30/11/2007

Hamé de La Rumeur parle de Villiers-le -Bel

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Alors que Nicolas Sarkozy a montré du doigt la ”voyoucratie”, Hamé, du groupe la Rumeur, revient sur la stigmatisation des jeunes des quartiers. Il dénonce « la militarisation de l'intervention de la police » à Villiers- le-Bel. « Les médias sont devenus des supplétifs de la police, juge-t-il. On a l'impression d'avoir à faire à des courroies de transmission des enquêtes et des contre-enquêtes que la police mène sur elle même et des conclusions qu'elle tire ».« Aujourd'hui, on est Sarkozyste ou un voyou, un marginal »
LIBERATION/ CONTRE JOURNAL
30 Novembre

La Rumeur est en procès depuis 2002 pour avoir parlé des ”frères abattus par les forces de police” et de leurs ”assassins jamais inquiétés”. Une pétition est à signer en ligne

appel@la-rumeur.com

Vous faites l'objet depuis cinq ans de poursuites du ministère de l'intérieur pour avoir écrit, je cite: « les rapports du ministère de l'Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police, sans que les assassins n'ait été inquiété ». Cinq ans de procédure c'est la preuve d'un entêtement de l'Etat à votre égard, mais aussi de votre capacité à lui tenir tête?

Hamé: Depuis le début de cette procédure contre nous, nous cherchons à défendre notre légitimité à écrire, et à remettre en cause les brutalités policières illégitimes, et les crimes policiers impunis.On l'a fait, on l'a écrit, cela nous ai reproché, on nous accuse de diffamation. Et depuis le début, nous essayons d'expliquer que cela renvoie à quelque chose d'extrêmement profond. Quelque chose que, manifestement, le Ministère de l'Intérieur et l'Etat ne veulent pas voir en face. C'est un noeud, et depuis cinq ans on tourne autour et on appuie.

Vous allez dans la procédure avec des explications, des témoins, sur l'histoire de la police...
On est face à un acte de censure. Une tentative de vouloir faire taire la Rumeur. Il s'agit pour nous d'assumer la dimension politique de cette attaque. D'avoir une défense politique. De revenir au fond des termes attaqués, et de mettre en perspective politiquement et idéologiquement ce à quoi cela renvoie. Cela nous amène à remuer une histoire qui ne passe pas. Plus qu'une histoire. C'est quelque chose qui a des répercutions gravissimes sur le présent. Ce n'est pas une période de l'histoire française exposée sous cloche. C'est sanglant. Cela fait des morts tous les mois. Toutes les semaines.

Depuis 2002, justement, il y a eu d'autres morts. Il y a eu Zyed et Bouna. Dimanche dernier, Moushin et Larami, et des émeutes à chaque fois qui témoignent d'un sentiment que vous avez d'une injustice... D'une police souvent disculpée, d'une jeunesse trop vite accusée..?
On est dans la reproduction d'un scénario qui aboutit à des homicides involontaires, souvent qualifiés d'accidents. Les enquêtes de la police concluent toujours à des accidents, à des légitimes paniques, des légitimes défenses. Tout sauf une mise en cause réelle des agents de police. C'est toujours après des batailles âpres des familles ou des réseaux associatifs que certains cas ont été défendus, et les victimes reconnues comme telles. La plupart du temps, c'est tout le contraire dès lors que des policiers sont mis en cause. On les disculpe. On couvre les responsabilités à tous les niveaux. Dans le même temps, il y a un travail de salissement, de culpabilisation, des victimes. On leur trouve des circonstances aggravantes - le fait de rouler sans casque, de voler un autoradio... Toutes choses qui ne méritent pas la mort... Le mensonge, l'outrage, l'insulte se greffent.

