21/02/2013

1 800 lingots d’or venus de Tunisie (72 millions d’euros) ont transité par quatre aéroports français (Nice, Marseille, Orly et Roissy)

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Comment les lingots d’or tunisiens ont voyagé sans encombre en France
Camille Polloni | Journaliste   Les douaniers regrettent la situation, qui a permis à 1 800 kg d’or d’origine douteuse de passer par la France.

De janvier 2011 à avril 2012, 1 800 lingots d’or venus de Tunisie (72 millions d’euros) ont transité par quatre aéroports français (Nice, Marseille, Orly et Roissy) avant de repartir vers Dubaï et Istanbul, leurs destinations finales.
L’information révélée samedi par Nice-Matin ne manque pas de sel : sous les yeux impuissants des douaniers français, 150 passages ont eu lieu. Irréprochables, les « passeurs d’or » remplissaient parfaitement le formulaire de déclaration, restant ainsi dans le strict cadre du droit..



Est-ce l’or de Ben Ali ?
« Assez logique »

Un lingot d’or (BullionVault/Flickr/CC)
Même s’il est légal en Europe de se promener avec 30 ou 40 kilos d’or dans sa valise (à condition qu’ils soient déclarés), ce petit manège régulier a fini par inquiéter les douaniers. Ils ont prévenu la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) – l’équivalent de la DCRI pour les douanes. Selon un témoignage recueilli par Rue89, l’alerte serait partie de Roissy.

Après la fin du régime de Ben Ali, les services secrets français craignaient que le clan déchu ne se soit enfui avec 1,5 tonne d’or piqué dans les réserves de la banque centrale tunisienne. A l’époque, la Banque centrale a démenti toute perte. Mais ces déplacements massifs de lingots laissent penser qu’il s’agirait bien de l’or national tunisien.

