Les banlieues populaires sont-elles encore une priorité pour les pouvoirs publics ? Trois ans après les émeutes de l'automne 2005, les élus de banlieue ont le sentiment d'être à nouveau abandonnés par l'Etat. Une série de décisions ou d'inflexions dans la politique gouvernementale témoignent, à leurs yeux, d'un désintérêt croissant pour les quartiers sensibles. "Le gouvernement ne se rend pas compte de la situation sociale des banlieues", se désolent Claude Dilain, maire (PS) de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), et Pierre Cardo, maire (UMP) de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), président et vice-président de l'association Ville et banlieue.
Source le Monde : Luc Bronner
Les craintes sur la solidarité financière entre communes. Au moment de présenter le plan Espoir banlieue, en février, Nicolas Sarkozy avait demandé au ministère de l'intérieur de réformer la dotation de solidarité urbaine (DSU), versée par l'Etat pour compenser les faiblesses financières des communes les plus pauvres. Le chef de l'Etat avait souhaité que cette dotation, en augmentation continue depuis trois ans, soit concentrée sur les villes les plus en difficulté. Dans cette logique, le ministère de l'intérieur a présenté, fin septembre, un projet de réforme débouchant sur la suppression de la DSU pour 238 communes.
Pour défendre son projet, l'entourage de Michèle Alliot-Marie insiste sur l'augmentation de la dotation en 2009 (+ 70 millions d'euros, soit 1,07 milliard au total) et sur la sortie du dispositif, d'ici à 2010, de villes relativement riches, comme Lourdes, Toulouse, Nantes, Compiègne ou Chantilly (soit 50 millions d'euros redistribués aux villes restantes). En parallèle, le ministère de l'intérieur met en avant la création d'une dotation de développement urbain (DDU), représentant 50 millions d'euros, pour financer des projets des communes.
Les élus de banlieue ne contestent pas le principe de la réforme. Mais ils critiquent les nouveaux critères proposés qui pénalisent, selon eux, les villes les plus pauvres. De nombreuses communes, comme Clichy-sous-Bois, Sarcelles, Villiers-le-Bel, Argenteuil ou Chanteloup-les-Vignes, continueront à bénéficier de la DSU mais devraient voir leurs dotations progresser moins rapidement que prévu. D'autres, comme Montauban, Montpellier, Perpignan ou Saint-Etienne, devraient bénéficier d'un coup de pouce important.
Des maires de l'association Ville et banlieue ont ainsi écrit au président de la République (Le Monde du 4 octobre) pour dénoncer un "retour en arrière". L'association des maires des grandes villes de France (AMGVF) s'est également inquiétée des effets négatifs de la réforme pour les communes les plus fragiles. Face à ces réactions, le gouvernement a accepté la mise en place d'un groupe de travail pour amender le projet.
Des doutes sur l'avenir de la rénovation urbaine. Le programme lancé en 2004 par Jean-Louis Borloo se poursuit. Au 31 mai, 269 conventions avaient été signées, ce qui signifie que 80 % des quartiers éligibles (soit 2,7 millions d'habitants) sont désormais concernés par la rénovation urbaine. Mais le programme est loin de remplir ses objectifs initiaux (250 000 démolitions, 250 000 reconstructions, 400 000 réhabilitations, 400 000 résidentialisations, d'ici à 2013) et risque de ne pas les atteindre. Selon nos informations, l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), qui gère les crédits de l'Etat, avait programmé, fin 2007, les trois quarts de ses douze milliards d'euros disponibles pour financer la moitié, seulement, des objectifs fixés.
Des experts insistent aussi sur l'importance des retards dans les travaux. Un peu moins de 65 % des opérations normalement terminées avant la fin de l'année 2007 ont été effectivement réalisées à cette date.
Ils s'alarment, aussi, à l'idée qu'une partie des crédits de l'ANRU puisse être utilisée pour la réhabilitation des centres anciens dégradés - qui constitue une priorité de Christine Boutin, en charge du logement et ministre de tutelle de Fadela Amara. Le conseil d'évaluation et de suivi de l'ANRU devrait rendre, en novembre, un rapport s'inquiétant des risques de désengagement de l'Etat vis-à-vis des quartiers.
Des inquiétudes sur la mixité sociale. Après la suppression progressive de la "carte scolaire" pour les collèges depuis la rentrée 2007, le gouvernement entend revenir, en partie, sur la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbains) qui oblige les communes, sous peine de sanction financière, à disposer d'un minimum de 20 % de logements sociaux. Reprenant une idée déjà avancée à plusieurs reprises par la droite, Mme Boutin prévoit dans son projet de loi "Mobilisation pour le logement", examiné à partir du 14 octobre au Sénat, une disposition intégrant les logements issus de l'accession sociale à la propriété dans les 20 %. A gauche, notamment, cette mesure est perçue comme une remise en cause de l'objectif de mixité sociale.
Un "plan banlieue" toujours balbutiant. La secrétaire d'Etat à la politique de la ville, Mme Amara, continue de promouvoir son plan Espoir banlieue. Mais les résultats restent, pour l'heure, très limités. Ainsi, pour les contrats d'autonomie (destinés aux jeunes sans emploi) : seule une centaine était déjà signée début octobre alors que le gouvernement en prévoit 4 500 pour 2008 et un total de 45 000 sur trois ans. Même chose pour les opérations de désenclavement des quartiers : elles restent, pour l'essentiel, au stade de projets. "On ne peut pas encore citer de réalisations. Mais on a réussi à sortir des dossiers des cartons", affirme l'entourage de Mme Amara, en insistant sur les avancées obtenues dans le domaine de l'éducation. Les critiques soulignent que ces mesures ne pèsent pas lourd face aux réductions du nombre de fonctionnaires, notamment dans l'éducation nationale, décidées par ailleurs par le gouvernement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire