Carnets de justice
«Commençons par les triplés de 3 ans»
Par Jacqueline COIGNARD
QUOTIDIEN : lundi 4 juin 2007
Bobigny audience de 35 bis et quater.
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Droite sur sa chaise, une bambine en collants de laine balance ses jambes dans le vide. A côté d'elle, deux petits garçons dorment, de part et d'autre de leur mère. «Comme nous avons une affaire avec des mineurs, des triplés de trois ans, nous allons commencer par celle-là», propose la présidente. La salle, à l'entrée du tribunal, donne sur la célèbre passerelle bleue. C'est là que, tous les jours, défilent les étrangers débarqués à Roissy et interdits d'entrée sur le territoire. Ils ont passé plusieurs jours en zone d'attente (quatre maximum), et un juge des libertés et de la détention (JLD) statue sur l'éventuelle prolongation de leur rétention (huit jours), avant que l'administration ne décide de leur sort.
La mère des triplés, petite jeune femme aux traits fins, est irakienne. Il faut un interprète en arabe. Il est là. L'avocat de permanence aussi. «Mais je n'ai pas encore vu ce dossier-là», s'excuse-t-il. Va donc pour ceux qu'il a parcourus pendant l'heure écoulée. La petite foule des «retenus» est assise sur le côté gauche de la salle : Irakiens (en majorité), Tamouls, Africains, Colombiens... Reflet des conflits et les misères du monde qui se devinent plus qu'ils ne s'expriment : en cette enceinte, on n'examine pas le fond des dossiers, juste si la procédure a été respectée.
Pour défendre José, un Colombien de 30 ans, l'avocat sort sa botte secrète. Selon lui, la procédure est nulle car il manque une pièce : le « procès-verbal de mise à disposition» , qui mentionne le début du placement en zone d'attente et permet au juge d'en contrôler la durée. Et aussi parce que rien n'indique que son client ait disposé d'un téléphone. «Le PV n'est pas obligatoire quand l'heure du vol est mentionnée, comme ici : arrivé de Varsovie à 19 h 05», fait valoir l'avocate de la préfecture. La juge approuve. Tout comme elle constate l'accès à un téléphone.
Les «dossiers» défilent et l'avocat des retenus récite : «pas de PV, pas de téléphone». Arrive un jeune Tamoul, flanqué d'une autre avocate. Elle ferraille un peu sur l'absence de PV de mise à disposition, puis soulève un autre argument : l'arrêt rendu le 26 avril par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui condamne la procédure d'asile française, la jugeant trop expéditive, car l'appel n'est pas suspensif en cas de rejet de la demande.
L'avocate de la préfecture conteste : «Sa demande d'asile est en cours d'instruction. Elle n'a donc pas été rejetée, et l'arrêt de la CEDH ne peut être invoqué.» Son adversaire estime que cet arrêt doit s'appliquer dès le refus d'admission et suspendre toute action tant que l'affaire n'a pas été examinée en appel, par un juge, avec débat contradictoire.
Avec Adil, puis Kamel, le premier avocat reprend son refrain : «pas de PV, pas de téléphone». Kamel, 25 ans, explique qu'il est menacé de mort en Irak. Il visait la Suède, son parcours s'est interrompu à Roissy. A son avocat, la présidente suggère l'existence de l'arrêt de la CEDH : «Je vous tends la perche. Vous soulevez ou pas ce motif de nullité ?» Le défenseur de Kamel ne bronche pas.
Arrive Nasrim, la mère de famille. Pour gagner la Suède, elle avait donné 25 000 dollars à un passeur. Mais le voyage s'est arrêté à Paris. Faute d'économies suffisantes, son mari, palestinien, est resté à Bagdad. L'avocat se décide à invoquer l'arrêt de la CEDH. Sa consoeur s'en prend à la présidente : «Je peux comprendre votre attitude pour des raisons humanitaires. Mais votre rôle n'est pas de donner des arguments au conseil adverse.» Pour Tarik, le suivant, l'avocat reprend la même défense. Avec succès. Pour lui, comme pour tous ceux pour lesquels l'argument CEDH a été soulevé, la juge refuse de prolonger la rétention. Ils peuvent sortir pour poursuivre leurs démarches ou partir. Pas les autres.
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