Par Antoine Lerougetel
7 décembre 2007
Le World Socialist Web Site a récemment interviewé Claude Néau, membre de la CGT (Confédération générale du travail) d’Airbus Nantes, sur la grève des cheminots et des agents des transports urbains, pour la défense de leur retraite.
La LCR (Ligue communiste révolutionnaire) qui se prétend trotskyste et qui est dirigée par Olivier Besancenot et Alain Krivine, propose de fonder un parti « anticapitaliste. » Cette organisation sera un amalgame centriste, regroupant des éléments déçus du Parti socialiste et du Parti communiste dont le but sera d’empêcher qu’un mouvement authentiquement socialiste et internationaliste n’émerge dans la classe ouvrière française. Dans cette optique, la LCR a officiellement abandonné toute référence au trotskysme.
Lutte ouvrière, autre organisation qui se réclame encore du trotskysme a récemment annoncé sa décision de participer, lors des élections municipales de l’année prochaine, et pour la première fois de son histoire, à des listes communes avec le Parti socialiste dont la politique ne diffère que marginalement de celle des gaullistes de droite au pouvoir.
Les cheminots, qui avait fait grève pendant huit jours, en dépit de l’hostilité du gouvernement et des médias et de l’attitude pourrie des directions syndicales, ont été durement touchés quand toutes les fédérations syndicales, dont la CGT majoritaire, et SUD-rail, syndicat plus radical (Solidarité, unité, démocratie) ont entamé des négociations avec le gouvernement et les employeurs le 21 novembre.
Jusque-là, SUD, fortement influencé par les organisations petites bourgeoises de gauche, avait refusé toute négociation avant que ne soit retirée la « réforme » du gouvernement qui détruit le régime de retraite des cheminots qui leur permettait jusqu’ici de prendre leur retraite à taux plein après 37,5 années de cotisation. Ces 37,5 annuités passent à présent à 40 et il s’ajoute une décote sévère en cas de retraite anticipée.
Claude Néau, 51 ans, est membre de la CGT depuis 10 ans et membre de son comité d’entreprise à Airbus, Nantes depuis trois ans. Il a joué un rôle actif dans la grève contre Power 8 sur son site cette année. Son site produit et assemble les avions A320 et A321. Il est sympathisant de Lutte ouvrière qui s’oppose à une lutte politique pour renverser le régime du président Nicolas Sarkozy et se contente d’appeler à faire pression.
WSWS : Comment voyez-vous la grève des cheminots ?
CN : Avec les cheminots il y avait quand même une bonne motivation. Au niveau de la base, je crois que c’était très bien parti malgré le fait qu’au départ Thibault voulait casser cette grève. La base a quand même résisté. Mais il y avait continuellement les interventions des syndicats, et spécialement Thibault, qui allaient contre la grève, qui voulaient la casser, la démobiliser en demandant à ce que les négociations se fassent par entreprise, et surtout ne pas mélanger, comme ils le disaient, les mouvements qu’il y avait aussi avec les étudiants. Ils ne voulaient surtout pas une grève de masse avec les autres corporations et les étudiants. Thibault avait bien dit aux étudiants qu’ils retournent dans leurs universités et ne restent pas sur les voies des cheminots.
Thibault sert beaucoup à Sarkozy. Il est là pour contenir la colère des cheminots et du reste, parce qu’il y a aussi dans la fonction publique un peu tout le monde. Il y avait aussi la peur que ça se généralise sur le privé aussi. Donc, le soldat Thibault est important. [Pendant la grève, Sarkozy avait déclaré « Il faut sauver le soldat Thibault. »]
WSWS : Comment voyez-vous le rôle de la LCR et de LO pendant la grève ?
CN : Je sais que sur Nantes, LO a quand même bien œuvré. Peut-être pas au niveau des autres villes en France. Au niveau de la LCR, on sait qu’elle est très bien implantée dans le syndicat SUD, et le syndicat SUD a un peu baissé les bras à la fin.
WSWS : Mais SUD a soutenu la table ronde par sa présence. Comme nous l’avons dit, les négociations portaient sur le prix de la capitulation. Ce n’est pas ce que la LCR et LO ont dit. Ils n’ont pas rompu avec les bureaucraties syndicales.
CN : Oui, je sais que LO disait que pendant les négociations les grévistes ne devaient pas relâcher la pression.
J’avais l’impression que tous les partis, même les partis d’extrême gauche s’en vont tous vers la droite, ils tirent tous vers la droite sans pour autant être à droite mais ils tirent tous dans cette direction-là. D’après ce que me disent les copains de LO, ils n’ont fait aucun compromis, c’était histoire de pouvoir avoir des listes et des candidats dans certaines communes où il n’y avait pas beaucoup de maires du parti communiste. Voilà un petit peu ce qu’ils ont comme argument à m’apporter devant la colère que j’avais là-dessus.
Thibault et Didier Le Reste [dirigeant de la CGT Cheminots, et membre du Parti communiste] sont là pour accompagner le gouvernement et la classe ouvrière n’est plus représentée, on n’a plus personne pour nous défendre devant ce gouvernement à part nous-mêmes, par les grèves ou même aller jusqu’à une révolution. On n’a plus personne, on n’a plus aucun syndicat qui nous représente vraiment dans notre bataille, dans ce qu’on pourrait vouloir faire pour changer ce système.
WSWS : Pensez-vous que notre appel à construire un parti basé sur un authentique socialisme, sur une perspective révolutionnaire, est nécessaire et faisable?
