02/08/2007

Scandale libyen ou bien ?

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Le boulet libyen à la cheville de Nicolas Sarkozy
par Pierre R.

En mars 2007, dans le cadre de la célébration du 30e anniversaire de la proclamation de la Jamahiriya (État des masses), Mouammar Kadhafi avait appelé les Libyens à se montrer vigilants parce que les « puissants de ce monde trament des complots ».

Le 2 mars 1977, le gouvernement, les partis politiques, le parlement et le poste de président avaient été abolis. Le peuple pouvait dès lors réaliser son pouvoir par le biais des congrès populaires, des comités populaires et des syndicats.
Mouammar Kadhafi n’a plus de fonction officielle. Il est simplement appelé leader de la révolution libyenne.

Lors donc de ce 30e anniversaire, le leader a prévenu son peuple : « Vous devez rester prudents parce que vous vivez dans un pays où il y a du pétrole, d’immenses territoires et ressources naturelles, qu’ils veulent transformer en colonie ».

Comme l’écrit en éditorial Süddeutsche Zeitung : « En 1999, lorsque le dirigeant impulsif avait inventé ces reproches bizarres contre le personnel médical bulgare pour faire face à la vague de contamination au sida à l’hôpital de Bengasi, il voyait encore à l’œuvre partout dans le pays des "conspirateurs sionistes et occidentaux".
Mais aujourd’hui, Mouammar Kadhafi aimerait bien être traité d’égal à égal par cet occident conspirateur. »

Quatre mois plus tard, Saïf Al-Islam Kadhafi, fils du leader libyen, révèle au quotidien Le Monde qu’un contrat d’armement passé par la France et une décision de justice en Grande-Bretagne ont été déterminants dans la libération des infirmières et du médecin bulgares détenus par Tripoli.

Dans le cas d’une décision de justice de la Grande-Bretagne, il s’agirait en réalité d’autoriser le libyen, Abdel Basset Ali Al-Megrahi, à faire appel de sa condamnation à vie pour son implication dans l’attentat de Lockerbie (270 morts en 1988).

Un rebondissement qui pourrait permettre après négociations l’extradition du détenu vers son pays d’origine. « Nous allons bientôt avoir un accord d’extradition avec le Royaume-Uni », a affirmé Saïf Al-Islam Kadhafi.

- Pour ensuite y être gracié ?, s’interroge Afrik.com.

- Qui s’amuse le plus ?

- Kadhafi et ses fils en multipliant les déclarations incendiaires et en compromettant impunément Nicolas Sarkozy et la France, comme s’il s’agissait d’un jeu de cache-cache ?

- Qui subit le plus ?

- Nicolas Sarkozy et la France qui doivent traîner le boulet libyen enchaîné à leurs chevilles, engagés qu’ils sont maintenant dans le tourbillon des affaires occultes ?

Selon Saïf Al-Islam Kadhafi : « Le cœur du sujet, entre Paris et Tripoli, est donc l’affaire militaire. En quoi consiste-t-elle ? "

D’abord, l’accord recouvre des exercices militaires conjoints, bien sûr. Puis, nous allons acheter à la France des missiles antichar Milan, à hauteur de 100 millions d’euros je pense. Ensuite, il y a un projet de manufacture d’armes, pour l’entretien et la production d’équipements militaires. Vous savez que c’est le premier accord de fournitures d’armes par un pays occidental à la Libye ?" »

- Faut-il conclure des propos de Saïf Al-Islam Kadhafi que la désalinisation de l’eau de mer n’est pas la priorité pour la Libye qui met plutôt l’accent sur le réacteur nucléaire et l’envoi de spécialistes français pendant plusieurs années ?
Le fils Kadhafi confirme en effet au Monde que cette installation « n’est pas essentielle pour la Libye ».

En 2004, l’embargo européen sur les ventes d’armes à la Libye était levé mais selon le fils Kadhafi : « un embargo non dit persistait contre mon pays. Les Allemands, surtout, étaient réticents pour des ventes d’armes. Mais avec les Français, nous avons été en négociations depuis longtemps. Nous avons demandé à Sarkozy d’accélérer les choses. Maintenant que le cas des infirmières est réglé, c’est une occasion en or qui survient ».

Situation embarrassante pour le président Sarkozy.

Prié de dire s’il pouvait confirmer qu’un contrat d’armement entre Paris et Tripoli avait été conclu en échange de la libération des infirmières bulgares, Nicolas Sarkozy a répondu :
« Non »

M. Sarkozy n’a fait aucun autre commentaire.

Bernard Kouchner insiste, devant la presse, pour dire que le document signé lors de ce voyage n’était pas un « protocole », mais un simple « mémorandum d’engagement, un cadre éventuel » pour un « éventuel réacteur nucléaire ».

Le porte-parole du président, David Martinon, réaffirme que la libération des infirmières et du médecin bulgares n’a donné lieu à « aucune contrepartie ».

Le ministère français des Affaires étrangères se refuse à tout commentaire mais précise toutefois que l’embargo sur les armes à destination de la Libye a été officiellement levé le 14 octobre 2004.

