ils n’imaginaient pas qu’il serait distribué au-delà des murs de leur cité. « On voulait lutter contre la discrimination par le langage et montrer que ce n’est pas parce qu’on parle comme ça qu’on est des délinquants », explique Cédric, 25 ans, aujourd’hui salarié de l’association Permis de vivre la ville, à l’origine du projet.

Ce lexique « pue l’authenticité » selon Cédric, car c’est la première fois que des jeunes des cités prennent du recul par rapport à leur propre vocabulaire. Mais le jeune homme ne veut pas rentrer dans la caricature. « Il ne faut pas croire que nous n’avons que les 241 mots du Lexik dans notre vocabulaire. On change de disquette en permanence ! On se met en mode langage des cités avec les amis et on repasse en français académique avec les parents, les profs, les patrons… » Depuis un mois, les dix jeunes sont invités sur de nombreux plateaux de télévision et de radio, mais certains animateurs sont parfois déçus de ne pas les entendre « parler racaille ».

Avec ce livre, Cédric est parti en « quête des mots », de leur sens et de leur étymologie. Pendant trois ans, deux soirs par semaine, les week-ends et les vacances, il s’est plongé avec ses camarades dans les dictionnaires, sur Internet et a interrogé des linguistes pour retracer l’histoire de ce vocabulaire coloré, emprunté aussi bien à l’ancien français qu’aux langues africaines ou au portugais. Le Lexik des cités, que Cédric a également illustré, nous apprend ainsi que « padig » est une expression créole originaire des îles anglophones, « don’t dig about this », signifiant « ne creuse pas l’affaire » et par extension « laisse tomber », « ne t’en fais pas ». Il se souvient que l’un des mots qui leur a donné le plus de fil à retordre fut « meskin ». Ils ont finalement découvert que ce terme était issu de la langue mésopotamienne, dans laquelle il signifiait « celui qui se soumet, se prosterne » et que par déformation, il était désormais employé pour exprimer la pitié, « le pauvre ».

Aujourd’hui, Cédric affirme ne plus pouvoir se passer « de son ami Robert », en référence au dictionnaire. Il s’amuse même parfois à ouvrir ce dernier au hasard et à apprendre quelques mots. La réalisation de ce livre lui a redonné le goût de la lecture. A la fin des romans, il n’hésite pas à faire des petits lexiques des mots dont il a recherché le sens, pour les prochains lecteurs. Et lorsque des détracteurs reprochent au « Lexik… » « d’assassiner la langue de Molière », Cédric répond avec malice : « Assassiner, c’est un mot qui vient de l’arabe, non ? »

Julie Robelet (Extramuros)

*« Lexik des cités », collectif, éditions Fleuve Noir

http://20minutes.bondyblog.fr/news/la-banlieue-en-v-o


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