CN : Nécessaire oui, mais faisable, à ce jour, je ne sais pas si c’est faisable. Il y a encore du travail à faire. Sarkozy a tous les gros médias dans sa poche. Il est très communicatif en plus avec le mensonge. Il arrive à tromper la population.
WSWS : Parce qu’il n’y a pas d’opposition organisée.
CN : Entre autres. Il n’y a pas d’opposition politique ou de syndicats, et il s’en sert. On n’est pas aidés.
WSWS : Nous considérons que la révolte de Villiers-le-Bel est liée à la trahison de la grève ; elle isole les sections les plus opprimées de la classe ouvrière.
CN : C’est la suite des évènements, la flambée de violence. Pour moi c’est la continuité, il y a eu un accident qui a déclenché les choses, mais ça couvait. C’est des laissés pour compte. C’est comme pour la classe ouvrière, ils sont opprimés, ils sont laissés pour compte, ils sont détestés. Donc automatiquement le moindre petit truc ça fait repartir. Il n’y a pas d’histoire de délinquants, de voyoucratie, de racaille ou quoi que ce soit. C’est la politique de la droite, de l’extrême droite qui est le résultat de cela.
Ils ont déjà le problème de n’être même pas considérés comme Français, alors qu’ils le sont. Et pour le travail ils n’en trouvent pas et pour le peu de travail qu’ils trouvent, ils sont exploités complètement. Ils vivent dans des quartiers, des HLM où rien n’est refait. C’est lamentable. Donc, c’est normal que ça pète. Et je pense que ça continuera. Envoyer la police ne résout rien, ça ne fait qu’augmenter la haine.
WSWS : Je cite la déclaration: « LO et la LCR se sont servis de leur influence pour couvrir la trahison des syndicats et de la gauche officielle et pour étouffer dans l’œuf une rébellion contre ces organisations. Ils portent la principale responsabilité de la trahison de cette grève. S’ils avaient utilisé leur influence pour contrecarrer la trahison des syndicats, pour mettre en garde les travailleurs et pour appeler à la résistance, cela aurait eu un impact. Mais c’est la dernière chose qu’ils voulaient. Ils se sont délibérément efforcés d’empêcher une rébellion contre les appareils bureaucratiques. »
CN : Non, Besancenot n’a pas été très révolutionnaire. Il est en train de complètement virer. On le voit bien parce qu’il remet même le Trotskysme en cause. Et quand j’en parle à des adhérents de la LCR, on a l’impression qu’ils ne sont même pas au courant de ce qu’il fait. Ils ne veulent pas le reconnaître. Son nouveau parti, ce sera un parti réformiste, mais pas un parti communiste, il ne dit même pas le mot communiste.
WSWS : Il y a une chose qui unit la LCR et LO, c’est le fait qu’ils voient l’unité de la classe ouvrière uniquement à travers l’unité de la bureaucratie syndicale
CN : Oui, c’est vrai. Dans Lutte ouvrière du 28 novembre il y avait un titre « la SNCF, pendant les négociations les grévistes ne doivent pas relâcher la pression » donc ça veut bien dire qu’ils veulent des négociations par les syndicats. C’est sûr qu’ils n’ont pas tellement parlé de la trahison des syndicats. Effectivement ils ont été un peu aidant pour les syndicats qui étaient à la table des négociations alors qu’ils auraient dû complètement dénoncer cela, dire qu’il ne fallait surtout pas faire confiance aux syndicats et ne pas aller aux tables des négociations pour plutôt continuer la lutte et la propager, même amener le privé avec le public. Cela n’a pas été fait.
WSWS : Et à Airbus ?
CN : Nous sommes complètement grillés par les syndicats. C’est une vraie mafia entre les syndicats et la direction. Seulement cette politique des syndicats, de la direction et du gouvernement est flagrante chez Airbus et ils ne le cachent même pas. Au niveau des ouvriers, c’est perçu comme une trahison, mais ça ne va pas plus loin. Ça les révolte, c’est sûr, mais, pour aller plus loin, après c’est une autre paire de manches. Je sais que ça couve toujours chez nous pour la question de repartir sur une grève un peu comme celle faite au printemps. Ils en ont encore peur, mais de là à savoir si ça repartira, voyant tous les syndicats faire en sorte que ça ne parte pas, c’est très difficile pour ceux qui ont encore envie de se battre chez Airbus. Et quand ils voient ce qui se passe à la SNCF, ils se démoralisent encore plus.
On peut voir dans les journaux aujourd’hui que les attaques reprennent à nouveau. [Louis] Gallois [dirigeant d’EADS, maison mère d’Airbus] et [Tom] Enders [patron d’Airbus] ne sont pas d’accord sur la vente des sites : Gallois veut aller plus lentement et Enders plus vite. Les syndicats commencent à accuser les Allemands.
WSWS : On peut voir avec la grève des cheminots en Allemagne et en France que ce sont les mêmes questions fondamentales qui sont en jeu : La destruction des droits pour préparer la privatisation. Les gouvernements européens et la bourgeoisie européenne sont derrière Sarkozy. Il est nécessaire pour la classe ouvrière de construire sa propre organisation internationale indépendante.
CN : Comme il n’y a pas de limites dans ce qu’ils veulent faire, ça va finir par péter. L’histoire nous dit que même si on fait une révolution, ça peut foirer après : le stalinisme. Après la Révolution française, on a viré les royalistes et on a mis les capitalistes à leur place.
C’est une perspective nécessaire. Ça va être dur, mais si on n’arrive pas à le faire, là on est mal. Oui, c’est faisable, mais il y a un sacré travail derrière.
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