23/01/2013

A quoi servent les « agents antiémeutes toxiques » français au Bahreïn ?

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A quoi servent les « agents antiémeutes toxiques » français au Bahreïn ?

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Au royaume de Bahreïn, petite (mais riche) monarchie pétrolière du golfe persique, le printemps arabe n'est pas fini, et les policiers anti-émeutes dispersent les manifestants à coups de chevrotines, munitions létales censées "augmenter la probabilité de toucher une cible en mouvement", en les criblant de plombs.
Interdite à la chasse dans la plupart des départements français (sauf dérogation), la chevrotine est généralement utilisée pour chasser le "gros gibier" (cerfs, sangliers...). Au Bahreïn, on ne compte plus le nombre de manifestants devenus borgnes après avoir été criblés de plombs.


Les policiers anti-émeutes bahreïnis utilisent aussi des gaz lacrymogènes, beaucoup, énormément, jusqu'à en lancer à l'intérieur même de maisons, ou de voitures... Sur les 85 morts recensés de février 2011 à novembre 2012 (on en compte d'autres, depuis), 17 auraient été tués à coups de chevrotines. 43, d'après le décompte effectué sur Wikipedia, seraient morts des suites de leur exposition aux gaz lacrymogènes -une majorité de personnes âgées de plus de 60 ans, mais également des bébés, enfants et adolescents-, 3 personnes au moins seraient mortes après avoir reçu une grenade lacrymogène dans la tête, 5 sous la torture.
L'ONG Bahrain Watch, qui s'est donnée pour mission de documenter la répression au Bahreïn, a commencé à identifier les marchands d'armes utilisées par les policiers anti-émeutes, à partir des photos prises par les Bahreïnis, et partagées sur Twitter ou Facebook. Et l'on y trouve un marchand d'armes français...


Alsetex se présente comme le "Leader des produits pour la gestion démocratique des foules". Sa gamme de lanceurs 56mm a spécialement été étudiée de sorte que le diamètre des munitions soit "supérieur au diamètre de l'orbite de l'oeil humain, quelque soit l'âge ou le sexe" afin de ne pas pouvoir "causer de blessure mortelle". Ce qui lui permet de proposer une large gamme demunitions à "effets non létaux, lacrymogène, poivre, fulgurant, cinétique, blast, éclairant, signaux..."


Sa grenade GM2 lacrymogène, "destinée au maintien de l'ordre en milieu extérieur ou intérieur (...) libère instantanément un nuage de (gaz) CS pulvérulent couvert par un fort effet sonore déstabilisant les manifestants." Ses grenades lacrymos sont largement utilisées au Bahreïn, comme en témoigne cette photo de l'AFP, publiée par The Telegraph l'an passé :

On peut trouver une description plus détaillée de cette grenade sur archive.org, qui a gardé la trace du catalogue d'Alsetex, et archive le web, et qui a donc permis à Bahrain Watch de retrouver la trace de cette grenade lacrymogène, dont le site d'Alsetex ne fait plus état. On reconnaît par ailleurs, dans cette fiche de présentation (.pdf) des munitions d'Alsetex la trace des deux autres grenades, BLINIZ & GENL, identifiées par Bahrain Watch.
Le Rapport sur les exportations d'armement de la France, mis en ligne en novembre 2012, et qui se félicite du fait que "la France se maintient parmi les cinq premiers exportateurs mondiaux", révèle par ailleurs que la France a vendu pour plus de 26M€ d'armes au Bahreïn en 2011, dont 16M€ de "bombes, torpilles, grenades, pots fumigènes, mines, missiles, produits "pyrotechniques" militaires (et) cartouches", et 421 000 € d'"agents chimiques ou biologiques toxiques, « agents antiémeutes », substances radioactives, matériel, composants et substances connexes" définies comme suit :
"Substances qui, dans les conditions d’utilisation prévues à des fins antiémeutes, provoquent rapidement chez l’homme des irritations ou une incapacité physique provisoires qui disparaissent en l’espace de quelques minutes dès que l’exposition aux gaz a cessé (les gaz lacrymogènes forment un sous-ensemble des « agents antiémeutes »)."
Le Vinvinteur m'a permis de prolonger l'enquête que j'avais consacrée aux cyber-dissidents bahreïnis pour Owni, et d'interviewer deux cyber-dissidents bahreïnis, Ahlam Oun & Reda Al-Fardan (voir "Bahreïn, Twitter et Chevrotine"). Leurs témoignages sont poignants :

Le Vinvinteur n°12 - Bahreïn, Twitter et... par levinvinteur
Les deux cyber-dissidents ont une requête, tout bête : arrêtons de vendre des armes au Bahreïn, une supplique envoyée à François Hollande qui, l'été dernier, accueillait secrètement le roi du Bahreïn à l'Elysée (plus,relève Rue89, six autres représentants de pays autoritaires ou franchement dictatoriaux -dont... 5 clients potentiels du système Eagle de surveillance de l'Internet).
D'après l'agence de presse officielle bahreïnie, François Hollande et le roi du Bahreïn se seraient mis d'accord pour "consolider la coopération militaire bilatérale" entre les deux pays. En dépit d'une lettre ouverte co-signée par 6 ONG de défense des droits de l'homme (HRW, FIDH, Amnesty International, RSF, LDH, ACAT), l'Elysée n'a jamais confirmé, ni démenti.
En août dernier, l'ONG Physicians for Human Rights rendait public un rapport accablant révélant l'ampleur et les dégâts des gaz lacrymogènes par les forces de sécurité bahreïnies. Elles ont pourtant bénéficié d'une formation à la gestion des foules et des manifestations, par des CRS français, au titre d'un accord de coopération en matière de sécurité intérieure, publié au JO en 2010, ce qu'avait vivement déploré l'ONG Bahrain Rights, qui rappelait alors que ces forces de sécurité étaient également utilisées, comme des milices habillées en civil, pour terroriser les Bahreïnis.
Le mois dernier, François Zimeray, l'ambassadeur français des droits de l'homme, avait déclaré (article en arabe), à Bahreïn, qu'on ne devrait pas incarcérer des gens pour des propos tenus sur Twitter, ni des médecins parce qu'ils avaient soigné des manifestants, ce qui a entraîné l'ambassadeur de France à remettre une lettre au roi du Bahreïn, et à lui confirmer, le week-end dernier (article en arabe), que ces propos ne remettaient aucunement en question les accords de coopération entre les deux pays.
J'ai bien évidemment contacté Alsetex, ainsi qu'Etienne Lacroix, sa maison mère, pour savoir s'ils continuaient à vendre au Bahreïn leurs grenades lacrymogènes. Ils ne m'ont pas recontacté.
Voir aussi :
Pacman Chases French Arms Companies in Bahrain sur Bahrain Watch
« Facebook a dit à mon père que j’étais gay »
Calais : un « État policier en situation de guerre »
« Un peu de parano ne fait pas de mal », dixit le FBI
« L’Internet est libre »… mais pas notre pays. Lettre ouverte au président de l’Azerbaïdjan

jean.marc.manach (sur Facebook & Google+@manhack (sur Twitter)
Et pour me contacter, de façon sécurisée (#oupas /-), c'est par là.

un article propulsé par TORAPAMAVOA :
http://torapamavoa.blogspot.com Clikez "plus d'infos" ci dessous pour lire la suite de l'article...^^

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