Les "bandes ethniques": une stigmatisation dangereuse?
Par Chloé Leprince (Rue89) 20H40 09/09/2007
"Arrêtez de vendre des saucisses qui puent ou on va vous tirer dessus, PD de boucher." L’inscription a été relevée par la police à l’automne dernier, sur la vitrine d’un boucher, à Rennes. Pour les Renseignements généraux, de telles menaces signent une montée en puissance d’une délinquance d’un nouveau type: définie par l’origine ethno-raciale ou la religion.
Dans un rapport daté du mois de juillet et ébruité par le journal Le Monde en milieu de semaine, la DCRG avance ainsi qu’on assiste depuis ces derniers mois à un "retour sensible du phénomène de bandes ethniques composées en majorité d'individus d'origine subsaharienne, arborant une appellation, des codes ou signes vestimentaires inspirés des groupes noirs américains".
Publié ici la semaine dernière
Depuis que ce rapport a été rendu public, les autorités communiquent amplement sur cette question: branle-bas de combat au ministère de l’Intérieur, réunion des préfets d’Ile-de-France autour de Michèle Alliot-Marie, promesse d’une répression pénale accrue du côté du parquet général. Les médias, quant à eux, ont multiplié les gros titres sur la recrudescence des affrontements entre bandes rivales. Dans Paris. C’est en effet à partir du moment où ces "bandes" ont "quitté leur territoire" pour "venir régler leurs comptes" dans la capitale, comme l’a dit dans la presse Laurent Le Mesle, procureur général de Paris, que l’on a resserré la focale sur ce phénomène.
"Bandes de jeunes"?
Certains chercheurs en sciences sociales préfèrent d’autres terminologies, comme "regroupements juvéniles dans les quartiers populaires". Laurent Mucchielli, sociologue spécialiste de la délinquance et des violences urbaines, publiera en novembre aux éditions La Découverte un ouvrage collectif justement intitulé "Les Bandes de jeunes. Des 'Blousons noirs' à nos jours'. S'intéressant aussi à sa construction politique et médiatique, il souligne que le phénomène est loin d'être nouveau:
Rivalités entre territoires, échec scolaire, problèmes sociaux... Pour Laurent Mucchielli, il faut "résister à la tentation d'ethniciser le débat" et garder à l'esprit l'origine des bandes:
Pour le syndicat UNSA-Police, cependant, le phénomène des "bandes" se serait accentué depuis "quatre ou cinq ans". Selon le rapport des RG publié cette semaine, 129 rixes entre bandes ont été enregistrées sur les cinq premiers mois de l’année sur toute la France, contre 100 sur la même période en 2006. Ces dernières semaines, les deux affrontements entre "bandes" à la Gare du Nord et une rixe à Pigalle ont ramené les projecteurs sur ces groupes de jeunes des quartiers populaires.
Le spectre des émeutes de 2005
La Gare du Nord, desservie par de nombreux RER issus notamment de quartiers défavorisés de la banlieue parisienne, est en effet devenue un lieu emblématique. Durant la campagne présidentielle, des heurts violents y avaient donné lieu à une exposition médiatique intensive. A l’origine de l’incident filmé par téléphone portable par des passants jusqu’à l’arrivée des caméras de télé: l’interpellation musclée d’un resquilleur congolais sans titre de séjour. Nous étions en mars, à trois semaines du premier tour, et les affrontements entre forces de l’ordre et jeunes des cités avaient réveillé le souvenir des émeutes de l’automne 2005, qui avait vu des villes de banlieue flamber pendant plusieurs semaines après la mort de deux jeunes, électrocutés lors d’une course-poursuite avec la police.
Durant les manifestations anti-CPE, un peu partout en France, la police avait aussi dénombré de nombreux dérapages de casseurs présentés comme "des bandes de jeunes issus des cités". Sur les écrans de télé, les images avaient alors défilé, montrant de nombreux visages noirs ou cuivrés sous les capuches. Educateurs et travailleurs sociaux des quartiers chauds avaient mis en garde contre une stigmatisation symbolique des jeunes issus de l’immigration. A l’époque, toutefois, les médias présentaient plutôt ces "casseurs" comme des "jeunes des cités". Cette fois, la recrudescence de heurts entre "bandes rivales" permet de franchir un palier et de commenter par exemple, à l’instar des rapports de police, les rixes entre un "groupe subsaharien" et une "bande caucasienne".
Dans les rapports de police, l’origine ethnique, la couleur de la peau ou la religion s’écrivent sans ciller… et "depuis longtemps", selon un policier. Mais les RG soulignent que les délinquants revendiquent eux-mêmes de plus en plus leur appartenance religieuse, notamment à l’islam. Sur le terrain, la police évoque aussi de plus en plus souvent un "scénario à l’américaine" et une fascination chez les jeunes des cités pour les gangs des Etats-Unis, très homogènes ethniquement.
Politiquement correct?
La question n’est pas de nier l’homogénéité ethnoraciale ou religieuse de ces groupes si elle existe. Mais de s’intéresser à la portée de ces marqueurs qu’on appose -ou qu’on relaie- sur des événements qui relèvent d’abord de la délinquance. Politiquement correct? Dans ses travaux, Laurent Mucchielli ne conteste pas l’homogénéité ethnique des "bandes" dans certains quartiers. Mais il souligne qu’elles sont surtout à l’image de la société et que, "dans les années 60, d'autres identités collectives structuraient les bandes, comme par exemple le sentiment d'appartenance à la classe populaire".
Pour Laurent Mucchielli, il est dangereux de mettre en exergue des rivalités entre bandes fondées sur l'origine ou la couleur de peau:
Depuis que l’attention s’est focalisée, ces quinze derniers jours, sur les "bandes subsahariennes" après les trois rixes parisiennes, le parquet a annoncé une "réponse ferme et adaptée". A commencer par des contrôles d’identité "préventifs" plus fréquents dans les gares RER.
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