« On ne sait pas à 100% si c’est l’argent de Ben Ali et on ne le saura peut-être jamais », explique un douanier. Mais cela semble « assez logique par rapport à la période et aux points d’entrée », dit Eric Beynel, porte-parole de Solidaires issu de l’inspection des douanes :
« Dans ma carrière j’ai croisé beaucoup de gens avec de fortes sommes en liquide, mais pas en lingots. Si c’est une grande quantité, on peut supposer que ça vient plutôt de réserves. »
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Une enquête peut-elle avoir lieu ?
Les « biens mal acquis » tunisiens
Si ces faits sont avérés, ce ne serait pas la première fois que des dictateurs tapent dans l’or de leurs concitoyens. D’après un rapport du CCFD - Terre solidaire [PDF], plusieurs tyrans déchus se sont ainsi servis : Marcos (Philippines), Moussa Traoré (Mali), Pinochet (Chili) ou Milosevic (Serbie) auraient accumulé de l’or, notamment sur des comptes suisses.
En juin 2011, les associations Sherpa et Transparency international ont porté plainte à Paris. Elles voulaient que la lumière soit faite sur d’éventuels faits de blanchiment commis par le clan Ben Ali/Trabelsi.
L’affaire est instruite par le magistrat financier Roger Le Loire, qui enquêtait déjà sur les « biens mal acquis » des dictateurs africains. Jean Merckaert, de Sherpa, espère que le dossier s’élargira à cette histoire de lingots :
« On ne peut pas reprocher aux douanes d’avoir fermé les yeux : ils ont signalé les transferts d’or. Mais dire que ça n’a rien d’illégal, c’est aller un peu vite en besogne. Ou alors la législation antiblanchiment est défaillante. »
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L’or, une marchandise comme les autres
« C’est comme transporter des boîtes de conserve »
Justement, la législation a changé. Depuis un règlement européen de 2005, entré en vigueur en 2007, l’or n’est plus considéré comme une devise, mais comme une marchandise.
Les « devises », ce sont les pièces, les billets, les chèques et d’autres titres financiers. Lorsqu’un voyageur se déplace avec plus de 10 000 euros en espèces, il doit se soumettre à une « obligation déclarative » à la douane. Il doit donner son identité, dire combien il a sur lui, expliquer la provenance et la destination de l’argent.
S’il ne le fait pas et que les douaniers le découvrent, « le premier réflexe est en général de lâcher les chiens renifleurs », explique l’administration. Si le chien « marque » (s’il s’arrête), cela signifie qu’il a senti des traces de stupéfiants sur les billets. La douane peut alors confisquer les devises pendant trois mois (renouvelables une fois), le temps d’interroger le porteur de l’argent et de mener une enquête.
Rien de tel pour l’or. Ne pas déclarer des lingots reste risqué, mais si la déclaration est faite, elle est moins précise que pour les devises. « C’est comme transporter des boîtes de conserve », affirme un douanier. Et les passeurs tunisiens étaient bien en règle.
Même si une enquête a posteriori est possible, le porteur d’or est déjà parti, ses lingots aussi. Les douaniers n’ont pas beaucoup d’informations à leur disposition.
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Qui se promène avec des lingots dans ses bagages ?
Des épargnants et des trafiquants
Qui diable transporte de l’or à travers l’Europe ? Des gens parfaitement honnêtes, qui ont « converti leur épargne », expliquent plusieurs professionnels. Mais aussi, disent-ils, des malfaiteurs spécialisés dans la refonte de bijoux volés. Difficiles à intercepter donc, à moins qu’ils ne fassent un gros faux pas.
Le douanier cité plus haut raconte ainsi un épisode emblématique, selon lui, de l’hypocrisie législative :
« Il y a quelques mois, nous contrôlons un véhicule tout bête, venu d’Italie du Sud, qui se dirige vers la Belgique. On ouvre le coffre, c’est la caverne d’Ali Baba : presque 500 000 euros en lingots.
Légalement on ne peut rien faire, même si la provenance et la destination font planer un gros doute sur cet argent. L’Italie du Sud, bon... Et la Belgique pratique les taux les plus intéressants sur l’or.
On a guetté le véhicule au retour, ça s’appelle un “ciblage”. Il avait bien changé l’or en argent liquide. Qu’il n’avait pas déclaré.
On a consigné l’argent pour les trois mois d’enquête, demandé des infos à l’Italie dans le cadre de l’assistance administrative, et infligé une amende pour non-déclaration, comprise entre 0 et 25% de la somme totale. »
C’est tout. Et encore, les transporteurs avaient eu la mauvaise idée de ne pas déclarer leur argent. S’ils l’avaient fait, même avec un montant si élevé, ils n’auraient pas été inquiétés.
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Pourquoi l’or a fini à Dubaï ?
« Une plaque tournante du marché de l’or »
Pour Charles Prats, magistrat spécialisé dans la lutte contre la fraude, membre du conseil scientifique du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS) et ancien inspecteur de la DNRED, « il y aurait beaucoup à dire sur le trafic d’or en Europe ».
Certes, des particuliers peuvent se déplacer avec de l’or en lingots, mais a priori « ils préfèrent l’or-papier, compte tenu des risques de vol ». Chaque lingot d’un kilo coûtant environ 40 000 euros, un braquage serait malvenu. Sur une aussi grosse somme que les prises tunisiennes :
« Si les douanes avaient des infos comme quoi les passeurs étaient liés à Ben Ali, ils avaient la possibilité d’intervenir grâce au gel des avoirs prononcé le 4 février 2011.
Aujourd’hui, si tout le monde dit que c’est Ben Ali, rien n’empêche d’enquêter a posteriori. Mais ils arrivent après la bataille. »
L’argent serait déjà à Dubaï, « une plaque tournante du marché de l’or », rappelle Charles Prats.
« Là-bas, il y a des banques, il est possible de transformer l’or en fonds. Et Dubaï est demandeur d’or pour les activités de bijouterie-joaillerie. »
« Les outils législatifs à la disposition des douaniers sont faibles », déplore le douanier :
« Jusque récemment, on ne voyait pas trop d’or physique circuler. Mais il y a une sorte de “ruée vers l’or”, un net regain. Avec la crise financière, c’est devenu une valeur refuge.
Dans le même temps, l’obligation déclarative a été affaiblie au nom de la libre circulation des capitaux. L’Union européenne et les Etats sont unanimes dans ce sens, à l’exception des professions répressives. »
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Pourquoi Pierre Moscovici a-t-il écrit à la Commission européenne ?
Le ministre demande un changement dans la réglementation
Pour essayer de faire changer la réglementation, les douanes françaises ont écrit à la Commission européenne le 28 septembre 2012. S’appuyant sur les cas de figure problématiques, elles demandent à ce que l’or réintègre le champ des devises, pour qu’il soit mieux contrôlé.
Deux mois plus tard, le 21 novembre, les ministres de l’Economie (Pierre Moscovici) et du Budget (Jérôme Cahuzac) reprennent cette proposition dans une lettre. Ils l’envoient à deux commissaires européens, Michel Barnier et Algirdas Semeta.
Au cabinet de Michel Barnier, on explique que le Commissaire a répondu aux ministres français, et qu’il a proposé entre-temps de « durcir les règles européennes dans la lutte contre le blanchiment ».
La porte-parole de la Commission européenne, Emer Traynor, oppose quant à elle une fin de non-recevoir aux ministres français :
« Il n’est pas prévu d’étendre le règlement à l’or. »
Finalement, la responsabilité de tout cet or évaporé appartiendrait plutôt aux douaniers tunisiens, qui ont laissé sortir l’or illégalement du pays. Le système de corruption organisé par le régime de Ben Ali a laissé des traces. En juin dernier, vingt hauts responsables de la douane tunisienne ont d’ailleurs été traduits devant la justice.
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