23/11/2008

Laboratoires d’analyse médicale : la santé mise aux enchères

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A la demande de Bruxelles, le gouvernement s’apprête à imposer de la manière forte la dérégulation de l’activité des laboratoires d’analyse médicale en autorisant les groupes financiers à en devenir les actionnaires majoritaires. Le Conseil de l’Ordre des Pharmaciens, qui représente ce secteur, s’est vu infliger récemment une perquisition musclée menée par les services de la Commission. Les biologistes s’alarment de ces nouvelles règles qui vont autoriser la mainmise des investisseurs sur les laboratoires au mépris de l’indépendance et de la déontologie médicale. « Le domaine de la santé n’est pas un domaine marchand comme un autre. Les considérations de rentabilité - si elles doivent être prises en compte - ne peuvent pas être la seule règle, » rappelle l’intersyndicale des biologistes.






A la demande de Bruxelles, le gouvernement s’apprête à imposer de la manière forte la dérégulation de l’activité des laboratoires d’analyse médicale en autorisant les groupes financiers à en devenir les actionnaires majoritaires. Le Conseil de l’Ordre des Pharmaciens, qui représente ce secteur, s’est vu infliger récemment une perquisition musclée menée par les services de la Commission. Les biologistes s’alarment de ces nouvelles règles qui vont autoriser la mainmise des investisseurs sur les laboratoires au mépris de l’indépendance et de la déontologie médicale. « Le domaine de la santé n’est pas un domaine marchand comme un autre. Les considérations de rentabilité - si elles doivent être prises en compte - ne peuvent pas être la seule règle, » rappelle l’intersyndicale des biologistes.


La biologie médicale dans le viseur de la Commission Européenne

Par le Dr Fourage, Pharmacien-Biologiste, 21 novembre 2008

La récente perquisition musclée menée par les fonctionnaires de la Direction Générale de la Concurrence de la Commission Européenne au siège de l’Ordre des Pharmaciens appelle un éclairage sur la situation de la biologie médicale en France. Près de 85% des biologistes sont en effet pharmaciens et dépendent donc de l’Ordre des Pharmaciens.

Menée sur la base de soupçons de « pratiques anticoncurrentielles » dans le secteur de la biologie médicale, cette perquisition constitue une première et alarme les tenants d’une vision de la Santé à l’abri des soubresauts de la finance.

La biologie médicale est pour l’heure assurée par des professionnels de santé, médecins ou pharmaciens, dont les analyses participent de la phase clé du diagnostic. 8 actes de soins sur 10 en dépendent directement pour un coût équivalent à 2,275 % des dépenses annuelles de soins (Source : CNAM, 2007).

La réforme programmée par le gouvernement français dans le cadre de la loi HPST (Hôpital, Santé, Patients, Territoires) pour janvier 2009 devait offrir un nouveau cadre d’exercice modernisé pour la biologie médicale. Les représentants de la profession ont d’ailleurs participé aux réunions de la Commission Ballereau mandatée pour esquisser les grandes lignes de la réforme. Reste que cette concertation n’a pas permis d’aboutir à un consensus et à apaiser tous les doutes exprimés par la profession.

Principal point de discorde, l’ouverture annoncée totale de l’accès au capital des SEL (Société d’Exercice Libéral, la forme juridique la plus usitée pour les laboratoires d’analyses médicales) à des investisseurs tiers non professionnels de santé, contre 25% aujourd’hui.

Cette ouverture limitée visait à l’époque à permettre aux biologistes de lever des capitaux et de faire face aux nouveaux défis posés par la modernité. Innovations technologiques et attentes toujours plus grandes en matière d’efficacité et de qualité de la part des patients.

Mais cette ouverture a également attiré des investisseurs disposés à créer des chaînes via des montages en cascade et à imposer une vision industrielle de la biologie médicale.

