06/12/2007

«On balancera pas nos potes»

Partager
«On balancera pas nos potes»
REUTERS
A Villiers-le-Bel, scepticisme sur l’appel à témoins lancé par la police.
DIDIER ARNAUD
QUOTIDIEN : jeudi 6 décembre 2007
LIBERATION
A Villiers-le-Bel, dans la journée, les uniformes se font rares. Pas de CRS aux ronds-points, comme la semaine passée. La police est plutôt présente dans les conversations, à cause des tracts distribués mardi. Ils promettent une rémunération contre «tout élément susceptible d’orienter favorablement les enquêtes en cours» après les coups de feu tirés contre les forces de l’ordre la semaine dernière. Les habitants se taisent, hâtent le pas lorsqu’on les aborde. «J’en pense rien», dit cette dame qui porte un cabas rouge. On toque à la portière de la voiture de la police municipale. La vitre s’ouvre : «Pas de commentaires, Monsieur.» Puis elle se ferme. «Les gens ont surtout envie qu’on les laisse tranquilles», dit cet habitant. Une employée municipale brandit son devoir de réserve. Elle finit par consentir qu’elle trouve la démarche de la police «exagérée».

Chez ceux qui parlent, les tracts suscitent d’abord le rejet. Mourad lâche d’un trait : «Deux de nos frères sont morts. On s’en fout des milliers d’euros. Ça va pas les faire revenir. Vous inquiétez pas, on ne va pas balancer nos potes.» Ce jeune homme qui part travailler juge la proposition inique. «D’un point de vue moral, ça ne se fait pas, ce n’est pas déontologique», dit-il. Atif, 16 ans, est sûr d’une chose : «Tous ceux que je connais ont jeté le tract.» Proposer de «l’argent, c’est encore pire, ça a dégoûté tout le monde». Un élu appuie. Il s’avoue «très sceptique sur ce type de disposition». Il s’inquiète pour la suite. La veille, il a assisté à une réunion. Des jeunes s’y sont invités et ont, dit-il, trouvé le procédé un peu «saumâtre». «Il y a des appels à témoins pour les agressions, mais pas pour l’accident [où deux adolescents ont trouvé la mort, ndlr]. Les jeunes ont l’impression que tout n’a pas été fait. Cela crée un sentiment du deux poids, deux mesures», dit-il. Il rappelle également qu’un adjoint de sécurité a été agressé pour avoir déjà témoigné, et que, «prime ou pas prime, cela va en refroidir plus d’un».

«Pas propre». A Villiers, les seules traces des violences restent les bâtiments brûlés. La bibliothèque Louis-Jouvet est carbonisée. L’arrêt de bus Salvador-Allende a explosé. Massamba et Boris, qui vit à quelques mètres du lieu où l’accident s’est produit, reviennent du lycée. Ils sont en seconde. «Les gens qui sont morts valent plus que de l’argent», dit doucement Massamba, qui ajoute : «Les policiers nous prennent pour des personnes corrompues.» Massamba ne trouve pas cela «propre». «L’Etat marche à l’argent, dit-il Ils ne voient pas ce que c’est que de perdre un être humain.»

A Villiers, même si certains, comme Massamba, avouent «comprendre» ceux qui ont tiré sur les policiers, peu «cautionnent» les tirs.

Mais les habitants doutent de l’efficacité de la mesure. Boris a sa petite idée. «La personne qui va être dénoncée ne sera pas la bonne. Ceux qui savent ne le diront jamais. Ce sont ceux qui croient savoir qui iront peut-être.»

Westerns. En cherchant bien, on trouve des gens pour apprécier les vertus de cet appel à témoins rémunéré. Dans un café du centre, Bertrand dit qu’au baromètre des conversations, c’est «cinquante-cinquante». Lui est «pour». «Ceux qui ne dénoncent pas sont encore plus mauvais que ceux qui ont balancé des cocktails. Ils veulent la sécurité et ils ont les foies.» La raison de cette crainte : Bertrand croit savoir qu’un «tout petit groupe fait pression sur ceux qui veulent vivre et avoir la paix». Bruno, en cravate, sort de chez lui pour accompagner son fils. Il est l’un des rares à avoir «vu les tracts à l’Intermarché». Même si la démarche lui rappelle un peu les westerns. «Cela se fait partout, dit-il. Plein d’affaires se résolvent comme ça.» Irait-il ? «Je n’ai pas besoin d’argent», dit-il, en touchant l’arbre qui est devant lui. M’bala sort de la cité Cerisaie. Il tient son enfant par la main. Dit qu’il veut le voir grandir dans de bonnes conditions. Il ne sait pas juger le tract, mais trouve que c’est «une bonne idée de faire des recherches pour éviter la délinquance. Mon souhait, c’est surtout que cela se calme dans le quartier». Sous le lampadaire où a eu lieu l’accident, les mots et les bouquets sont de plus en plus nombreux.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire