14/08/2007

Rufin nommé à Dakar: "La vraie décolonisation a lieu maintenant"

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il avait apporté son soutien à Bayrou: voilà le Prix Goncourt 2001 ambassadeur de la France de Sarkozy au Sénégal. Sur proposition de Bernard Kouchner en conseil des ministres du 20 juin, et par validation du Journal officiel du 3 août, Jean-Christophe Rufin a été nommé à l’ambassade de France à Dakar.

Ouverture culturelle ou débauchage? L’ancien vice-président de Médecins sans frontières s’est donc vu proposer le poste par un ministre ex-PS passé au gouvernement de droite. Si l’engagement du nouveau diplomate a toujours été humanitaire (responsable MSF, mais aussi président d’Action contre la faim (ACF) jusqu’en juillet 2006), ce médecin et romancier de 55 ans avait par deux fois travaillé auprès de ministres: comme conseiller du secrétaire d'État aux droits de l'homme Claude Malhuret en 1986, puis comme conseiller du ministre de la Défense François Léotard en 1993. "J’ai participé à des cabinets de gouvernements de droite, donc j’ai été catalogué à droite", admet le romancier diplomate, "mais il s’agit plus d’un parcours de vie que d’un parcours politique. Je n’ai pas participé à la campagne de Nicolas Sarkozy puisque j’avais exprimé mon soutien à Bayrou et à sa politique de gouvernement de rassemblement.

Alors, Rufin, débauchage ou ouverture? "Je suis arrivé à la politique par l’humanitaire, plaide-t-il, et en cela c’est une ouverture. Une ouverture technique et culturelle: un signe que les intellectuels ont leur mot à dire."

Romancier diplomate, une ancienne tradition française. L'octroi de missions diplomatiques ou de postes d'ambassadeur à des écrivains est une tradition: Chateaubriand, Paul Claudel ou encore Roger Peyrefitte notamment. Pour le double Goncourt (pour son premier roman, L’Abyssin, en 1997, puis pour Rouge Brésil en 2001), être nommé au Sénégal est d’autant plus marquant que "ce pays a toujours mis en avant sa dimension culturelle et valorisé la vie intellectuelle: Senghor et Diouf durant leur présidence, Abdoulaye Wade maintenant. Cela va me permettre de me situer tout de suite sur un angle plus culturel que politique. Ainsi, on reconnaît au Sénégal sa spécificité. C’est, en tout cas, de cette façon que ma nomination a été interprétée sur place."

Après l’Est, l’Ouest. Après des missions en Afrique de l’Est (Erythrée notamment), en Amérique latine et en Bosnie, le nouvel ambassadeur arrive dans une Afrique de l’Ouest qu’il ne connaît pas. "Ce poste a une grande valeur régionale: Dakar rayonne sur toute la région, dit-il, le nez plongé dans ses tout nouveaux dossiers. Mon expérience africaine a primé. Et elle se situe dans des pays qui n’ont pas été colonisés par la France. Ainsi, je peux apporter un regard différent, nouveau, sur ce pays qui, lui, a été sous tutelle française."

Pour le nouveau diplomate, c’est maintenant, dans le monde de la mondialisation, que le continent africain vit son moment charnière. A travers, notamment, la force de pénétration de la Chine sur le continent. "L’Afrique a fait sa décolonisation dans les pires conditions, celles de la Guerre froide, dit-il, en ce sens, la présence de la Chine marque la fin d’une relation quasi-exclusive avec les anciennes puissances coloniales. La vraie décolonisation a lieu maintenant, en fait." Ainsi, la place de la France est à redéfinir, en Afrique comme dans le reste du monde. Comme au Sénégal. Pour J-C Rufin, "il faut refonder notre partenariat avec ce pays, la France n’étant plus le seul partenaire. Il y a eu un flottement dans nos rapports avec ce pays. Lequel est par ailleurs exemplaire: il n’y a aucun conflit au Sénégal, la transition démocratique s’est faite sans problème."

Jouant à fond la carte humanitaire et diplomatique, Jean-Christophe Rufin avoue ne pas souhaiter entrer dans la polémique sur la non-repentance sarkozyenne. Pourtant, sur le continent, ces propos provoquent de vives réactions. Au Sénégal comme ailleurs. L’ambassadeur s’attend donc à de chaudes soirées. "Cette question est une source de débats en Afrique, évidemment, y compris au Sénégal où il y a une presse libre. Les Africains sont tournés vers l’avenir. Moi aussi, c’est ce qui m’intéresse", plaide-t-il.

Quid, donc, d’une "coopération" moderne? Pour lui, "la coopération n’a pas été poussée à son terme. En cela, la nomination de Bernard Kouchner au Quai d’Orsay est le signe d’un recentrage vers de nouvelles méthodes de présence en Afrique." Jean-Christophe Rufin voit en la reprise des prêts une urgence: "Le Sénégal a quasiment fini de rembourser les prêts contractés à la communauté internationale, une partie de sa dette ayant été annulée. Parmi les pays qui ont dû emprunter au Club de Paris, le Sénégal est un très bon élève. On doit donc pouvoir envisager de leur prêter à nouveau de l’argent, et de rouvrir l’économie africaine à des possibilités d’emprunts. C’est un vrai choix, et nous devrons le faire bientôt."

Jean-Christophe Rufin sera physiquement à Dakar le 4 septembre.

Par Hubert Artus (Journaliste)

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