Comme l’avaient préalablement indiqué Nicolas Sarkozy et José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, « la coopération avec la Libye a vocation à s’accélérer ».

Pour Greenpeace France : « Cet accord pose un énorme problème de prolifération nucléaire et se situe dans la droite ligne de la politique française d’exportation irresponsable de sa technologie nucléaire. [...] Livrer du nucléaire civil à la Libye reviendrait à aider ce pays à accéder tôt ou tard à l’arme atomique ».
Sylvain Biville de RFI prévient qu’il est important de mettre un bémol aux déclarations du fils Kadhafi.

En effet : « plusieurs fois, dans le passé, ce personnage influent, qui dirige la "Fondation Kadhafi pour la bienfaisance", a annoncé comme acquis des accords en cours de négociations. Lorsqu’il affirme au journal Le Monde que l’engagement de la France représente "le premier accord de fourniture d’armes à la Libye par un pays occidental", il oublie de rappeler que Tripoli a déjà acheté des hélicoptères de combat italiens et que les marchands de canons britanniques ont, eux aussi, une longueur d’avance sur les industriels français dans la prospection du marché libyen de la défense, particulièrement juteux au sortir de trente années d’embargo international. "Des représentants de Thalès et de la Sagem sont en Libye en ce moment même", déclare par ailleurs le fils du dirigeant libyen, en omettant de préciser que la présence des deux sociétés françaises d’armement n’a rien à voir avec les récents accords : elle est liée au contrat conclu l’année dernière pour l’entretien de douze Mirages F1, avions de combat achetés par la Libye dans les années 70, avant l’embargo international ».

Relativement au financement nécessaire au dédommagement des familles libyennes, le fils Kadhafi ajoute qu’aucun argent libyen n’a été versé aux familles des enfants morts du sida : « Ce que je peux dire, c’est que les Français ont arrangé le coup. Les Français ont trouvé l’argent pour les familles. Mais je ne sais pas où ils l’ont trouvé ».

La commissaire européenne aux Relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, avait déclaré qu’il s’agissait de fonds libyens.

Autre révélation étonnante.

Le général Kirtcho Kirov, chef du renseignement de la Bulgarie, déclare, dans un entretien publié dans un quotidien local, 24-Tchassa (24-Heures), relayé par Le Monde : « Le sort des praticiens bulgares n’était en fait qu’un grain de poussière dans l’œil d’un énorme ouragan où se croisent des intérêts gigantesques. Je savais que de grands contrats d’armes et de concessions [d’exploration de pétrole] seraient conclus ».

Dès février 2007, à l’issue d’un entretien nocturne dans une villa viennoise avec Saïf Al-Islam, fils du n° 1 libyen, dont la fondation caritative a joué un important rôle d’intermédiaire, le général Kirtcho Kirov « savait qu’une solution serait trouvée vers la fin juillet-début août ».

Le Canard enchaîné y va également de ses révélations : « L’argent versé par le Qatar - 452 millions d’euros - a permis de résoudre une difficulté administrative. Mouammar Kadhafi souhaitait en effet que l’argent vienne de l’Union européenne. Or à cause des lourdeurs européennes, la somme n’avait toujours pas été versée, six mois après l’accord de principe. L’émir du Qatar, Cheikh Hamad bin Jassem bin Jabr al Thani, aurait accepté de mettre la main au porte-monnaie après avoir reçu un coup de téléphone du président français et l’Union européenne a promis qu’elle remboursera la somme ».

La semaine dernière, il convient de le rappeler, le Premier ministre libyen Baghdadi Mahmoudi avait déclaré que son pays avait remis un mémorandum à la Ligue arabe afin d’envisager une décision commune à l’encontre de Sofia, qui avait gracié les praticiens bulgares, et que Tripoli saisira l’Union africaine et l’Organisation de la conférence islamique (OCI). « Les détenus devaient être remis dès leur arrivée à un établissement pénitencier et non pas libérés de manière illégale », s’était indigné dans un même temps le chef de la diplomatie libyenne, Abdelrahman Chalgham. Il avait profité de l’occasion pour préciser que Nicolas Sarkozy avait lui aussi exprimé son « mécontentement » face à la méthode avec laquelle Sofia avait libéré les six praticiens. Le porte-parole des familles libyennes, Idriss Lagha, avait demandé au gouvernement libyen de saisir Interpol pour que les six praticiens soient de nouveau arrêtés.

Aujourd’hui, Seif el-Islam Kadhafi « dit avec une grande tranquillité qu’il n’a pas cru en la culpabilité des infirmières bulgares », note Le Monde : « la Libye a obtenu un "bon deal" dans une histoire compliquée » où les infirmières « ont malheureusement servi de boucs émissaires ». En effet, selon le même personnage : « C’était une histoire compliquée. Une grande pagaille. Avec beaucoup de joueurs. Il a fallu satisfaire tous les joueurs ».
Beaucoup de déclarations. Surtout beaucoup de cynisme.

- Pierre R. Montréal
source : Agoravox
Publié le 2 août 2007 par torpedo

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