L'extrême pauvreté pousse les Comoriens à tout tenter pour rejoindre Mayotte
LE MONDE | 14.08.07 | 11h15 • Mis à jour le 14.08.07 | 16h53
DZAOUDZI (Mayotte), CORRESPONDANT
Aux premières heures du jour l'effervescence était à son comble, lundi 13 août, sur la piste menant aux plages de Moya. Très tôt, la nouvelle a fait le tour de Mayotte : "Un kwassa a chaviré" au large des plages de Moya. La barque, partie de l'île d'Anjouan, aux Comores, chargée d'une quarantaine d'immigrés clandestins, s'est retournée, faisant au moins dix-sept morts, dont sept enfants. Quatre rescapés ont été secourus et ont été hospitalisés à Dzaoudzi, sur l'île mahoraise de Petite-Terre.
Lors de sa ronde, au lever du soleil, Maoulida, un des agents chargés de la surveillance de ce site de ponte de tortues marines, découvre plusieurs corps. Il appelle immédiatement ses collègues basés sur l'autre plage de Moya. Il croise ensuite un jeune sportif de Labattoir, surnommé "Bozobo", qui fait son jogging et entend soudain des cris venant du lagon tout proche.
Le sportif s'est jeté à l'eau et, se guidant aux cris, il est parvenu à atteindre un enfant agrippé à un bidon. Il le ramène à terre, au pied de cette falaise où nichent par centaines les pailles-en-queue, et repart dans sa quête. Il secourt alors une femme malgache qu'il ramène aussi à terre. Pendant ce temps, les autres gardiens alertés arrivent. Ils aperçoivent dans les broussailles, quittant discrètement la plage, un groupe de quatre personnes, vraisemblablement des rescapés qui tentent de gagner le village. Ils les rejoignent et apprennent que leur embarcation vient de chavirer, qu'ils étaient entre trente-cinq et quarante à bord et qu'ils ont vu des corps morts emmenés par l'eau.
L'un des gardiens prévient alors les secours. Il est 6 h 40. Les pompiers et les gendarmes basés en Petite-Terre seront là en quelques minutes.
Les sirènes ont retenti en traversant le village de Labattoir tout proche. Ce ballet de véhicules a attiré l'attention des habitants, comprenant qu'un drame venait de se nouer. Les badauds se dirigent par dizaines vers le lieu du naufrage. La communauté comorienne et les clandestins en particulier apprennent rapidement la nouvelle et s'inquiètent pour un membre de la famille ou un ami devant tenter de venir prochainement. Le dernier recensement en date (2002) – un nouveau est en cours en ce mois d'août – faisait état de près de 60 000 clandestins sur l'île pour un total de 200 000 habitants, soit 30 % de la population.
Un périmètre de sécurité est installé et les accès aux deux plages de Moya sont interdits. La brigade de la gendarmerie nautique avec sa vedette Kondzo est aussitôt engagée pour rechercher des corps ou des rescapés. Un second navire de la gendarmerie, la vedette de la police aux frontières ainsi qu'un ULM sillonnent ensuite la zone.
Avec le début de la journée et alors que la température monte à 27 degrés en cet hiver austral, les forces de l'ordre ramassent dix-sept corps sans vie : dix adultes et sept enfants, qui sont amenés au centre hospitalier de Mayotte. Deux autres rescapés seront sauvés. Devant leur état de choc, ils ont à peine été interrogés sur les conditions du naufrage et leur nombre à bord avant d'être conduits à l'hôpital. On saura juste que cette modeste embarcation de 7 mètres de long est partie comme d'habitude d'Anjouan, située à 70 km de là, malgré la mer très mauvaise en cette saison à cause des alizés.
Le 22 juillet, un "kwassa" s'était déjà échoué sur les côtes mahoraises avec plus de trente personnes à bord. Une vingtaine de personnes étaient mortes alors. Le 27 juillet, une autre embarcation de fortune se renversait deux heures après son départ au large d'Anjouan.
LA GENDARMERIE ACCUSÉE DE "COMPLICITÉ" AVEC LES PASSEURS
"Les passeurs sont encouragés par le prix alléchant de la traversée estimé à 150 euros par personne actuellement et la complicité de certaines autorités, surtout de la gendarmerie qui ne fait pas son travail", estime M. Gharibou, le directeur de l'hôpital et ancien maire de Domoni (Anjouan) d'où partent les "kwassas". Dans un entretien avec l'agence de presse HZK, M. Gharibou accuse la gendarmerie de "complicité" avec les passeurs. Racontant sa courte expérience de maire de la ville, il a affirmé que "même les rapports qu'il adressait à la gendarmerie de la ville étaient montrés aux passeurs ou à leurs chefs".
A Mayotte, une enquête est ouverte. Elle devrait prendre de l'ampleur dans les prochains jours, a précisé aux journalistes le lieutenant-colonel Patrick Martinez, commandant des forces de gendarmerie à Mayotte. Et la lutte contre l'immigration clandestine continue à terre comme en mer. Il y avait eu 13 253 reconduites à la frontière en 2006 et le centre de rétention administrative prévu pour accueillir 60 personnes – souvent surpeuplé – devrait être remplacé dès 2008.
Lundi soir, le bilan provisoire de ce naufrage s'établissait à 4 rescapés, 17 morts et 17 disparus. Sur le lagon de Mayotte, les opérations de recherche ont repris, mardi, dès le lever du jour. Le 18 juillet, les services de l'Etat ont procédé à une destruction de 56 "kwassas" et de 93 moteurs saisis ces derniers mois. Après un premier radar installé en 2005 pour contrôler le nord de l'île, un deuxième a été installé pour couvrir la côte ouest et un troisième confirmé pour 2008 par Christian Estrosi lors de sa récente visite, pour couvrir la côte est. Mais la pauvreté des Comores, l'absence de travail et d'espoir, conduisent la population à tout tenter pour venir à Mayotte.
L'éducation des enfants et les soins constituent le cœur des raisons de cette immigration. L'espoir de trouver un travail existe aussi, même s'il s'amenuise. Alors que le salaire mensuel de base aux Comores tourne autour de 30 euros, il est désormais de près de 800 euros à Mayotte. Une sorte d'"eldorado" pour les Comoriens...
Laurent Canavatte
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