Ce qui a été peu relevé c'est la militarisation du mode d'intervention de la police. A Villiers-le-Bel, c'était hallucinant. La systématisation et l'arrogance technologique des forces de l'ordre qui se déploient dans les quartiers atteignent des niveaux inégalés. Les hélicoptères et les drônes ont été de sortie. Sans parler de la quantité, de la masse des moyens engagés, les effectifs déployés qui renvoient à des états de siège. On passe des simples opérations de police à des opérations de type militaire. Cela renvoie à des événements vieux de plusieurs d'années, dans les anciennes colonies.

Est-ce que c'est quelque chose qui ressort de l'histoire coloniale de la France, cette fracture entre les jeunes et la police?
La police est un bras articulé. Evidement il y a des pratiques policières, judiciaires, administratives, en direction des quartiers et des populations issues de l'immigration du travail et des ex-empires coloniaux qui sont héritées de l'époque du colonialisme. C'est clair et net. Pourquoi les élites continuent-elles à appréhender, à penser, ces populations comme elles ont pensé, et appréhendé nos grands-pères. Depuis les émeutes de 2005, c'est beaucoup plus clair et évident pour tout le monde. Depuis des années, avec d'autres nous disions que le traitement des quartiers était un traitement colonial. On nous traitait de fous furieux. On a vu comment face aux émeutes et aux révoltes de 2005, on systématise des modes d'intervention, y compris dans la façon de parler aux gens, qui nous viennent de l'histoire coloniale.

Il y a peut-être une arrogance, une attitude de défi au sommet de l'Etat. Est-ce que ça vient c'est lié à la personnalité de l'ex ministre de l'Intérieur aujourd'hui Président, ou est-ce que c'est quelque chose de plus profond?
Le la est donné d'en haut. On est dans une période de l'histoire de la société française, où la classe dominante ne doute plus d'elle même. Il n'y a plus de contre-pouvoir. Le rapport de force lui est favorable de manière écrasante dans tous les domaines – social, économique, culturel, philosophique. Dans la manière de percevoir les phénomènes sociaux, les grilles de lecture policière ont progressé. Même pour la culture.


Et les médias, comment vous percevez leur traitement de ce qui se passe en banlieue?
Dans ce que j'ai vu, les médias sont devenus des supplétifs de la police. L'impression d'avoir à faire à des courroies de transmission des enquêtes et des contre-enquêtes que la police mène sur elle même et des conclusions qu'elle tire. C'est la police qui enquête sur la police. Je n'ai aucun problème avec les médias dès lors qu'ils font leur travail. Et leur travail c'est quoi? C'est mettre en contradiction le réel. Je ne suis pas pour taire la version de la police, mais il faut la mettre en contradiction avec d'autres sources. Et ces sources, leur donner le même temps d'exposition. Leur donner le même chance d'être entendus. Dans ce cas les journalistes font leur travail, parce qu'ils donnent une possibilité d'y voir clair. En voyant TF1, France 2, on a l'impression d'être en face de médias militants qui ne le disent pas, mais qui militent pour la victoire d'un seul point de vue. Avec l'élection de Sarkozy on va percevoir la dureté de son projet pour nous tous. Mais il y a un aspect positif dans tous ça, c'est que les lignes de fracture, de division, s'éclairçissent. Les flous artistiques idéologiques n'ont plus besoin d 'être entretenus. Cela devient presque bi-polaire. Aujourd'hui, on est Sarkozyste ou on est un voyou, un marginal. Ou un dangereux gauchiste, un ringard, un dépassé qui n'a pas compris qu'aujourd'hui qu'avec la mondialisation il faut faire tourner plus pour avoir plus ou rester sur le bas côté.

La procédure va reprendre à la cour d'appel de Versailles, mais il y a une mobilisation autour de vous et une pétition qui circule.

Une mobilisation ne se fait pas sans levier. On a besoin de répercuter cette actualité, et d'entraîner des solidarités pour faire la preuve qu'on n'est pas seuls.

Propos recueillis par Karl LASKE

30/11/2007 à 20:08

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