LE MONDE | 25.09.07 | 14h52 • Mis à jour le 25.09.07 | 14h52
Sous la protection de l'anonymat, des officiers de police expriment une exaspération, sur le forum Internet de leur syndicat. "Je me demande ce qui va se passer le jour où nos collègues, lassés d'être mobilisés sur des contrôles d'identité, trois à quatre fois par jour, rapporteront à la presse qu'ils ne contrôlent sur ces opérations que des individus susceptibles d'être étrangers en situation irrégulière en raison de leur couleur de peau", s'inquiète l'un d'eux. "Et, pendant ce temps-là, trafics en tout genre dans les cités, vols à l'arraché... sur lesquels nous n'avons même plus le temps de bosser. La culture du résultat, oui, je l'accepte, mais pas à n'importe quel prix !"
"A Paris, les unités judiciaires de traitement en temps réel sont en surchauffe avec parfois plus de 80 % de gardes à vue portant sur des infractions à la législation des étrangers", ajoute un autre. "Les magistrats de permanence sont eux aussi excédés et nous demandent parfois ironiquement si nous sommes encore intéressés par arrêter de vrais délinquants..." Un troisième s'interroge : "Dans mon département de l'ouest de la France, je les trouve où et comment mes étrangers en situation irrégulière ?"
A Nîmes, le tribunal de grande instance connaît des tensions. Des magistrats confient apprécier peu la pression "indirecte du pouvoir politique". Le préfet du Gard, Dominique Bellion, avait été convoqué à Paris, le 12 septembre, au côté de dix-huit de ses collègues qui n'avaient pas atteint les objectifs en matière d'expulsions. Face aux récentes interpellations, les avocats nîmois ont engagé une bataille de procédure.
Faute d'audience du juge des libertés de la détention (JLD) durant le week-end, plusieurs personnes en situation irrégulière avaient été maintenues au centre de rétention administrative (CRA) de Nîmes. Les avocats ont soulevé des nullités basées sur des délais jugés "excessifs" et une privation de liberté tenue pour "arbitraire". Mercredi 19 septembre, la cour d'appel de Nîmes a annulé le maintien en rétention de ces sans-papiers. Ils ont pu quitter le centre. Flambant neuf, d'une capacité de 128 personnes, ce dernier a ouvert le 16 juillet. Vendredi 21 septembre, la révélation de l'évasion de trois Tunisiens du centre de rétention a encore accru les tensions.
Patrick Pribile, représentant local du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), dénonce une "pression quantitative" pouvant "susciter des dérives policières et des erreurs procédurales". Du côté des policiers, on déplore "une ambiance malsaine liée à l'activisme d'associations dont la représentativité est discutable". hum! hum !, les associations apprécieront !
"CONTENTIEUX DE MASSE"
Au tribunal de grande instance de Bordeaux, les procédures concernant les étrangers sont passées d'une centaine en 2001 à 600 en 2006. Olivier Joulin, vice-président du tribunal, membre du Syndicat de la magistrature, souligne que, "si le préfet de Gironde, lui aussi convoqué par le ministre, saisit les juges des libertés et de la détention pour atteindre les objectifs assignés, il leur faudra prononcer 500 décisions de maintien en centre de rétention en trois mois, l'équivalent de ce que nous avons fait en neuf mois." Le contentieux des étrangers, qui, représente de 30 % à 40 % de l'activité des deux JLD, "en représenterait le double. Cela se fera au détriment des autres contentieux".
Une JLD de la région parisienne évoque "une machine qui tourne à vide" : des étrangers continuent d'être présentés à la justice, mais, faute de place en centre de rétention, les décisions ne vont pas être appliquées. Les magistrats des tribunaux administratifs, pour leur part, ont donné l'alerte : leurs juridictions sont en passe d'être asphyxiées par le contentieux des étrangers. Celui-ci représente déjà plus du quart des requêtes enregistrées (quelque 44 000 sur un total de 167 000) et connaît un rythme de croissance qui ne cesse de s'accélérer : sur le seul premier trimestre, les affaires en droit des étrangers se sont accrues de 10,29 %, contre 6,14 % pour l'ensemble du contentieux.
"Le contentieux des étrangers étant le seul contentieux de masse pour lequel nous soyons soumis à un délai, nous ne jugeons plus le reste", relève Stéphane Jolinet, délégué du Syndicat de la juridiction administrative (SJA). A Paris, sur l'ensemble des requêtes audiencées entre la mi-septembre et la fin octobre, 70 % relèvent du droit des étrangers, 21 % du droit fiscal et 9 % seulement des litiges portant sur les autres politiques publiques.
Service France, avec Hocine Rouagdia (Nîmes, "Midi Libre" pour "Le Monde")
Article paru dans l'édition du 26.09.07.
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