21/01/2013

Rwanda avril 1994 Ces agents d’écoute français qui en avaient trop entendu

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.Génocide

Rwanda avril 1994 Ces agents d’écoute français qui en avaient entendu trop

Les révélations 
du juge Trévidic 
sur l’assassinat, peu après l’attentat contre l’ex-président Habyarimana, de deux gendarmes français spécialistes 
des écoutes, remettent en lumière une bien mauvaise raison d’État.

L’enquête menée par le juge Trévidic sur l’attentat perpétré le 6 avril 1994 contre l’avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, attentat qui donna aussitôt le coup d’envoi du génocide des Tutsis (un million de martyrs en une centaine de jours), n’en finit pas de contredire celle conduite par son prédécesseur, le juge Bruguière. Là où ce dernier incriminait systématiquement les dirigeants du Front patriotique rwandais (FPR), les accusant d’avoir délibérément provoqué les massacres « ethniques » afin de relancer la guerre civile, le juge Trévidic qui, lui, s’est rendu sur place à Kigali en compagnie d’experts afin de reprendre l’instruction à zéro, découvre ce que, par euphémisme, nous appellerons les approximations multipliées par un magistrat futur candidat UMP aux élections, donnant l’impression que, chez celui-ci, la conclusion précédait l’investigation. S’agissait-il alors de transformer le FPR en organisation criminelle afin de mieux laver la France des accusations convergentes à l’encontre de ce qui était alors le gouvernement de cohabitation Mitterrand-Balladur pour son rôle et ses responsabilités dans l’épouvante qui s’abattit sur le peuple rwandais ? Rôle amorcé, sur le plan militaire, dès la fin 1990 avec le lancement de l’opération « Noroît » et conclu en juin 1994 avec celui de l’opération « Turquoise ».
En d’autres termes, il s’agissait de faire par avance contre-feu à toute démarche visant à éclairer la réalité de ce que le titre donné par Jacques Morel à son monumental ouvrage de référence désigne par cette formule : La France au cœur du génocide des Tutsis (1). Livre dont la une est en elle-même accablante : la photo d’un groupe de miliciens génocidaires interahamwe à l’entraînement, escorté par un militaire français, son fusil Famas à la main.
La dernière découverte du juge Trévidic pourrait paraître anecdotique pour qui ignore tout des dossiers distillés par son prédécesseur. Elle concerne la mort de trois Français – deux gendarmes et l’épouse de l’un d’eux – à Kigali, peu de temps après l’attentat. Mais elle révèle que le certificat de décès (par « origine accidentelle ») d’au moins l’un d’eux est un faux, le médecin militaire censé l’avoir signé et qui était basé à Bangui assurant désormais que sa signature avait été usurpée. Tandis que des proches des victimes font état de pressions exercées sur eux afin de les dissuader de porter plainte (2). Comme ce fut par ailleurs le cas pour les familles des trois membres d’équipage français de l’appareil présidentiel abattu le 6 avril 1994 au soir. Pilote ou gendarme, Paris ne souhaite pas que l’on s’intéresse de trop près aux conditions dans lesquelles ont péri ses chargés de mission sur place.
Il s’agissait des adjudants-chefs Alain Didot et René Maïer et de l’épouse du premier, Gilda Lana. Deux spécialistes du téléphone – comprenez : des écoutes – résidant à proximité de l’immeuble du CND (Conseil national du développement, siège du Parlement rwandais) où, en vertu des accords d’Arusha ratifiés en août 1993, était cantonnée une petite troupe du FPR. Tout laisse donc penser qu’ils étaient chargés d’espionner cette dernière, mais sans doute n’écoutaient-ils pas qu’elle… Hypothèse déjà avancée par un salarié rwandais du Centre culturel français de Kigali et disposant à ce titre d’un poste d’observation privilégié : « Pourquoi la France a-t-elle essayé de rejeter sur le FPR l’assassinat de ses spécialistes des écoutes et des communications, après avoir prétendu que les adjudants-chefs Didot et Maïer étaient décédés de mort naturelle, le 6 avril 1994, et après que la directrice du Centre culturel français, l’un des principaux défenseurs de l’intervention française et incontournable conseiller de l’ambassade de France au Rwanda en matière de sécurité, m’eut annoncé, le 8 avril, leur assassinat par la garde présidentielle ? Assassinat confirmé par une rescapée, employée des services de l’ambassade de France, qui s’était réfugiée chez les Didot, d’où elle parvint à s’échapper au moment où le couple se faisait abattre. Ces barbouzes de l’information, agents chargés de collecter et d’interpréter les messages hertziens au bénéfice des armées rwandaise et française, auraient-ils réussi à capter quelque chose de compromettant pour la France ou la garde présidentielle ? » (3)
Un livre plus récent confirme l’omniprésence des services français durant le génocide mais aussi les années précédentes (4). Il relate la confession de Richard Mugenzi, spécialiste en écoutes auprès de l’armée génocidaire après formation par des techniciens français, eux-mêmes spécialistes de la « guerre psychologique » héritée des vieux conflits coloniaux d’Indochine et d’Algérie. Le juge Bruguière brandissait quatre messages « interceptés » par Mugenzi comme preuves du rôle de l’état-major FPR dans le tir de missiles contre l’avion de Habyarimana. Problème : « l’intercepteur » dément leur authenticité et assure que ces grossiers trucages lui avaient été dictés par le colonel Anatole Nsengiyumva, bras droit du colonel Bagosora, le « cerveau du génocide » et premier officier rwandais à avoir fait ses classes à l’École de guerre française…

(1) La France au cœur du génocide des Tutsis, de Jacques Morel, l’Esprit frappeur 
et Izuba, 2010.
(2) Cf. « Rwanda : trois fantômes 
et un mystère », de Maria Malagardis, Libération du 10 janvier 2013.
(3) France-Rwanda : les coulisses du génocide, de Vénuste Kayimahe, l’Esprit frappeur 
et Dagorno, 2002.
(4) Cf. L’agenda du génocide. Le témoignage 
de Richard Mugenzi, de Jean-François Dupaquier, Karthala, 2010.

Jean Chatain

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