Ces investisseurs n’ont ainsi pas hésité à chercher des appuis au niveau de Bruxelles pour imposer une ouverture complète du capital. Avec un succès certain. "L’ouverture du capital (...) n’a pas été décidée spontanément par le gouvernement. Depuis 2005, la Commission européenne somme la France de justifier ce qu’elle considère comme une violation des (...) règles de concurrence", a déclaré Roselyne Bachelot (intervention officielle lors des Journées Internationales de Biologie, CNIT Paris, 6/11/08).

Sans solliciter un arbitrage à la Cour de Justice des communautés européennes (CJCE), le gouvernement semble se ranger aux arguments des tenants de l’ouverture qui considèrent la biologie médicale comme un service commercial comme un autre.

Les garde-fous proposés par la Ministre et par le rapport Ballereau (clause d’inaliénabilité du capital pour 7 ans, concentration interdite sur un même territoire de santé - aux contours encore indéfinis, médicalisation de la biologie réaffirmée, impossibilité pour les assureurs d’investir dans des LABM, etc.) [1] n’ont du reste pas convaincus les biologistes qui craignent de voir leur exercice soumis à des pressions de rentabilité forcenée et un souci du patient moindre. Demain, c’est l’exercice libéral assuré par des professionnels de santé indépendants, responsables et présents sur l’ensemble du territoire qui est menacé au profit d’une concentration du secteur dans les mains de deux ou trois grands groupes, affirme l’Intersyndicale des biologistes. [2]

La méthode adoptée par le gouvernement n’est pas non plus pour rassurer les biologistes. En prévoyant d’adopter la réforme de la biologie médicale par ordonnance, le gouvernement esquive tout débat parlementaire sur la question. Les députés et sénateurs n’auront ainsi pas l’occasion de réaffirmer leur refus clairement exprimé en juillet 2008 lors de l’examen du projet de loi de Modernisation de l’économie [3] de voir l’ouverture du capital autorisée pour les SEL de Santé passer de 25 à 49%. Aujourd’hui, le gouvernement se dispose pourtant à imposer une ouverture à hauteur de 100% du capital dans l’indifférence générale.

« Le domaine de la santé n’est pas un domaine marchand comme un autre. Les considérations de rentabilité - si elles doivent être prises en compte - ne peuvent pas être la seule règle » déclare Jean Benoît, représentant de l’Intersyndicale des biologistes (discours aux JIB, CNIT, 6/11/08). Cet appel contre la dérégulation annoncée de la biologie médicale se heurte pour l’heure au constat dressé par le gouvernement d’une ouverture aux capitaux « inéluctable », « non négociable ».

Mais que fera le gouvernement si d’aventure les garde-fous qu’il envisage pour pondérer l’ouverture totale du capital des SEL sont à leur tour considérés comme des atteintes à la libre concurrence par la Commission européenne ? Silence radio...

On sacrifie la biologie médicale en espérant calmer les ardeurs ultralibérales de certains, ce qui n’est qu’un calcul à courte vue. En avouant qu’ « Une condamnation par la CJCE aurait entraîné avec elle toutes les autres professions libérales en consolidant sa jurisprudence », la Ministre Bachelot (discours aux JIB, CNIT, 6/11/08) fait peu de cas d’un chaînon essentiel du système de soins.

En ces temps de crise financière où la régulation redevient à la mode, le gouvernement semble donc décidé à aller à contre-courant. Ringards les membres du gouvernement ? Réponse dans les semaines à venir, avec en jeu l’avenir d’une partie du système de soins français.


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Article communiqué par le Dr Fourage.

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[1] Disponible sur : http://www.sante-jeunesse-sports.gouv.fr/dossiers/sante/biologie/reforme-biologie-medicale-2008.html

[2] l’Intersyndicale des biologistes regroupe les principaux syndicats nationaux représentatifs de la profession et de nombreuses associations régionales, tous opposés à l’ouverture à 100% du capital.

Site de référence de l’Intersyndicale des biologistes : www.lasanteauxencheres.fr

[3] La loi de Modernisation de l’économie est entrée en vigueur le 4 août 2008.

(source): http://contreinfo.info/

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