Sciences Po Paris a la cote au gouvernement. A tel point que sur neuf ministres qui mentionnent l'école sur leur CV officiel, trois n'en sont pas diplômés: Brice Hortefeux, Christine Lagarde et Roger Karoutchi. Pas l'affaire du siècle, loin de là. Mais la preuve que ces petites faiblesses de la nature humaine ne disparaissent pas avec le prestige du pouvoir.
L'exemple vient d'en haut, puisque Nicolas Sarkozy est aussi dans ce cas. Le CV du Président a toutefois le mérite d'être moins ambigu : en mentionnant "Institut d'Études Politiques de Paris (1979-1981)", Nicolas Sarkozy laisse entendre qu'il y a fait un passage pendant ces années, alors qu'indiquer une seule date aurait signifié une année de "promo".
Ce qui est le cas de Brice Hortefeux. Sur son CV, comme seule mention à la rubrique "cursus", est écrit: "IEP Paris: maîtrise de droit public (1984)". Outre qu'il n'y a jamais eu de maîtrise de droit public à Sciences Po, Brice Hortefeux n'est pas recensé dans l'annuaire des anciens de l'école, consultable en ligne. Bug informatique? Non, car le ministre de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Codéveloppement ne figure pas non plus dans la version imprimée. Idem pour Nicolas Sarkozy.
Même chose pour Christine Lagarde, la ministre de l'Economie, des Finances et de l'Emploi (dotée d'un autre CV ici, où une absence de retour à la ligne laisse entendre qu'elle a obtenu son DESS à Sciences Po). Ou encore Roger Karoutchi, secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement. Or, l'association des anciens de Sciences Po, qui édite l'annuaire, est formelle: "Quand le nom de la personne n'apparaît pas, c'est qu'elle n'est pas diplômée." Ce que confirme aussi la direction de l'école.
Aucune de ces quatre personnalités ne prétend explicitement avoir décroché ce parchemin très convoité; à part Brice Hortefeux, aucun ne mentionne d'année de promo. Mais inscrire "Institut d'études politiques de Paris" est d'autant plus ambigu que deux autres ministres -diplômés, eux- ont porté la même mention sur leur CV. Il s'agit d'Eric Woerth (promotion 1977) et de Rama Yade (promotion 2000).
Les autres ministres sortis de Sciences Po -Dominique Bussereau, Hervé Morin et Laurent Wauquiez- indiquent clairement "diplômé". Il n'y a que l'énarque Jean-Pierre Jouyet, diplômé en 1976, pour carrément "zapper" la ligne Sciences Po de son CV...
Pour un autre ancien, devenu directeur des ressources humaines d'un grand groupe, il existe "tout un tas de formules" pour "maquiller" son CV. "Mais si vous avez fait tout le cursus sans avoir le diplôme, vous ne mentez pas en écrivant "Sciences Po" dans votre CV." Nicolas Sarkozy entre dans ce cas de figure. Le DRH rappelle que Sciences Po est "une école où il est difficile d'entrer, mais aussi un cursus dont il n'est pas acquis de sortir diplômé". Pour le milieu des années 80, il cite des taux d'échec aux examens du diplôme de "25% en juin et 10 à 15% pour le rattrapage, en septembre".
En revanche, mentionner une maîtrise absente du cursus de l'école et une année de promotion fictive est, pour lui, un "manque total de lucidité". "Quand on est ministre et qu'on a un parcours classieux et valorisant, être diplômé de Sciences Po ou pas, ça ne change rien. Si la personne a encore besoin de tricher sur ses diplômes à 45 ou 50 ans, il y a un problème. Mais c'est peut-être une faute de frappe?"
Une grosse faute de frappe, car Brice Hortefeux a obtenu sa maîtrise à l'université de Paris X-Nanterre. Le service de presse du ministre n'a pas retourné nos appels. Pas plus que celui de l'Elysée, à qui on avait proposé de répondre aux rumeurs sur l'échec du Président pour cause de note éliminatoire en anglais.
Le service de presse de Christine Lagarde s'est montré plus coopératif. Il précise que l'ancienne avocate d'affaires a obtenu son diplôme de l'IEP d'Aix-en-Provence (qu'elle ne mentionne pas sur son CV) avant de faire un passage non diplômant à Sciences Po Paris pour préparer l'ENA. Roger Karoutchi décroche lui-même son téléphone et propose de nous envoyer son relevé de notes... "Après mon agrégation d'histoire, j'ai fait l'IEP d'Aix puis les deuxième et troisième années de l'IEP de Paris. Mais j'ai eu des problèmes de santé, et je n'ai pas passé le diplôme." Le secrétaire d'Etat constate au passage que son CV sur le portail du Premier ministre est "truffé d'erreurs".
Par Augustin Scalbert (Rue89)
La directrice adjointe de Sciences Po, Nadia Marik, affirme que "l'on peut très bien indiquer IEP de Paris, sans la mention 'diplômé', si on y est passé." "Rien ne me choque dans ce que vous dites", ajoute-t-elle, en refusant de confirmer -ou d'infirmer- le passage de ces personnalités dans l'école: "Ces informations relèvent du domaine privé."
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